Il est la vitalité même. La poignée de main est franche et il trouvera la mienne un peu trop ecclésiastique, fuyante si vous voulez. Il me redemande de la lui serrer comme ça doit se faire dans les règles de l’art. On voit qu’il est de la trempe des leaders. Mais s’il veut justement diriger, comment si prendra-t-il alors qu’on a tant de peine à composer avec des tempéraments forts? « Écoutez, j’ai un leadership, oui, mais je ne m’en viens pas là pour m’imposer. Je ne veux surtout pas passer pour un sauveur. Je veux être le chef d’orchestre d’une équipe qui saura bien m’entourer. Et la différence, c’est que lorsque viendra le temps de prendre une décision, c’est moi qui l’aurai prise. Mais on doit travailler tous ensemble, les citoyens aussi qui font partie de la solution de bien des problèmes. »
LA FAMILLE, D’ACCORD
D’abord ne pensez pas qu’il s’est lancé dans la mêlée avec en arrière-plan une confortable pension de député. « La pension fédérale, j’y ai droit seulement à 55 ans », prend-il la peine de préciser. Mais il aurait pu attendre justement d’atteindre cet âge pour s’engager sur la scène montréalaise. « Quand je dis que je veux faire quelque chose pour Montréal, vous ne pouvez pas avoir meilleure preuve de la sincérité de mon engagement. Je risque le tout pour le tout. J’ai toujours été transparent. D’ailleurs, ayant toujours vécu ces dernières années à Montréal-Nord, mon modèle a été l’ancien maire de la Ville, Yves Ryan. C’était un modèle de proximité avec les gens. Nous avons été même voisins un temps. Et c’est ce que je veux être, auprès des Montréalais.
Quand j’ai annoncé à ma femme et à mes enfants mon désir de briguer la mairie, ils ont tous été d’accord pour m’encourager. Même que ma femme avait déjà des idées pour l’avenir de la ville. Pour mes enfants ce n’était pas plus dramatique, dans le sens qu’ils m’ont toujours connu en politique, avec l’éloignement que ça suppose. » Certains le voient déjà comme un maire populiste à la Camillien Houde ou Régis Labeaume. Louise Harel m’avait d’ailleurs prévenu que s’il voulait jouer cette carte là, c’était perdu d’avance vu le côté multiethnique de Montréal. Que répond-il? « Je n’ai pas à faire du Labeaume, je suis Denis Coderre et nous on a notre amphithéâtre depuis longtemps. Ma campagne électorale n’en sera pas une de salissage à l’endroit de mes adversaires. Faire ça c’est l’apanage des faibles. »
Et pourquoi se lancer en politique alors que de mes collègues pratiquent un journalisme de poubelles, toujours en quête d’un scandale? Ne faut-il pas être un peu masochiste? « D’abord je n’ai rien à me reprocher. Si j’aime la politique c’est que du temps que j’étais ministre j’ai voyagé dans des pays où l’on meurt pour obtenir le droit de vote. Je suis un farouche défenseur de la démocratie. J’ai eu, si on peut me permettre cette façon de voir les choses, la chance d’avoir été défait trois fois avant d’entrer à la Chambre des communes. Je sais ce que ça peut être dur, la politique, souvent blessant. Mais c’est comme ça. »
VOIR ET AGIR
Tout au long de l’entretien je l’ai beaucoup entendu parler de consultation. Nous avons fait le tour des problèmes courants qui affectent la ville. Les taxes, les gèlera-t-il ou pas? « Je veux vous dire que ce qui me préoccupe c’est la cohérence des gestes à poser. Nous payons des taxes élevées, c’est certain. Et j’aurai toujours à cœur de montrer aux gens comment chaque dollar sera dépensé. Si on est transparent avec le public, on va très bien comprendre. On ne fera pas les choses autrement, mais correctement. » Il compte présenter 103 candidats. Et pour ce qui est de la réduction du nombre d’élus, il ira étape par étapes, sans rien bousculer.
« Je veux créer un poste d’inspecteur général pour passer en revue tous les contrats de la Ville avec un mandat exécutoire. Qui pourra collaborer au besoin avec les autorités policières. » Et l’itinérance? « On voit bien que beaucoup d’entre eux ont des problèmes de santé grave. Je pense qu’il va falloir s’asseoir avec tous les intervenants du domaine et établir un pacte social. Mon but n’est pas de les rayer de la carte du jour au lendemain. Je suis pour le respect de la dignité humaine. » L’échangeur Turcot. Doit-on voir à sa démolition immédiate avant toute chose? « Il faut faire attention de ne pas aller trop rapidement car il y a des éléments de sécurité à prendre en compte. »
Je lui ai expliqué aussi les graves problèmes de la STM, dont l’air insalubre dans le métro par temps de canicule. « Je vais voir pour ce qu’il en est de la climatisation, si c’est faisable. » Et la police qui reprend goût aux coups de bâtons et à une attitude répressive? « On parle un peu trop vite de brutalité policière. Je suis totalement d’accord avec l’idée de manifester, mais dans le respect des lois. Moi-même j’ai participé à de nombreuses manifestations. Mais pas masqué et en donnant l’itinéraire. Ce n’est pas trop demander. »
PAS DE CONFLITS ETHNIQUES
Je voulais l’entendre me parler du danger d’anglicisation de Montréal dont on voit les effets pervers. Est-il d’accord pour un renforcement de la loi 101 et de son application stricte? « Lâchez-moi avec ça. S’il y en a un qui peut vous parler du multiculturalisme c’est bien moi, puisque j’ai été ministre fédéral de l’Immigration (il parle quatre langues, dont le créole et l’italien). Les immigrants, c’est une richesse pour Montréal. Qui est constituée de plusieurs communautés linguistiques. Je dis, il n’y a pas de communautés au pluriel mais une communauté montréalaise. Je ne veux pas créer de tensions ethniques. » Mais Monsieur Coderre, êtes-vous à l’aise vous avec l’idée qu’un Pakistanais du Mile-End ne sache même pas qui est Jean-Pierre Ferland?
« C’est bien simple, on lui fera entendre « T’es belle », il va aimer (rires). C’est pourquoi je suis content qu’il y ait de nombreux festivals multiethniques, notamment dans le Quartier des spectacles, pour permettre de mieux faire connaissance entre nous tous. Cela dit je suis pour la primauté du français, qui est notre signe distinctif. » Il est souvent reproché à la ville d’être sale. Qu’entend-il faire? « J’ai rencontré tous les chefs syndicaux, dont M. Parent des cols bleus. On s’est très bien entendu. Pour ce qui est de la propreté on pourrait s’inspirer des exemples de Paris ou de Boston, où les citoyens peuvent se servir de leur téléphone intelligent pour contacter directement les travaux publics et signaler qu’une poubelle déborde. Je le répète, les citoyens font partie de la solution. »
UNE CAMPAGNE DE FINANCEMENT SUR TWEETER
C’est bien connu, Denis Coderre est un accro des réseaux sociaux et il tweete autant que faire se peut. Va-t-il s’inspirer de Barack Obama, qui a orchestré une sensationnelle levée de fonds? Il répond par l’affirmative, précisant que les contributions ne devront pas dépasser cent dollars par personne. Et si jamais Justin Trudeau, à la faveur d’une vague, se retrouve à la tête d’un gouvernement majoritaire, est-ce que son ancien collègue député en profitera pour arracher plus de budget pour le renouveau des infrastructures? « Que ce soit un gouvernement libéral ou un autre, ils devront savoir que Montréal ne sera pas un club école. Montréal doit se faire respecter. »
On voit bien que sa détermination est à toute épreuve. À vaincre sans péril on triomphe sans gloire, comme dit l’adage. Des embûches, il y en aura d’ici novembre prochain. Mais sa longue expérience l’a bien préparé à faire face à la musique. Ne reste qu’à lui souhaiter bonne chance, comme aux autres. Il en aura bien besoin.