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Être son propre patron… oui, mais…

L’achat d’une entreprise existante ou d’une franchise
représente un peu moins de risques que de démarrer une entreprise à partir de
zéro. L’achat de ce type d’entreprise comporte certains avantages, mais cela ne
veut pas dire qu’il n’y a aucun risque. Bien que l’achalandage, le savoir-faire
et un certain pouvoir d’achat auprès de fournisseurs vous soient assurés dès le
départ, dans les faits, vous devez assurer la gestion tout en ayant des comptes
à rendre au franchiseur.

Selon Louis Roquet, président et chef de la
direction de Desjardins Capital de risque, dans le guide Comment acheter une PME, « (…) un jeune entrepreneur
désireux de se porter acquéreur d’une entreprise pour la développer pourrait
profiter de certains conseils ». Toujours selon ce guide, avant d’acheter
une entreprise, le nouvel entrepreneur aurait tout avantage à posséder un
minimum de connaissances, trouver un partenaire financier, consulter des
personnes qui ont une expérience d’achat d’entreprise, ne pas surévaluer l’entreprise
à acheter, identifier rapidement les personnes-clés et faire sa publicité. Si
pour plusieurs l’aventure a été heureuse, d’autres ont appris à leurs dépens et
sortent meurtris de cette expérience.

J’aimerais vous raconter l’histoire de Manon,
une femme qui, un jour, en a eu assez de cumuler les petits boulots qui lui
rapportaient juste assez pour faire vivre sa famille et qui rêvait d’être son
propre patron. L’aventure a débuté en 2001. Manon avait 34 ans. Mère de trois
jeunes enfants de 7, 9 et 11 ans, Manon vient tout juste de se séparer lorsque
l’entreprise qui l’emploie ferme ses portes. Du jour au lendemain, elle se
retrouve sans emploi et monoparentale. Elle sait qu’elle a droit à des
prestations de chômage pour une période d’un an, mais après, que faire? Bien que
diplômée en design d’intérieur, son diplôme ne lui sera d’aucun secours, puisqu’elle n’a aucune expérience dans ce domaine.

Les mois filent et les comptes ne cessent de
s’accumuler. Manon craint de ne plus pouvoir rencontrer les paiements de son
hypothèque. Elle est découragée. Depuis la mort de son père, la vie n’a pas été
tendre avec elle. Lorsque son père est décédé, Manon n’avait que 16 ans. Sa
mère ne travaillait pas et les revenus de son père n’ont jamais permis de garnir
le bas de laine familial en cas de pépin. Manon a travaillé d’arrache-pied,
sans jamais se plaindre, pour aider sa mère à joindre les deux bouts. Seize ans
plus tard, sans emploi, elle a envie plus que jamais de trouver sa place au
soleil.

Jour après jour elle parcourt les petites
annonces à la recherche de l’emploi de rêve. Peu à peu, l’idée d’acheter une
entreprise et d’être son propre patron germe dans son esprit. Comment faire et
où commencer? Elle rêve de dénicher l’affaire du siècle. Un beau matin, elle
tombe sur une annonce qui l’enchante : on vend une franchise dans le
secteur du commerce de détail qui correspond exactement à ce qu’elle recherche.
Le prix n’est pas trop élevé, l’investissement de départ est raisonnable et
l’entreprise se trouve à quelques kilomètres seulement de son domicile. C’est
l’occasion rêvée.

Enthousiaste, Manon s’empresse de téléphoner à
sa mère. Sa mère est tellement contente pour elle qu’elle lui offre de
participer financièrement. Manon décide d’utiliser l’héritage que lui a laissé
un de ses oncles. Le peu d’économies que sa mère a réussi à mettre en banque complétera
ce qui manque à la mise de fonds nécessaire à l’achat de la franchise. En mars
2002, un an après avoir perdu son emploi, Manon devient propriétaire de sa
première franchise. Elle n’arrive pas à le croire. Son rêve le plus cher se
réalise. Elle pourra assurer l’avenir de ses trois enfants et elle pourra enfin
se bâtir une vie dont elle sera fière.

« Je n’avais aucune expérience en
affaires. Acheter une franchise était ce qui me semblait le plus simple. Tu
sais que tu ne pars pas de rien. Tu n’as pas d’études de marché à faire et tu
te dis que tu seras épaulée par le franchiseur, en cas de besoin ». Bien
que l’aventure ne lui semble pas trop risquée, Manon a quelques craintes. Elle n’a
jamais travaillé dans le commerce de détail et elle n’a jamais géré
d’entreprise. Elle espère de tout cœur que son chiffre de ventes sera suffisant
pour lui permettre de faire ses paiements, payer ses employés et vivre
convenablement.

Très rapidement, notre nouvelle entrepreneure
se rend compte qu’elle doit investir de nombreuses heures de travail pour que
ce soit rentable. Gérer un quotidien avec trois jeunes enfants quand on est
monoparentale n’est déjà pas si simple que cela. Manon mise sur son énergie
inépuisable et sur son sens inné de l’organisation. La première année a filé à
la vitesse de l’éclair. « Je me demande encore comment j’arrivais à tout
concilier. J’ai même eu le temps de faire des rencontres amoureuses »,
raconte Manon en riant. Un an après avoir acheté sa première franchise, Manon
sent le goût du défi la tirailler de nouveau. « Je suis le genre de
personne qui carbure aux défis. J’ai besoin d’autonomie et de sentir que
j’accompli quelque chose qui me rende fière de ce que je suis ».

Un an, presque jour pour jour après avoir
acheté sa première franchise, Manon en acquiert une deuxième. Cette fois, le
défi est de taille : les deux franchises se situent à plus de 80
kilomètres l’une de l’autre. Comme elle se partage la garde de ses enfants avec
son ex-conjoint, qu’elle vit maintenant avec son nouveau conjoint et que sa
mère accepte de lui donner un coup de main, elle franchit cette nouvelle étape
avec beaucoup de confiance. Elle a acquis de l’expérience avec la première boutique,
les ventes sont bonnes et le chiffre d’affaires de la seconde franchise est
excellent. L’aventure ne peut que se poursuivre sur une note positive.

Heureuse comme jamais, Manon, aidée de son
conjoint, partage son temps entre les deux magasins. Ses employés sont fiables,
les ventes sont bonnes, les enfants s’épanouissent… que demander de plus à la
vie? « J’étais bien dans ma peau, je nageais dans le bonheur. Il ne se passait
pas un jour sans que je remercie mon père de me protéger d’en haut. J’ai même
aidé un jeune délinquant à s’en sortir, une fois. J’étais régulièrement confrontée
au vol », rapporte Manon. « Un après-midi, je surprends sur le fait un
jeune délinquant connu de tout le centre commercial à voler. Je lui ai donné le
choix : j’appelais la police ou sa mère.

J’appelais rarement la police
quand j’avais affaire à des jeunes.  Je
trouvais que ça n’avait pas d’allure qu’un jeune de 13, 14 ou 15 ans se
retrouve avec un dossier. Je pense que ça faisait plus mal que les parents se
retrouvent à négocier avec moi que de faire face à la police!», raconte Manon
en riant. « Le jeune a dû travailler deux heures par semaine durant un mois…
sans ses piercings! Je lui ai fait la morale plus souvent qu’à son tour, mais
il a tenu le coup. Après, les commerçants n’ont plus jamais eu de troubles avec
lui! »

Malheureusement, le bonheur fuit parfois aussi brutalement
qu’il est venu… En 2004, des changements majeurs à l’intérieur du centre
commercial sont sur le point de lui couper l’herbe sous le pied, isolant son
commerce, qui sera désormais situé loin des entrées principales. Manon est
inquiète. Au début de 2005, rien ne va plus. Huit ou neuf commerces ferment
leurs portes. Les clients se font rares et les ventes se mettent à baisser
dramatiquement.  Manon tente de négocier
avec l’administration du centre commercial, mais rien à faire; on refuse de
résilier son contrat de location ou de reporter les paiements de son loyer. En
décembre 2005, à bout de souffle, elle n’a plus d’autres choix que de mettre la
clef dans la porte.

En mars 2006, malgré le bon chiffre d’affaires de
la seule franchise qu’il lui reste, Manon ne peut plus payer les dettes engendrées par sa première boutique fermée trois
mois plus tôt. Elle décide de vendre avant de tout perdre. Ce sera le début
d’une longue et douloureuse suite de déboires qui dureront sept ans. « C’était
tellement dur, cette période-là, que je ne sais pas comment j’ai fait pour garder
la tête hors de l’eau. Je pense que si j’ai réussi à éviter de justesse la
dépression, c’est parce que j’avais un homme merveilleux auprès de moi qui a
tenu le fort pendant que, chaque jour, je marchais près de 16 kilomètres pour
essayer d’évacuer ma rage, ma tristesse et mon désarroi », raconte Manon
avec beaucoup d’émotions.

 

Dans quelques mois, après sept longues années, Manon
sortira enfin de sa période d’insolvabilité. Elle pourra mettre toute cette
histoire derrière elle. Est-ce qu’on sort indemne d’une telle mésaventure?
Selon Manon, les cicatrices mettent du temps à cicatriser, mais on en sort
grandi. On voit la vie différemment et on prend les difficultés rencontrées moins
tragiquement. Cependant, si c’était à refaire, elle ferait les choses
différemment.

Son conseil : n’achetez pas une entreprise
seul, entourez-vous des bonnes personnes, renseignez-vous sur les autres
commerces autour de vous : sont-ils en bonne position financière? Prenez
le temps d’aller chercher des conseils auprès d’experts avant de vous lancer
dans une telle aventure. Enfin, n’impliquez pas votre conjoint dans l’achat de
votre entreprise. Si un jour vous tombez, s’il est associé à part entière, il
tombera en même temps que vous et vous perdrez tout. Si mon conjoint et moi
avons réussi à conserver certains de nos biens, c’est parce que l’un de nous
avait gardé son emploi et que ce revenu nous a permis de nous en sortir.

GINETTE LABARRE