Devenir membre

Gilles latulippe n’est plus

Gilles Latulippe était le dernier représentant du comique de style
burlesque dont le genre s’apparente à la commedia dell’arte, qui mise
énormément sur l’improvisation et la bouffonnerie. Le rire qu’il provoque est
très direct, très visuel. Il doit à coup sûr distraire. Gilles Latulippe, né à
Montréal le 31 août 1937, en était le maître incontesté. Son père était
quincailler sur la rue Rouen, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve. La
famille Latulippe vivait au-dessus du commerce familial.

Une famille unie dont
le seul souci était le fils aîné Bernard, qui souffrait d’un grave diabète
juvénile. À cinq ans, Gilles passait son temps à écouter une émission
radiophonique très populaire à l’époque, Le
ralliement du rire
,à laquelle participait Marcel Gamache, qui allait jouer
un rôle considérable plus tard dans sa carrière comme scripteur. Il retenait la
plupart des gags et les répétaient à sa famille, qui rigolait des pitreries de
leur artiste de salon.

Il manifestait très peu de goût pour les études. La seule chose
qui semblait compter pour lui, c’était la connaissance de l’alphabet, pour
pouvoir retranscrire les blagues entendues. Sa vocation était toute trouvée, si
on considère sa binette à l’avenant. Gilles fréquentera ensuite durant cinq ans
une école commerciale, le collège Cordeau. Quand il en sort, il se retrouve
messager à la discothèque de Radio-Canada. Un de ses camarades de travail a
pour nom Yvon Deschamps. Ce dernier, au courant des ambitions artistiques de
son ami, l’incite à suivre des cours avec le grand comédien François Rozet.
Deux ans de cours, pendant lesquels le jeune apprenti comédien s’exercera aux
rôles classiques. Gilles naîtra une deuxième fois le 1er avril 1959,
quand il se retrouvera parmi les comédiens du programme de la Bande à Bonnot
d’Henri François Rey, présenté un seul soir à la Comédie canadienne, dans le
cadre du Festival d’art dramatique de Montréal. La mise en scène était de Paul
Buissonneau. C’est Yvon Deschamps qui avait encore une fois joué à
l’entremetteur.

Dans la salle, ce soir-là, se trouve Gratien Gélinas, à la
recherche de celui qui pourrait incarner le frère Nolasque dans sa prochaine
pièce, Bousille et les justes. Il
voit en Latulippe son candidat tout trouvé. Le soir de la première, avant même
que Latulippe n’ait ouvert la bouche, le public se met à rire aux éclats. Le
personnage secondaire, le frère Nolasque, a fini par voler la vedette. Durant
deux ans la production sera en tournée à travers le Canada et même aussi loin
que Seattle.

Un nouveau chapitre s’ouvre dans la vie de Gilles Latulippe, c’est
le monde des cabarets, sa plus grande école, qui durera une décennie. Son tout
premier établissement sera le Riviera à Trois-Rivières, en 1963, en compagnie
de son partenaire Robert Desroches. La nuit, il peinait dans ces boîtes pas
toujours reposantes, et le jour le voyait à ses premières participations aux
émissions de télévision. D’abord à Radio-Canada, dans La Boîte à surprises et Le
Pirate Maboule
. Puis c’est le saut rue Alexandre-DeSève, au canal 10, avec
Titoto le clown, où il livrait des contes aux tout-petits.

De 1963, première année de diffusion du Zoo du Capitaine Bonhomme avec Olivier Guimond, son idole, jusqu’à
1993, dernière année des Démons du midi
avec Suzanne Lapointe, Gilles Latulippe aura été le comédien qui aura le plus
joué à la télévision. Parfois jusqu’à deux ou trois émissions par saison. Qu’on
se souvienne également de ses participations dans Cré Basile, Cinq à six, Symphorien, Les Tannants, Le Qui club,
Alors raconte, Lecoq et fils, Parle parle
jase jase
avec Alain Stanké, Les
Brillants
, Poivre et sel, etc.

Mais sa grande aventure demeure la fondation du Théâtre des
Variétés, qui ouvrira ses portes le 23 septembre 1967 au 4530 de la rue
Papineau. Qu’il inaugure en cette même année où il unira à tout jamais sa
destinée à Suzanne Gagnon. Durant 33 ans, ce lieu deviendra le temple du
burlesque. Sans jamais recevoir aucune subvention, le public accourant de
partout dans la province, viendra soir après soir remplir les 726 places et rire
aux numéros des Jean Grimaldi, Olivier Guimond, Denis Drouin, Manda, Rose
Ouellette et Paul Desmarteaux, pour ne citer que quelques noms.

On reprenait la
formule qui avait fait la gloire du Théâtre National. Gilles Latulippe
souhaitait que ces artistes puissent perpétuer la tradition du burlesque. Au
début on changeait de pièce chaque semaine, puis après, les représentations
s’étirèrent sur quelques semaines. Mais c’est surtout pour voir jouer son
maître, Olivier Guimond, qu’il a investi temps et argent dans la transformation
de ce qui était l’ancien Théâtre Dominion.

Au milieu des années quatre-vingt, l’Union des artistes exercera des pressions pour que Gilles Latulippe reconnaisse la
juridiction du syndicat dans son théâtre. Le président de l’UDA d’alors, Serge
Turgeon, aura des mots très durs à l’endroit du directeur artistique, accusant
celui-ci d’exploiter les artistes. Latulippe tentera de s’opposer aux pressions
exercées, mais en vain. Désormais le Théâtre des Variétés devait se conformer
aux règles de l’Union.

Avec les ans le burlesque tomba en désuétude. Les grands noms du
genre étaient presque tous décédés, et Gilles Latulippe restait le seul
héritier. Ensuite, son fils Olivier, prénommé ainsi en hommage à Olivier
Guimond, se destinait au droit et n’avait pas l’intention de reprendre le
flambeau. À un moment donné on s’essaya dans le répertoire classique en
présentant Le système Ribadier, de
Feydeau. C’est la seule fois où une production ne fit pas ses frais.

Gilles
Latulippe prit donc la décision de vendre le Théâtre, qui fermera
officiellement ses portes le 28 mai 2000. L’emplacement porte maintenant le nom
de la salle La Tulipe, baptisée ainsi en souvenir de l’humoriste. Dès lors il
se consacrera au théâtre d’été et dans l’édition de livres de gags au rythme de
presqu’un titre par année. Arrive le temps de la reconnaissance en haut lieu.
En 2007, lors du Gala des prix Gémeaux, il reçoit le Grand Prix marquant
l’ensemble de sa carrière.

Et deux ans plus tard, à l’occasion de son 50e
anniversaire de vie artistique, c’est l’Assemblée nationale qui soulignera ses
mérites en lui octroyant l’insigne de chevalier de l’Ordre national du Québec.
 

Gilles Latulippe avait l’habitude de dire que dans la vie, rien
n’était assez grave pour s’empêcher de sourire. Aujourd’hui, avec l’annonce de
la disparition du comique, on comprendra que le sourire nous vienne un peu plus
difficilement.