RH –
La fée verte c’est le nom qu’on donnait à l’Absinthe autrefois.
Racontez-nous l’origine de cette boisson alcoolisée et comment on la
fabriquait.
MANFRED AUDARD –
L’Absinthe est une plante qu’on retrouve sous deux formes : la grande
et la petite Absinthe. Considérée comme une plante médicinale depuis
l’Antiquité, elle était utilisée pour soigner de nombreuses maladies: la
grippe, la fièvre, les maux de ventre, l’épilepsie et bien d’autres. En
Grèce, on lui attribue des vertus aphrodisiaques.
À la fin du
18e siècle, le docteur Pierre Ordinaire parcourt la région du
Val-de-Travers et prescrit un élixir d’Absinthe à ses patients qui, en
moins de temps qu’il ne faut pour le dire, guérissent. Il transmet la
recette à la Mère Henriod qui la vend au Major Dubied qui crée la
première distillerie d’Absinthe. C’est la naissance de l’Absinthe sous
forme d’alcool.
Comme le dit justement Nicolas Nyfeler,
copropriétaire des Absinthes Larusée: « il est très facile de faire de
l’Absinthe, par contre en faire une bonne, ce n’est pas donné à tout le
monde ». Tout est une histoire de sélection d’ingrédients et de pesage.
L’Absinthe
s’obtient en distillant les plantes d’Absinthe: la petite et la grande,
auxquelles on ajoute différents aromates comme l’anis vert, l’anis
étoilé, le fenouil, la coriandre. Dans la Larusée Bleue, il y a plus de
11 aromates différents, soigneusement triés par Jean-Pierre Candaux,
maître distillateur.
Aurélie Candaux, Jean-Pierre Candaux, Danièle Candaux et Nicolas Nyfeler, des Absinthes Larusée.
RH –
L’Absinthe a été extrêmement populaire en Europe jusqu’au début du XXe
siècle. Quelles ont été les causes de sa déchéance et de sa prohibition
pendant un siècle?
MANFRED AUDARD – Dans les années 1870,
tout le monde consomme de l’Absinthe en France. C’est l’apéritif numéro
1 avec près de 80% des parts de marché. Des centaines de distilleries
fleurissent en France, en majorité dans la région de Pontarlier, à la
frontière Suisse. L’Absinthe est consommée par les hommes, les femmes,
les jeunes, les personnes âgées, les militaires, les bourgeois, les
ouvriers, c’est une vraie mode.
À cette même époque, le vignoble
français, et européen, est touché par le phylloxéra, un insecte qui
détruit la vigne. L’offre de vin se raréfie et les prix de distribution
augmentent. L’Absinthe en profite. Mais cet événement marquera sa fin.
Après
avoir trouvé des solutions efficaces au phylloxéra, les vignerons
s’inquiètent du succès grandissant de l’Absinthe et commencent à
s’organiser pour la diaboliser. « L’Absinthe rend fou », « l’Absinthe va
tuer nos enfants », des affiches apparaissent aux quatre coins de Paris
mettant en garde contre les supposés effets néfastes de cet alcool. Les
ligues hygiénistes prennent le relai et attribuent à la consommation
d’Absinthe des faits divers sordides. La rumeur prend de l’ampleur et
arrive jusqu’aux oreilles du gouvernement qui interdit la production
d’Absinthe en 1915.
RH – Est-ce que l’Absinthe rend vraiment fou?
MANFRED AUDARD –
Absolument pas. Pour que la thuyone – la molécule en cause lors de
l’interdiction de l’Absinthe – soit néfaste pour la santé, il faudrait
consommer l’équivalent de 30 litres d’Absinthe pure par jour.
Il
est également pertinent de noter que la thuyone est naturellement
présente dans la sauge, à des doses plus élevées que dans l’Absinthe
sans que personne n’ait pensé à interdire sa consommation.
RH – Donc
aujourd’hui l’Absinthe a réintégré la communauté des boissons
alcoolisées permises par les départements de santé des principaux pays
du monde. Quels sont les pays qui la fabriquent à nouveau?
MANFRED AUDARD –
Il est à nouveau légal de produire de l’Absinthe en France depuis 2010,
qui reste avec la Suisse le plus gros producteur de cet alcool. On peut
également retrouver des Absinthes tchèques, allemandes, suédoises.
RH – Quel est le goût de l’absinthe et combien de types on en trouve sur le marché?
MANFRED AUDARD –
L’Absinthe est une liqueur de plante avec des arômes proches de la
Chartreuse. Il y a de l’anis qui va vous rappeler le pastis. Enfin,
certains parallèles peuvent s’établir entre le Gin et l’Absinthe car on y
retrouve des aromates similaires.
On trouve sur le marché
québécois des Absinthes blanches très désaltérantes, faciles à boire,
surtout en été. On peut penser à la Larusée Bleue. Il est également
possible de dénicher quelques Absinthes vertes, obtenues par macération:
après la distillation, on plonge un bouquet de plante dans une Absinthe
blanche, c’est à ce moment que l’Absinthe prend la couleur verte suite
au transfert de chlorophylle. La Larusée Verte, Coq Vert ou encore la
Valkyria sont d’excellentes Absinthes vertes.
RH – Vous êtes un consommateur d’Absinthe, quel est son degré d’alcool et comment et quand doit-on la boire?
MANFRED AUDARD – Le
degré d’alcool des Absinthes peut varier entre 55° et 68° d’alcool. Une
Absinthe forte en alcool peut s’avérer très douce et suave en bouche,
c’est le cas de la Larusée Verte qui titre à 65° d’alcool.
On
peut boire l’Absinthe en shooter, à l’apéritif (une dose d’Absinthe,
deux doses d’eau bien fraiche), en digestif (une dose d’Absinthe, une
dose d’eau bien fraiche). Certaines Absinthes amères peuvent
s’accompagner d’un sucre.
L’Absinthe se marie parfaitement bien
dans de nombreux cocktails: un mimosa à l’Absinthe (Absinthe, jus
d’orange, eau gazeuse) ou bien un mojito revisité (Absinthe, menthe,
lime).
RH – En quoi l’Absinthe est différente des boissons à base d’anis comme le Pastis ou l’Arak?
MANFRED AUDARD –
La principale différence réside dans les ingrédients : les alcools que
vous citez ne contiennent pas de plante d’Absinthe. Comme le pastis ou
l’arak, mais également l’ouzo ou le raki, l’Absinthe contient par contre
de l’anis.
RH – Vous êtes actuellement le principal promoteur d’Absinthe au Québec. Pouvez-vous nous décrire quelques Absinthes intéressantes?
MANFRED AUDARD –
J’ai un faible pour les Absinthes Larusée. Il s’agit d’une distillerie
récemment créée mais qui est déjà parvenue à se tailler une très belle
place. C’est 100% artisanal et 100% familial.
La Larusée Bleue
est un véritable délice. C’est une Absinthe d’été, facile à boire et
parfaite pour s’initier à cet alcool. Elle révèle des arômes de
réglisse, de poivre et de menthe. L’anis est bien fondu et ravira les
néophytes.
La Larusée Verte est une Absinthe de connaisseur.
Elle est plus puissante et plus riche que la Bleue. On y décèle des
notes alpines de sapin, de miel, de térébenthine, de fleurs blanches et
d’amandes. La bouche est très végétale et montagnarde; c’est le type
d’Absinthe que j’adore.
RH –
Le consommateur qui veut découvrir l’Absinthe, où peut-il la trouver?
Est-ce qu’il y a des bars qui la servent actuellement? Est-ce qu’on peut
la trouver dans les succursales de la SAQ?
MANFRED AUDARD –
Les deux magasins SAQ Signature à Montréal et à Québec proposent une
très belle gamme d’Absinthe. Notez que ces deux magasins livrent à
domicile sans frais par Poste Canada à travers la province.
C’est
plus difficile de trouver de bonnes Absinthes artisanales dans un
magasin SAQ à proximité de chez soi mais nous travaillons d’arrache-pied
pour convaincre le monopole de faire découvrir ce magnifique alcool à
l’ensemble des consommateurs québécois.
On peut également
déguster de l’Absinthe dans de nombreux bars et restaurants à travers la
province: l’Intercontinental de Montréal dispose d’un magnifique bar à
Absinthes, le Sarah B (360 Saint Antoine Ouest), le Lab. près du Parc
Lafontaine (1351 Rachel Est) propose aussi un très beau choix
d’Absinthes. À Québec, vous pouvez la trouver au bar Société Cuisine et
Mixlogie (2360 chemin Ste-Foy). Si vous êtes de passage à Sherbrooke,
arrêtez-vous au King Hall (286 rue King Ouest) où une magnifique
fontaine à Absinthe vous attend.
RH – Quel est l’ordre de prix?
MANFRED AUDARD –
- Le Pontarlier Anis de la Distillerie Armand Guy de France coûte 50$ le litre à la SAQ, code 10808994.
- Le
Coq Vert de la Distillerie Muse de France est vendu en coffret avec
une cuillère à Absinthe à 99$ les 500 ml. Code SAQ 12345073. - La Valkyria de la Distillerie Sankta Annas de Suède coûte 80$ le flacon de 500 ml, code SAQ 12345031.
- La Larusée Bleue de la Distillerie Larusée de Suisse, coûte 99$ pour 700 ml, code SAQ 12338527.
- La Larusée Verte de la Distillerie Larusée, vaut 120$ pour 700 ml, code SAQ 12338578.
RH – Merci de m’avoir accordé cette entrevue, MANFRED AUDARD.
MANFRED AUDARD –
Merci à vous, Roger, de mettre en avant ce magnifique spiritueux qu’est
l’Absinthe. Après un long oubli, l’Absinthe est de retour!
Bulles Mousse et Tanins (IMPORTATIONS BMT).
Manfred Audard
Tél. : 514-814-5718