en vain de rejoindre Yves Francoeur, le président de la Fraternité des policiers de Montréal. Le
responsable du syndicat, très courtois, nous avait fait le coup du gars très
occupé, reportant la possibilité de cet entretien aux calendes grecques. Mais
c’est sans connaître votre humble serviteur, qui ne décroche jamais. D’autant
que les conclusions du rapport Ménard venaient d’être rendues publiques, qui
n’épargnent pas les corps de police du SPVM et de la Sûreté du Québec, quant aux
stratégies employées pour circonscrire les manifestations et mettant l’accent
sur de multiples manquements.
Yves Francoeur, président de la Fraternité des policiers de Montréal – Photo: Le Devoir
On se souviendra que M. Francoeur avait
refusé toute participation à la commission, sous prétexte que la démarche était
biaisée à l’avance et que c’était une commande politique contre les forces de
l’ordre. D’ailleurs voici ce qu’a dit ce dernier lors du dévoilement du
rapport: « C’est une vraie farce. On vous l’a dit dès le départ, cette
commission manque de crédibilité. Les conclusions sont totalement irréalistes.
J’espère que ce document va prendre le bord des poubelles le plus rapidement
possible. Il ne mérite même pas d’être tabletté. »
Et la réaction du chef
de police du SPVM à La Presse
est une variation sur le même thème: « Je
ne dis pas qu’il n’y avait pas matière à réflexion ou à amélioration sur
certains points. Mais le rapport omet de rappeler comment, dans l’ensemble, les
policiers ont fait un travail exceptionnel dans des conditions difficiles.
J’aurais aimé au moins un paragraphe sur les aspects positifs des
interventions. »
CHEF DE POLICE, PRÉSIDENT SYNDICAL, MÊME DISCOURS
Alors
qu’Yves Francoeur tape sur la direction à longueur d’année, il est étonnant que
pour le rapport Ménard, il y a eu de leur part une rare unanimité. Donc il n’y
a pas de bavures dans la police. C’est ce que m’a dit sans gêne aucune M.
Francoeur, qui avait un gros quinze minutes pour nous: « Il n’y a pas de
bavures dans la police pour la simple raison que dans ma définition, une bavure
est un acte délibéré dans le but de nuire. Ce qui évidemment pas dans nos
intentions. »
Je
lui mets sur le nez des scènes auxquelles j’ai assisté lors du printemps érable
avec des gars de l’antiémeute qui se mettaient à quatre sur le dos d’une jeune
fille après l’avoir violemment projetée sur l’asphalte. Ou encore une solide
baffe administrée par un de ses hommes à un jeune manifestant. Et encore cette
scène rocambolesque d’une troupe de l’antiémeute qui, à la recherche d’un
fauteur de troubles, avait pénétré dans un restaurant de la rue St-Denis,
avait arrosé de poivre ce cayenne tous les convives qui se trouvaient à la
terrasse.
Le président de la Fraternité des policiers de Montréal a refusé
tout net de commenter. J’aurais pu ajouter la tristement matricule 728.
D’ailleurs, prévenu de mes intentions d’aborder les bavures du printemps érable,
on m’a même fait miroiter que l’entrevue pourrait ne pas avoir lieu, si je
partais à l’avance avec de telles intentions.
Je
lui ai rappelé l’excellente analyse des faits par Stéphane Berthomet, qui a été
interviewé dans nos colonnes au moment de la sortie de son livre « Enquête
sur la police » chez VLB, et qui dénonçait, lui l’expert, avec près de
vingt ans de pratique dans la police française des dérapages épouvantables.
Voici ce que répond M. Francoeur:
« Berthomet
n’est pas un expert du tout. Il a à peine six ans d’expérience. » Donc il
n’a aucune crédibilité à ses yeux. J’ai rapporté à ce dernier les appréciations
du leader syndical à son endroit. Voici comment il réagit:
« Il est bien connu que quand on ne peut attaquer le message, on
tente de discréditer le messager. Je ne m’abaisserai pas
à faire le détail de mes 17 années de service chaque fois que l’on essaie de
m’attaquer pour tenter de minimiser la portée de mes interventions. Quiconque
sait utiliser Google peut trouver la trace de mon parcours, de mes débuts en
poste de quartier jusqu’à mon dernier poste au niveau interministériel. Pour ce qui est de mon livre, on peut toujours s’en prendre à moi si
l’on veut, mais c’est le fruit d’une enquête vérifiée et documentée par un
travail journalistique d’une année que personne – malgré la révélation de faits
criminels – n’a été capable de contester à ce jour.
SUR LE RAPPROCHEMENT AVEC LE TRAVAIL DE LA POLICE FRANÇAISE
OU D’AUTRE CORPS POLICIERS ENTRE EUX:
« Si un tel
rapprochement dans les méthodes est si incongru, pourquoi les corps de police
se donnent-ils les uns aux autres des formations dans le monde entier en
matière de maintien de l’ordre et pourquoi le SPVM se vantait-il en 2013 de
recevoir d’autres corps policiers qui venaient s’inspirer de ses méthodes et de
son expertise? Comparer le maintien de l’ordre à Montréal et à Paris, ce n’est
pas comparer des pommes et des poires, c’est comparer un service peu
expérimenté en la matière et un autre qui possède 60 ans d’existence et il n’y
a aucune honte à vouloir apprendre des autres… si toutefois on est sincère
dans sa démarche. »
SUR LES BAVURES
« J’ai du mal à imaginer que l’on puisse prétendre qu’une
« bavure » – bien que je n’utilise personnellement jamais ce terme –
soit un geste uniquement volontaire, alors que le mot désigne en fait un
dérapage dans son sens large. Je sais que certains aiment bien jouer sur les
mots pour tordre la réalité, mais dans ce cas j’aimerais qu’on m’explique ce
que sont les comportements répétés de l’agente 728, si ce ne sont pas des
« bavures »? Je pense qu’une lecture du Larousse s’impose dans ce cas. »
J’ai d’ailleurs demandé à M. Francoeur pourquoi on ne fait pas
infiltrer ces groupes de contestataires par des policiers en civil, comme on le
fait régulièrement en France, de manière à extirper du lot les casseurs. Lui me
répond que c’est trop risqué. Que ça risque de dégénérer.
CE À QUOI RÉPOND M. BERTHOMET:
« Je pense
que c’est moins dangereux que de charger et faire bouger et parfois paniquer
une foule de centaines ou de milliers de personnes.
Créer la
panique au milieu d’une foule par une charge, c’est justement faire le jeu des
casseurs qui ont besoin de trouble pour agir.
Aller
chercher les casseurs même quand on est préparé et organisé pour le faire, ça
représente toujours un risque, comme toute arrestation d’ailleurs, mais si les
policiers préfèrent prendre le risque de blesser des gens qui ne sont pas des
casseurs plutôt que de s’attaquer aux véritables criminels, ça pose de drôles de
questions sur le rôle de la police.
Ceux qui voudraient faire de la police sans risque pour les policiers –
et je suis le premier à dire qu’il faut les minimiser autant que possible –
sont un peu comme ceux qui voudraient des guerres sans soldats blessés… »
Voilà, le débat est lancé. Mais rien ne va changer dans l’immédiat. Et le
fait que même le premier ministre Couillard a rejeté du revers de la main le
rapport Ménard est une sorte de feu vert aux pratiques actuelles de la police,
qui risquent d’empirer et de mettre de ce fait la démocratie en péril.
S’achemine-t-on en douce à un état policier où un chef de police, un chef syndical et des politiciens se donnent la main?
LES OPINIONS EXPRIMÉES SONT CELLES DE L’AUTEUR ET NE REFLÈTENT PAS NÉCESSAIREMENT CELLES DU PORTAIL DU GRAND MONTRÉAL LAMETROPOLE.COM