En découvrant « La Licorne captive », on n’a pas la sensation d’écouter un disque, mais de pénétrer dans un univers. Hors du temps, loin de la réalité, loin des villes, dans des campagnes hallucinées, des forêts de sortilèges. Et cependant, chaque mot, chaque note résonne en nous comme une piste familière. Des légendes oui, une atmosphère médiévale assurément, mais au-delà comme une pulsation intime, un écho secret à nos rêves, à nos peurs.
Laurent Guardo dit qu’au début de l’aventure il y eut le timbre singulier de la viole de gambe, entendue sur des mélodies de Purcell. La viole de gambe avec sa ligne de basse qui se fait mélodique et prend chant sans rien perdre de sa résonance grave, de son mystère originel. Ce son comme étouffé, menacé, à la fois court et ample, si proche de la voix, de la respiration humaine. Ce timbre qui n’évoque pas le bois cérémonieux, verni, mais le plus mat, la fibre blonde. Dans les notes les plus sourdes comme un battement de cœur, le cadre de temps et d’espace donnés à la musique, et puis la mélodie qui paraît naître de ce mouvement même, monter vers une liberté d’autant plus poignante qu’elle ne renie pas le lien qui l’attache au sol. Le vol avec le pas.
Un instrument profond, qui rencontre un désir encore informulé, mais Laurent Guardo sent qu’il tient là le début d’un chemin. La route sera longue. Près de dix ans pour écrire et composer les chansons de « La Licorne captive ». Pour chaque pièce, une année entière. À chaque fois, le texte précédera la musique. Des histoires, des mots enracinés dans le terroir profond d’un imaginaire enfoui. Des mots d’amour, de sang, de forêts, d’hivers et de rivières, des mots qui disent les reflets cachés et les peurs ancestrales. Des mots que Laurent Guardo a pesés un à un pour leur force poétique, le pouvoir de nous rencontrer. Et des mots de Rimbaud parfois. Peut-on dire toutefois que la musique est venue après ? On sent que tout le climat musical est là comme à l’avance, prêt à plonger dans l’onirisme du récit. Il y a donc eu des violes de gambe et des luths, mais aussi des tablas, des udus, et des gongs tibétains – des rencontres de sons à travers le temps et l’espace. Jusqu’aux guitares et à la basse, car « La Licorne captive » est aussi une œuvre moderne – l’universalité est toujours d’aujourd’hui.
Pourtant tout ce projet fervent ne serait pas lui-même s’il n’avait rencontré la ferveur de la voix qui lui donne corps. Laurent Guardo imaginait Daniel Lavoie. Comment penser qu’un autre ait pu incarner cette aventure ? Pour aussi magiques et fragiles qu’elles puissent sembler, certaines rencontres sont nécessaires. La voix du chanteur est si riche de voyages et de territoires inconnus, de résonances rauques et chaudes. Tout le monde a en tête cette émotion si particulière qui vous donnait la chair de poule rien qu’à entendre “Ils s’aiment… comme avant…” où le silence entre les mots semblait si habité. En ce qui concerne « La Licorne captive », c’est peu dire que Daniel Lavoie a habité le projet. Il en est la vibration ultime, le magicien qui d’un ample mouvement de sa cape noire nous emmène dans l’allée sombre de la forêt. Au loin, tout au bout, se dessine un cercle de lumière.
Des hasards qui n’en sont pas, des ondes partagées, une rencontre. Et nous, appelés au voyage, comme les enfants saisis par le charme du joueur de flûte de Hamelin, captifs émerveillés de la licorne.