Un quartier, trois rues et presque le paradis Rue Escalei. Par Laura Nicolae, Prix Robert-Cliche 2024, VLB éditeur, 408 p.
Depuis 3 ans, un travail d’éditorial soutenu ainsi que de lecture est réalisé autour du prix Robert Cliche qui souligne un premier roman. Je songe à Tout est Ori de Serge Paul Forest, Plessis de Joël Bégin sur Maurice Duplessis ainsi que La rumeur du Ressac de Line Richard. Ce prix avec un peu de publicité et l’indispensable bouche-à-oreille, sans oublier l’activité des libraires ainsi que des journalistes, se conçoit aisément comme une rampe de lancement.
Avec Rue Escalei, nous quittons les rives du Québec pour un petit village en Roumanie, encore sous la coupe du despote Caecescu qui sera passé ultérieurement par les armes. De ce pays si beau, il en aurait fait un lieu fermé ou l’armée que la sinistre Securitate espionnait ses concitoyens. Pauvre longtemps, mais enfin remis du choc dictatorial, il peut espérer revivre convenablement.
Professeur de littéraire, Laura Nicole a choisi le Québec comme terre d’accueil, il y a 25 ans. Entiremeht rédigé en français, elle nous raconte un peu à la manière de Marcel Pagnol, Jean Giono ou Michel Tremblay, la chronique du petit quartier d’Andronache à Bucarest et plus encore, celle de la rue Escalei. Malgré les privations et le gouvernement qui veille au grain, cette petite rue ou nombres de famille est établi, semble avoir échappé au temps. Certes, les misères sont bien présentes, mais tout le monde s’entraide, parfois avec de modestes trafics, mais jamais rien de compromettant.
Jusqu’au jour où le fonctionnaire Popescu (vulgaire, rapporteur du régime) ainsi que son chien sont laissés pour morts. Une enquête, mais pas sous la forme d’un polar, puisque l’auteure profite de ce crime imaginaire pour nous raconte ce que fut sa vie en 1975, dans cette Roumanie étouffée. Dans une communauté tissée serrée, vous allez croiser l’ingénieur, le fils du cordonnier qui va se marier, des enfants débrouillards, l’aviateur venu d’une autre époque, qui traîne sa part de douloureux souvenirs, issus de la Seconde Guerre mondiale, et ses amis disparus.
Nous sommes en Roumanie, mais la rue Escalei pourrait être celle de Mulberry du quartier italien de New York, avec son lot de nouveaux arrivants ou un coin de la Sicile, et pourquoi pas, comme nous le mentionnions, un lieu évanoui du Plateau Mont-Royal. De la nostalgie un peu, mais plus encore, un roman humaniste, attachant, peuplé de personnages et femmes fortes, qui auraient certainement attiré l’attention des habitants de La Cannebière. Délicieux.