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Paul buissonneau mort dans la solitude

Je suis bien placé pour en parler, puisque je suis allé lui rendre visite chez lui, le dimanche 26 octobre dernier, à la demande de Chloé Sainte-Marie, qui me faisait part qu’il s’ennuyait à mourir, que personne ne venait le voir. C’est ça que vous ne lirez pas dans les journaux et qui ne sera surtout pas dit dans les télés et radios. Où était-il donc, les comédiens survivants de la Roulotte qu’il avait créée, lui, qui a donné sa chance à tant de grands noms du spectacle de maintenant? Je ne nommerai personne pour ne pas faire de procès d’intentions.

Seul Gérard Poirier lui a écrit une belle lettre. Que Paul était tout heureux de me faire lire, soulignant la grande classe de toujours de cet homme de cœur. Mais pour le reste, le temps qu’il lui restait, il le passait à chercher de l’air, lui qui était en grave insuffisance respiratoire. Chloé Sainte-Marie, qui a le cœur plus grand que sa personne, le voyait assez souvent, lui demandant même de lui faire la mise en scène de son prochain spectacle de février prochain à la Place des Arts. Et pour cet homme grandement diminué, ça lui redonnait un peu de dignité.

EN VOISIN DE MOZART

Nous avons eu l’occasion de travailler deux ou trois fois ensemble. À une occasion il avait animé un de mes concerts à l’Église Saint-Jean Baptiste. Comme il n’aimait pas lire des textes et encore moins les mémoriser, on avait opté pour une formule où je l’interviewais comme ayant été un témoin, voisin de Mozart. Et il avait fait s’esclaffer l’auditoire de plus de deux mille personnes avec un commentaire du genre. Vous connaissez le personnage qu’il était et tonitruant? Imaginez-le dire ceci:

« Ouais tu parles de sa maudite petite musique de nuit. À trois heures du matin il nous cassait les couilles avec sa mélodie. Je prenais ma moppe et je donnais des coups dans le plafond pour le faire taire ».  Ce jour-là il avait mis sur la tête un tricorne, qu’il avait trouvé dans son bric-à-brac.


Paul Buissonneau devient « Citoyen d’honneur » de Montréal le 5 septembre 2014.

On a dit qu’il avait mauvais caractère. Mais non. Au Québec, dès que tu fais observer à quelqu’un qu’on ne doit pas arriver sur le plateau, même une seule minute en retard, on te brandit aussitôt la Charte des droits et libertés. Le Québécois est si susceptible. C’est comme pour la Filiatrault, ses exigences sont en lien avec le professionnalisme qu’elle attend de son monde. Pareil pour Buissonneau. Il était râleur, oui, mais deux secondes après il vous faisait un clin d’œil.



IL CHERCHAIT SON OXYGÈNE

Quand je l’ai vu chez lui dans sa petite chambre, c’était une scène pénible. D’abord, il était devenu dur de la feuille et il fallait lui parler fort pour se faire comprendre. Le son de la télé était à tue-tête. C’est vous dire. Il était vêtu d’un unique et volumineux t-shirt. Sur le coup il ne m’a pas reconnu, comme un peu « groggy ». C’est après lui avoir rappelé l’épisode du concert Mozart qu’il est devenu plus éveillé. Mais il râlait, pas comme le français râleur qu’il était, mais le râle de celui qui cherche son oxygène. Ce qui n’aidait pas, c’est qu’il était en surpoids. Au moins 50 kilos de trop, lui qui était déjà très arrondi merci. Des gens du CLSC voisin venaient lui faire sa toilette.

CE SERA LA DERNIÈRE FOIS QUE JE LE VERRAI

Chloé Sainte-Marie avait acheté plein de boustifailles, dont des huîtres à profusion. Et moi de lui apporter une bouteille de vin rouge baptisée « Cuvée du Vatican ».  Ça l’avait bien amusé. Il s’était avancé près de la table avec sa marchette, à pas très mesurés, cherchant continuellement à respirer. Et il a mangé avec un bon appétit, rappelant qu’à la grande époque de sa vie active il dépensait des sommes folles dans des restaurants. Il s’étouffait parfois, cherchant toujours son air. Et moi de me dire intérieurement que c’était sans doute un des derniers moments où je le verrais. Mon intuition ne m’a pas trompé et je l’ai dit en sortant à Chloé.

À L’HÔPITAL IL N’ALLAIT PLUS EN RESSORTIR

Au Salon du livre de Montréal, je suis allé saluer Chloé Sainte-Marie à son kiosque, où elle dédicaçait son formidable recueil de poésie assorti de deux CD. Elle m’a alors informé que Paul avait été admis d’urgence à l’hôpital Hôtel-Dieu, me demandant d’aller le voir. Mon calendrier serré ne me le permettait pas. C’était une excuse que je me donnais, car quand on veut véritablement une chose, on trouve le temps. Bien honnêtement, ça ne me disait pas d’être témoin de ses derniers instants.

Il était déjà si grandement diminué chez lui, scène pénible entre toutes, qu’est-ce que ça m’aurait donné, dans le contexte d’une hospitalisation grave où sans doute était-il dans un état d’inconscience. Chloé pressentait qu’il n’en ressortirait pas. Elle a eu raison. Et c’est que je souhaitais de mieux pour lui. Il n’avait aucune qualité de vie et ce n’est pas ce qu’on souhaite à quelqu’un qui incarnait tellement la vivacité.

Il repose maintenant en paix, étant allé rejoindre entre autres là-haut Édith Piaf, avec qui il avait chanté du temps des Compagnons de la chanson. Comme la Piaf l’a chanté, Dieu réunit ceux qui s’aiment.

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