président et fondateur de Mivela Construction a nié qu’il y ait eu collusion
entre les entreprises du secteur de la construction des trottoirs dans les
années 2000 à Montréal, comme d’autres témoins l’ont affirmé avant lui devant la Commission Charbonneau. Il a été
invité par la procureure chef de la commission, Me Sonia Lebel, à expliquer
pourquoi, des 53 entreprises qui étaient allées chercher un document de
soumission au moins une fois à la
Ville de Montréal pour de la construction de trottoirs, de
1996 à 2011, 45 ont peu à peu cessé de le faire ou sont disparues.
Au fil des
ans, il n’en est plus resté que cinq ou six, dont les propriétaires fréquentent
tous le Café Consenza identifié par les policiers comme le quartier général
de la mafia montréalaise à une certaine époque et provenaient du même village
sicilien Cattolica Eraclea, a relevé Me Lebel. « C’est
parce qu’on est plus performant », a justifié M. Milioto. Et quoi
qu’en pensent la commission et les témoins qui devant elle ont parlé de
collusion dans le secteur des égouts et aqueducs, puis des trottoirs,
« c’était ouvert à tout le monde », a assuré M. Milioto.
« On
travaille fort » dans la construction, « on travaille avec nos
mains », a ajouté celui que d’autres témoins ont surnommé « Monsieur
Trottoir », tant il en imposait dans ce secteur. « Aujourd’hui, si vous
n’êtes pas spécialisés, vous n’êtes pas compétitifs. » Il a
avancé aussi d’autres explications: Montréal a « beaucoup de trafic »,
il y a beaucoup de paperasse à remplir pour la Ville, la machinerie est coûteuse et il faut donc
du « savoir-faire ». Me Lebel
lui a demandé si la survie de son entreprise et de seulement une poignée
d’autres, au fil des ans, n’était pas plutôt due au fait qu’elles s’étaient
réparti les contrats entre elles, qu’elles avaient peu à peu fermé le marché. « Non
madame », a répété à chaque fois M. Milioto.
Le
commissaire Renaud Lachance lui a demandé si le fait qu’il était connu, dans le
milieu, qu’il fréquentait Nick Rizzuto père n’aurait pas suffi à apeurer
d’autres concurrents potentiels. Mais M. Milioto a assuré qu’il n’a jamais eu
de pouvoir sur personne.
APPELS ENTRE CONSTRUCTEURS
En
novembre dernier, l’entrepreneur Michel Leclerc, de Terramex, avait relaté à la
commission qu’il avait maintes fois tenté, en vain, de percer le marché
montréalais. De guerre lasse, il s’était résigné à faire de la sous-traitance
pour Mivela et d’autres entreprises, notamment pour les bordures de granit. À une
occasion, lors d’un appel d’offres dans le Vieux-Montréal, Terramex était
arrivé deuxième, mais avait pourtant fait le travail en totalité, pour Mivela
qui avait remporté cet appel d’offres, avait raconté M. Leclerc.
M. Leclerc
avait affirmé sous serment que les compagnies de pavage CSF, TGA, BP Asphalte,
ATG et Mivela faisaient partie d’un système de collusion. Le marché lui était
donc fermé, avait-il soutenu. « Non
ce n’est pas exact », a répliqué mercredi M. Milioto. « Je
n’ai jamais arrangé de soumission avec monsieur Leclerc. Lui, il peut dire ce
qu’il veut », a lancé M. Milioto. La
commission a alors présenté des relevés téléphoniques qui font état de 77
contacts entre MM. Leclerc et Milioto de 2004 à 2010, généralement pour des
appels d’une minute.
Le
phénomène est le même avec Lino Zambito, à l’époque dirigeant d’Infrabec. La
commission a relevé 56 communications téléphoniques de brève durée entre MM.
Milioto et Zambito, de juin 2007 à septembre 2009. Les deux entreprises ne
travaillaient pourtant pas dans le même secteur, l’une était dans les
trottoirs, l’autre dans les égouts. Et la
commission a fait état de 691 contacts téléphoniques entre M. Milioto et Joey
Piazza, de TGA, entre décembre 2003 et mars 2011. En une seule journée, un 19
décembre, ils se sont parlé cinq fois, durant moins d’une minute trente à
chaque fois. Me Lebel a laissé entendre que les deux hommes voulaient s’assurer
du bon fonctionnement du système de collusion, mais M. Milioto a nié.
« COMME UN NIAISEUX »
Plus tôt
dans la journée, M. Milioto a soutenu s’être laissé entraîner à transporter de
l’argent pour Nick Rizzuto père, le patriarche du clan, en voulant simplement
rendre service. « Ça a
commencé par un petit service, puis je suis arrivé à faire des services comme
apporter de l’argent. C’est devenu comme facile. M. Zambito appelle (et dit)
‘monsieur Milioto, peux-tu…’ C’est devenu comme une routine et j’ai embarqué.
J’ai embarqué comme un niaiseux, comme on dit, j’ai embarqué sans savoir
pourquoi. Et je suis rendu là », a conclu l’ancien président et fondateur
de Mivela Construction.
M. Milioto
a déjà soutenu que les liasses de billets qu’on le voit apporter au Café
Consenza, dans les vidéos de surveillance policière, provenaient de Lino
Zambito, qui lui demandait de lui « rendre service » et de les remettre
en son nom à Nick Rizzuto. Lorsqu’il
ne s’agissait pas de l’argent de M. Zambito, il s’agissait de sommes prévues
pour l’association Cattolica Eraclea, une sorte de club social qui visait à
réunir des Siciliens d’ici provenant de ce village, et pour lequel il était
conseiller.
Le
commissaire Renaud Lachance a voulu savoir pourquoi il acceptait d’être ainsi
vu avec le parrain de la mafia montréalaise, s’il ne recevait aucun avantage.
« Est-ce que ça fait une bonne réputation de savoir qu’on est une personne
qui fréquente régulièrement des hauts dirigeants de la mafia? Ça vous faisait
une bonne image? C’était quoi l’avantage pour vous? », a demandé M.
Lachance. « Je
n’avais aucun avantage, a répliqué M. Milioto. Moi, je voyais l’homme, je
voyais la personne. C’était vraiment du bon monde. » Le
commissaire Lachance s’est montré sarcastique. « Donc, je comprends que les
criminels qui sont gentils, vous êtes prêt à en faire vos amis, en autant
qu’ils soient gentils, même si vous savez que ce sont des criminels »,
a-t-il dit.