La firme Roche a bel et bien donné 100 000 $, a-t-il précisé, pensant ainsi obtenir des contrats à Montréal. Et, selon lui, cinq autres firmes de génie ont versé une somme similaire, soit au total 600 000 $ de la part de Cima+, SNC-Lavalin, Génivar, BPR et Dessau, en plus de Roche. M. Cloutier s’est personnellement acquitté de la tâche de verser la première tranche de 25 000 $ à un homme d’origine italienne qu’il a pu identifier sur une vidéo, mais dont il ne se rappelle plus du nom. Frank Zampino l’aurait même appelé, s’impatientant devant le fait que le versement du solde prenait trop de temps.
C’est Yves Lortie, directeur du bureau de Montréal chez Roche, la firme dont il était vice-président, qui s’est occupé de remettre le solde. Mais les contrats ne venaient toujours pas pour Roche. Il s’en est plaint à M. Zampino. « Il (Zampino) m’a dit ‘continuez à soumissionner et vous allez en avoir des jobs' », a rapporté M. Cloutier. Un an après l’élection, Roche attendait toujours les contrats, en vain. « On est allé voir (le maire) Gérald Tremblay dans son bureau avec Yves Lortie, moi et Marc-Yvan. Zampino, on l’a accoté au mur. On a accoté M. Tremblay au mur en disant ‘hey, écoutez, donnez-nous de l’ouvrage, on a payé pour ça' », a rapporté M. Cloutier.
Mais il n’a jamais parlé au maire Tremblay de la requête précise de M. Zampino. « Devant M. Tremblay, j’ai été prudent, je n’ai pas mentionné un sou devant lui. Je n’ai jamais dit que Frank Zampino m’avait demandé 100 000$. » Invité à expliquer ce qu’il entendait par « accoter au mur » le maire Tremblay, M. Cloutier est resté vague. « J’ai dit ‘on a aidé pour la campagne financièrement et c’est un montant, pour une petite compagnie comme Roche à Montréal _ on venait d’ouvrir qui était gros. Et on n’a rien’. » Le maire a alors dit: « je vais faire venir Frank ». M. Zampino est arrivé et il a dit qu’il trouverait quelque chose pour Roche « dans les prochains jours ».
Finalement, Roche a décroché des contrats, mais pas dans le secteur du génie. C’est plutôt une de ses filiales qui s’occupait d’évaluation municipale qui a décroché des contrats à Montréal, a-t-il relaté.
TREMBLAY MIS EN GARDE
Par ailleurs, M. Cloutier a rapporté avoir deux fois mis en garde le maire Tremblay contre le responsable du financement de son parti, Bernard Trépanier, au milieu des années 2000. « On s’en allait dans un coin et je parlais. Je disais ‘Gérald, tu fais une mauvaise affaire. Bernard Trépanier, ce n’est pas un bon homme pour toi. Je le connais depuis 25 ans. Il joue avec l’argent. Tu devrais te débarrasser de ce gars-là’. Il ne s’en est jamais débarrassé », a relaté M. Cloutier.
Quand la procureure chef, Me Sonia LeBel, lui a demandé pourquoi il tenait tant à ce que le maire Tremblay ne fasse pas affaire avec M. Trépanier, M. Cloutier a eu cette réponse: « C’était pour l’aider. Je savais que c’était un gars honnête, Gérald, que ce n’est pas un magouilleur. Et je voulais qu’il sache que l’autre le volait, dans le fond. » Me LeBel lui a rappelé que lui-même tripotait les chiffres des budgets électoraux municipaux, de son propre aveu, avec les deux colonnes de chiffres officiels et réels.
« C’était pas mal la même chose, mais moi c’était un petit montant, lui (Trépanier) c’était à coups de millions », a-t-il répliqué à la procureure. Il a précisé avoir ainsi mis en garde M. Tremblay à deux occasions, en sept ou huit mois. Il a avoué sans hésitation son inimitié pour Bernard Trépanier, à qui il refuse même d’adresser la parole. Son témoignage se poursuit mercredi.