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La police sous enquÊte

Il n’y a pas une semaine sans que l’actualité ne nous rapporte des dérives au sein du Service de police de la Ville de Montréal et de la Sûreté du Québec. Nous avons rencontré un spécialiste du comportement policier, qui n’est pas loin de penser que notre police fait fausse route.

Stéphane Berthomet a passé vingt ans dans la police française. Il a fait ses débuts comme inspecteur dans le quartier Barbès, à Paris, le plus dur de la capitale française. Puis il est passé à l’antiterrorisme et ensuite comme rapporteur à l’Union européenne pour des dossiers interministériels dans sa spécialité. Il a ensuite rencontré là-bas une Québécoise qu’il a suivie jusqu’ici. Éditeur chez VLB et commentateur de l’action policière dans nos médias, c’est par un concours de circonstances qu’il s’est intéressé aux agissements de la police chez nous.

« Si vous voulez, j’avais décroché de tout ce qui concernait la police après tant d’années. Et lors des événements du printemps érable j’étais chez moi à regarder les violentes manifestations à la télévision. Et je n’en revenais pas de ce que je voyais. Jamais dans la police française on ne serait jamais intervenu de la sorte. »  Et il s’est fait confirmer le tout par un commandant des CRS français, escouade d’élite du contrôle des foules, à qui il a montré des vidéos des charges policières à Montréal. Ce qu’il reproche en gros à l’antiémeute, c’est d’avoir laissé dégénérer des situations au lieu d’extirper immédiatement les fauteurs de trouble.

MATRICULE 728, SES COLLÈGUES FAUTIFS

Berthomet a consigné ses observations dans un livre incontournable, Enquête sur la police, paru chez VLB. L’ouvrage s’ouvre sur ce cas inoubliable de la matricule 728. Il s’étonne de deux choses : « Outre le comportement injustifié de la policière, je suis surpris que ses collègues ne se soient pas interposés pour mettre fin à ses excès. En la laissant agir comme elle l’a fait, c’est comme si on venait confirmer une certaine façon de faire dans la police. Ensuite, comment expliquer que le directeur des poursuites criminelles et pénales n’ait pas ordonné de poursuite à son encontre? » De mon côté j’enchaîne avec l’hypothèse que c’est peut-être parce qu’elle en savait-elle trop, et qu’elle menaçait de tout balancer sur ce qui se passe à l’interne. Il répond par un petit haussement d’épaules.

Puis on passe à cette autre bavure, celle-là majeure, puisqu’elle a causé la mort du jeune Dany Villanueva. « Le rapport du coroner a été très clair, le policier Jean-Loup Lapointe n’a jamais été réellement en danger. Donc il n’aurait jamais dû se servir de son arme, puisqu’il ne se trouvait pas en situation de légitime défense. Il a même été la cause de la dégradation de la situation ». On sait que pour toute sentence il a été muté ailleurs. Dans son livre il rappelle qu’une fois le jeune abattu, ses collègues l’ont laissé retourner au poste avec l’arme qui a conduit au décès tragique. C’est contraire au code de procédures.

LE CAS ALAIN MAGLOIRE

Nous nous sommes vus le vendredi qui a suivi la mort d’Alain Magloire, abattu quelques jours plus tôt près de la centrale d’autobus au centre-ville de Montréal. Berthomet est éberlué des commentaires qui ont suivi : « Des gens se sont scandalisés en mettant de l’avant que c’était pire parce que Magloire n’était pas un itinérant, que c’était un type bien. Est-ce à dire que pour un itinérant ça pouvait aller, parce qu’eux sont des crottés? On a de curieuses attitudes vis-à-vis des itinérants. Avant de venir vous voir j’ai vu le gérant d’un McDo jeter dehors un de ceux-là, qui pourtant venait de s’acheter un café. Et même sur le trottoir il le refoulait. » Un manque d’humanité qui le laisse pantois.  

DES POLICIERS COLLECTEURS DE TICKETS

Récemment, à Longueuil, la police s’est amusée à piéger des automobilistes. En une journée on a récolté 30 000$. Que pense-t-il des quotas imposés aux policiers qui doivent distribuer un certain nombre de contraventions quotidiennement? « Ça ne devient plus un outil de prévention, mais un élément attendu du budget municipal. Les politiciens comptent maintenant là-dessus pour boucler les finances. Ça n’a pas de sens. Et les policiers s’exécutent, sinon ils vont entendre parler de coupures budgétaires.

LE DANGEREUX BENOIT ROBERGE

Les événements ont mis en surface des cas de policiers qui ont été de mèche avec le crime organisé, fournissant des renseignements de première main en échange de fortes sommes d’argent comme ce fut le cas avec Ian Davidson, qui s’est suicidé et qui fréquentait le fils du dauphin du chef des Hells Mom Boucher, Benoit Roberge, et Philippe Paul, qui lui est dans la ligne de mire des autorités et sur qui pèsent en ce moment de très graves allégations. « Le cas Roberge est quelque chose d’énorme. En France on a eu des cas de policiers ripoux, mais jamais dans les proportions d’un gars comme lui qui livrait aux Hells les stratégies de la police et qui se faisait payer des sommes très importantes. C’est inquiétant. »

IL FAUT CRÉER UNE POLICE DES POLICES

Il est coutume que lorsqu’il y a une bavure grave, c’est un autre corps policier qui se voit mener l’enquête. Une pratique qui ne doit pas avoir cours, selon notre homme. « Vous voyez ça d’ici, le SPVM enquête sur la SQ, qui elle enquête sur le SPVM. Il y a le risque de copinage car il peut arriver que des policiers se connaissent, car ils peuvent avoir été formés ensemble. En France nous avons l’IGPN, qu’on appelle communément la police des polices. Un corps totalement indépendant dont la règle est de ne tolérer aucun écart de conduite au sein de la police. Nous devrions avoir ici la même chose, car la loi a été créée au printemps dernier pour la création d’une telle instance, mais rien n’a encore été fait. » Et dans son livre il a eu la confidence de Gaétan Rivest, qui a été policier de la Sûreté du Québec, longtemps affecté aux crimes contre la personne, qui lui a confié que bien des rapports de police ont été trafiqués pour bien faire paraître un policier incriminé. Ce qui prouve la nécessité d’agir au plus vite.

CONTRE LA LÉGALISATION DU CANNABIS

Comme on sait que la criminalité prend sa source essentielle dans le trafic de drogue, comment voit-il la lutte menée par les corps policiers, et est-il en faveur de la légalisation du cannabis? Il sert une réponse qui ne fera pas plaisir à Justin Trudeau, qui s’est prononcé en faveur de sa commercialisation. « Je suis totalement contre. Pour la raison que si c’est légal, vers quoi pensez-vous que le crime organisé va se tourner? Vers les drogues dures assurément, qui seront devenues plus payantes. On déplace en réalité le problème. Penser qu’on viendra à bout de la drogue c’est une illusion. C’est comme enlever de l’eau à la petite cuillère dans un navire à la coque percée. Ça ne veut pas dire qu’il faut demeurer les bras croisés, mais la drogue est là pour rester. Les profits que la mafia réalise sont plus importants que le produit intérieur brut de bien des pays ». 

LES RELATIONS AVEC LES MÉDIAS FONT BARRAGE

J’ai demandé à Berthomet ce qu’il pense de la gouvernance de Marc Parent, le directeur du SPVM. « Il me semble être correct mais je pense qu’il se trouve aussi dans une situation inconfortable. Pour les fins de mon livre j’ai tenté de le rencontrer mais au service des relations avec les médias, on m’a laissé entendre que je n’avais pas grand chance. ». Je lui fais préciser s’il s’agit en l’occurrence de Ian Lafrenière, le commandant de cette escouade, réputé empêcheur de tourner en rond. Il confirme mais ne veut pas commenter la personnalité de l’individu. Il ajoute par contre : « Ça dépend du point de vue où on se place. Si son job c’est d’empêcher que des informations sortent, lui et son équipe font un bon travail. C’est pour les journalistes que c’est moins évident. »

UNE POLICE MIEUX ENTRAÎNÉE

Pour éviter des pertes de vie inutiles, Stéphane Berthomet suggère de revoir la formation des policiers avec plus d’heures de cours, avec l’accent sur la déontologie et l’étude des rapports de force. Quels sont les moyens qui peuvent être employés pour maîtriser un forcené? Il prône le recours au Taser le plus souvent possible. Il souhaite que nous ayons un service de police plus professionnel et mieux adapté à la nouvelle réalité sociale. En somme, une police exemplaire au service des citoyens. Sinon au train où vont les choses, il y a le risque que la population ne respecte même plus la police, faute de s’être respectée elle-même.