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Nico, kimono et sakÉ

Le Japon est un pays qui nous fascine et qui demeure mystérieux en dépit de nos nombreux échanges commerciaux et culturels. J’ai voulu avoir une autre vision que celle d’Amélie Nothomb et j’ai demandé à la journaliste et gastronome Nico Fujita de m’accorder une entrevue pour qu’elle nous raconte la vie de tous les jours d’une Japonaise, la sienne. Voici ce qu’elle m’a confié.

RH – Nico-san, on dit que l’éducation au Japon est très stricte et que les enfants sont soumis à une grande discipline. Comment a été votre enfance?

NICO FUJITA – C’est vrai que quand j’étais jeune, la coopération était un des principaux piliers de l’éducation japonaise. Nous devions être suffisamment polis pour coopérer harmonieusement avec les autres. De nos jours, en éducation, on met également l’importance sur le développement de la personnalité individuelle.

Quant à moi, j’ai grandi librement, choyée par mes parents. Il y avait beaucoup d’ambassades près de chez nous et mon «parc» préféré était un supermarché des produits importés pour les étrangers. J’y ai rencontré pour la première fois les produits comme Pez et Baskin-Robbins.

RH – Les jeunes occidentaux contestent à l’adolescence non seulement l’autorité de leurs parents mais toute autorité, celle de l’école notamment. La société des adolescents est un monde à part où, entre autres choses, on découvre l’amour. Comment étiez-vous à l’adolescence?

NICO FUJITA – Je suis allée à une école secondaire pour filles dirigée par une mission catholique française. À l’époque, il y avait dans la société des vents de rébellion contre l’autorité mais je passais du temps heureux, avec mes amies, en éclatant de rire pour rien ou en mangeant de grands parfaits au chocolat. Par ailleurs, les études pour entrer à l’université étaient exigeantes et j’allais le soir après l’école à une deuxième école d’appoint.

RH – Racontez-nous votre vie de jeune adulte.

NICO FUJITA – À l’université, j’ai appris la langue et la littérature françaises. À cet effet, à chaque vacance j’allais en France. J’y fréquentais une école de langue ou voyageais un peu partout. Dans une famille d’accueil, un couple français se disputait tous les soirs, mais le lendemain matin, ils étaient toujours très amoureux; comme dans un film.

Après l’université, j’ai travaillé dans une banque, mais je voulais toujours retourner en France. Un jour, j’ai soumis ma candidature pour un poste d’attachée culturelle à l’Ambassade du Japon à Paris.

De me retrouver dans le domaine d’échanges culturels à Paris a été un des précieux trésors de ma vie. À Paris, j’ai collaboré à l’occasion avec un grand chef japonais qui faisait des démonstrations de cuisine japonaise à des restaurateurs célèbres. J’ai aussi fait un tour des restaurants étoilés avec une juge du guide Michelin. En vacances, je visitais des vignobles et j’ai fait l’expérience des vendanges. J’ai aussi assisté à des cours de cuisine française et étudié la mise en place.

Après cinq années en France j’ai passé trois ans au Sénégal, où j’ai découvert l’esprit de partage. Les Sénégalais partageaient les repas dans la pauvreté économique. Une fois, un ami est venu me voir à pied, parce que j’étais malade. Il n’avait pas d’argent pour prendre un autobus et il a marché deux heures et demie. La beauté de cette gentillesse m’a profondément touchée.

J’ai également vécu au Maroc pendant deux ans et demi. Ma fille a été accueillie comme une princesse. Les Marocains adorent les enfants. Chaque vendredi midi, ma fille était invitée chez les Marocains pour manger le couscous à la main. Même aujourd’hui, le couscous reste son plat préféré.

RH – Qu’est-ce qui vous a amené à choisir le Canada pour vivre?

NICO FUJITA – Je suis venue à Montréal en novembre 2004. Ce qui m’a agréablement surpris, c’est qu’il y avait beaucoup d’immigrants d’un peu partout. Pour la gastronomie, c’est un endroit idéal pour apprécier les cuisines de différents pays. J’ai quitté le corps diplomatique un peu plus tard, et je suis devenue une simple citoyenne japonaise. J’adore Montréal et ses habitants qui nous encouragent à vivre joyeusement.

RH – Comment êtes-vous devenue journaliste dans le secteur de la gastronomie?

NICO FUJITA – Mon itinéraire assez particulier m’a permis d’établir une riche culture gastronomique. Ma curiosité pour les cuisines du monde m’a procuré des rencontres intéressantes et inspirantes. Je voulais partager ces moments précieux car j’aime écrire et communiquer. J’ai été très heureuse lorsque j’ai passé mon examen de critique en gastronomie.

Maintenant, j’écris une chronique appelée «Lettre de l’étranger» sur le site Internet de la Foodanalyst Association, qui est l’Association japonaise des critiques gastronomes. Cette année, j’ai été élue membre du conseil d’administration. J’écris également pour le journal Coco Montréal et le magazine Touristica. Je souhaite devenir un petit ingrédient secret des échanges entre le Japon et le monde dans le domaine de la gastronomie.

RH – Quelles sont les cuisines que vous aimez le plus?

NICO FUJITA – J’aime particulièrement la cuisine qui utilise des légumes et des champignons: risotto al funghi italien, riz parfumé de matsutake japonais, salade printanière avec pissenlits, salade d’hiver avec endives… La soupe de fèves à la sarriette préparée par Robuchon demeure un délice mémorable. Je n’oublierai pas le parfum subtil de fèves et sa texture élégante… Quant au poisson, j’aime le sashimi et également le St. Pierre au four, enrobé de sel.

RH – Quels sont vos restaurants préférés au Québec?

NICO FUJITA – Le premier restaurant où je suis allée à Montréal, c’est Laloux. Je l’ai choisi par hasard et j’en garde un très bon souvenir. Pour le sushi, je vais chez Juni ou Saïko. Pour le dessert, c’est Patrice Pâtissier. Pour le vin… j’adore le boire à la maison!

RH – Quelles sont les cuisines du monde que vous aimez le plus, et pourquoi?

NICO FUJITA –J’aime avant tout la cuisine française, qui m’a éveillée à la profondeur du monde culinaire. Évidemment, j’adore la cuisine japonaise, autant la cuisine raffinée comme le «Kaiseki» que la cuisine familiale, comme celle de ma mère.

RH – Comment définiriez-vous la cuisine japonaise?

NICO FUJITA – En un mot, c’est l’équilibre. Pour la méthode, c’est l’équilibre entre couper, mijoter, griller, frire ou étuver. Pour la couleur, c’est l’équilibre entre le rouge, le vert, le jaune, le blanc et le noir. Ce sont les équilibres de températures, de quantité; l’équilibre entre l’acidité, le sucré, le piquant, l’amer, le salé et le awai.

RH – Avec quelles boissons on accompagne la cuisine japonaise?

NICO FUJITA – Le thé vert dans toutes ses variétés, de l’eau et bien sûr, le saké.

RH – Quels sont les meilleurs vins pour accompagner la cuisine japonaise?

NICO FUJITA – Pour la cuisine japonaise, l’idéal c’est de l’accompagner de vin Koshu du Japon. Mais ici c’est impossible. Un vin blanc sec minéral accompagne généralement bien les sushis. Pour le poisson grillé, un vin blanc avec une acidité et des flaveurs d’agrume. Pour la viande, un vin blanc crémeux et riche ou un rouge fruité. Avec le tempura, un mousseux se boit très bien.

RH – Parlons du saké. Quelle est son origine?

NICO FUJITA – La fabrication du saké a été introduite de Chine au Japon à la période Yayoi au IIIe siècle. Au début, le saké était servi surtout lors de cérémonies religieuses, mais à partir de la fin du XIIe siècle, on a commencé à le brasser et à le commercialiser pour le peuple.

RH – De quoi il est fait?

NICO FUJITA – De riz, d’eau et de Koji, qui est un ferment de riz.

RH – Comment classe-t-on les sakés?

NICO FUJITA – Nous pouvons classer les sakés selon l’ingrédient et le ratio entre le riz blanc et le riz brun (Daiginjo, Ginjo, Junmai, Honjozo, etc.). Ou selon le procédé de fabrication (Kizake, Taruzake, Nigorizake, Happoushu).

RH – Est-ce qu’il y a une cérémonie pour boire le saké comme il y en a une pour le thé?

NICO FUJITA – Il n’y a pas de cérémonie particulière. Mais au Nouvel An, on fabrique un saké médicamenté et on le boit dans une tasse en laque en se souhaitant bonne santé. Il y a également des coutumes comme le Hanami-saké, qui veut dire boire du sake en contemplant des fleurs de cerisiers au printemps, le Tsukimi-saké, en contemplant la pleine lune à l’automne, le Yukimi-saké, en contemplant la neige en hiver.

RH – Comment et quand on boit le saké?

NICO FUJITA – C’est comme le vin, chez vous. Quand on veut se détendre, apprécier mieux le repas, bavarder ou méditer. Pour boire le saké réchauffé, on utilise une petite tasse et un pichet minuscule. Pour le saké froid, ce sera un verre plus grand.

RH – Samy Rabbat m’a fait parvenir deux bouteilles de Saké que j’aimerais déguster avec vous. Pouvez-vous les décrire?

NICO FUJITA – Les deux bouteilles viennent de la préfecture de Kumamoto, au sud du Japon. La maison s’appelle «Chiyo no sono» qui veut dire «Jardin de mille ans». Le premier saké s’appelle Excel, il est classé comme « Daiginjo» dont le pourcentage de riz restant après le polissage est le plus bas et donc le plus raffiné.

RH – Comment dit-on à votre santé en japonais?

NICO FUJITA – Kampai!… qui veut dire «vider le verre».

RH – En français on dit: cul sec. Cul étant le fond d’un verre ou d’une bouteille.

NICO FUJITA – Sa couleur est jaune clair et brillant presque transparent. Le parfum est bien fruité, avec la fraîcheur du citron. Il est aussi agréablement nuancé de noisette. En bouche, la texture est riche mais la gorge est fraiche. Il a une merveilleuse complexité et une belle longueur.

RH – Le saké Daiginjo Excel est disponible à la SAQ, code 12258551, prix 86$.

NICO FUJITA – Un saké exquis, à mon avis.

RH – Voici la deuxième bouteille:

NICO FUJITA – Elle s’appelle «Kumamoto Shinriki», qui veut dire la puissance des dieux du Kumamoto. Elle est classée comme «Junmai Ginjo» dont le pourcentage de riz restant après le polissage est le deuxièmement plus petit et il n’y a pas d’addition d’alcool.

RH – Sa couleur est un peu différente.

NICO FUJITA – Elle est jaune clair et brillante, un petit peu plus foncée que celle de la première bouteille. Toujours fruité. La pomme verte. Mais surtout le parfum du riz vient tout droit. Crémeux et riche en bouche. On peut sentir la pureté et la puissance du riz agréablement.

RH – Lequel des deux sakés préférez-vous?

NICO FUJITA – Question difficile… je choisirais Daiginjo Excel pour les coquilles St-Jacques et Kumamoto Shinriki pour les côtelettes de veau.

RH –Le saké Kumamoto Shinriki est disponible à la SAQ, code 12568656, prix 41$.

NICO FUJITA – J’ai apporté deux autres bouteilles de saké. Toutes les deux sont «Junmai Ginjo» comme «Kumamoto Shinriki». Celle avec la fleur de cerisier s’appelle «Sakura Uzumaki» qui veut dire «Tourbillon de la fleur de cerisier». Un saké bien fruité et sec. L’autre bouteille en or s’appelle «Kippuku Kinju Masumi». Un saké très bien équilibré et ses parfums sont agréablement subtils. Sa longueur est incroyable.

RH – Je suis fasciné par les kimonos, dont les origines sont très anciennes, paraît-il.

NICO FUJITA – Les kimonos qui ressemblent à ceux de nos jours sont nés à la fin du VIIIe siècle.

RH – Combien de types de kimonos il-y-a?

NICO FUJITA – Pour les femmes, il y en a dix. Pour les hommes, on divise en deux, pour les cérémonies officielles et pour la vie quotidienne. Le choix d’un kimono est très important et se fait selon le statut marital, l’âge et la formalité de l’événement.

RH – De combien de parties est fait un kimono?

NICO FUJITA – Un kimono est fait d’un seul tissu. À l’extérieur du kimono, il y a l’obi, qui est la ceinture, l’eri, qui est le col, l’obiage et l’obijime, qui sont également pour la ceinture, le zori, qui est le soulier, le sac à main et la petite décoration pour les cheveux.

À l’intérieur, il y a trois épaisseurs de sous-vêtements, des bas et plusieurs accessoires pour la ceinture…

RH – Dans quelles circonstances les Japonaises portent-elles le kimono?

NICO FUJITA – Aux cérémonies officielles, au mariage, aux funérailles, ou pour certaines personnes, lors de petites visites chez des amis, ou aux musées, aux festivals d’été…

RH – Qu’est-ce qui vous manque le plus du Japon?

NICO FUJITA – Les sakés artisanaux dans les campagnes, les Onsen, qui sont des sources thermales et avant tout mes extraordinaires parents.

RH – Merci Nico-san de m’avoir accordé cette entrevue.

NICO FUJITA – C’est moi qui vous remercie, Roger-san. Arigato!

NICO FUJITA:

FOODANALYST.JP/LETTER

COCOMONTREAL.COM/NICO

SAMY RABBAT