Le Musée Pointe-à-Callière présente jusqu’au 15 septembre 2024, l’étonnante exposition Les Olmèques et les civilisations du golfe du Mexique, plus de mille ans d’histoire, d’échanges et de traditions culturelles. Près de 300 chefs-d’œuvre et d’objets symboliques y sont exhibés. Ils proviennent des collections nationales du Mexique et particulièrement du Museo Nacional de Antropología de Mexico.
Mésoamérique est un terme qui se réfère aux civilisations précolombiennes qui comprennent les territoires actuels du Mexique, du Guatemala, du Belize, du Salvador, du Nicaragua et du Costa-Rica, ainsi que de l’ouest du Honduras. Elle a connu cinq grandes civilisations : Olmèque, Teotihuacan, Toltèque, Maya et Aztèque. À la disparition de chacune de ses civilisations, la suivante absorbait son organisation et ses connaissances et les portait plus loin.
Les Olmèques constituent la première grande civilisation mésoaméricaine et l’une des plus importantes de l’Age de pierre. C’est la civilisation mère dont sont issues les autres jusqu’à la conquête espagnole qui a imposé d’autres principes et d’où est sortie une nouvelle civilisation métisse qui se prolonge jusqu’à aujourd’hui.
On ne connaît pas le nom que les Olmèques s’étaient donnés. Olmèque est un néologisme emprunté au nahuatl qui signifie gens du pays du caoutchouc, à cause des arbres à caoutchouc qui poussent sur leur territoire et que ce peuple savait travailler. Ils sont les inventeurs du jeu de balle qui servait à des fins religieuses et récréatives, et qui a été aussi pratiqué par les civilisations qui se sont épanouies plus tard.
Les Olmèques se sont établis dans le Golfe du Mexique vers 1200 av. J.C. Leur civilisation a connu trois étapes : la première débute avec la fondation d’une ville, connue aujourd’hui sous le nom de San Lorenzo ou Tenochtitlan.
On n’a pas trouvé des traces des Olmèques précédant la fondation de San Lorenzo. C’est comme si dès leur arrivée à San Lorenzo ils possédaient les connaissances qui leur ont permis de fonder une ville, pratiquer l’agriculture et s’épanouir. D’où venaient-ils? Leurs premiers vestiges sont des sculptures de pierre de grandes dimensions, qui montrent des têtes avec des traits indochinois ou polynésiens. Ils ont construit très vite une sorte de pyramide, tracé des rues, pratiqué une religion et cultivé du maïs. Leurs constructions étaient en adobe, recouvertes d’une couche d’argile mélangée avec du sable et séchée au soleil, qui leur donnait une grande durabilité.
On sait avec certitude que le continent américain a été d’abord colonisée par des vagues d’immigrants polynésiens qui seraient arrivés par voie maritime à partir de 20 000 ans avant J.C. Plus tard ce sont des peuplades de la Sibérie qui ont traversé le détroit de Béring et qui se sont établies surtout en Amérique du Nord, entre 16 o00 ans et 8 000 av. J.C. Étaient-ils tous des chasseurs–pêcheurs ou certains avaient déjà des balbutiements de civilisation stable?
Toutes les civilisations qui se sont développées du Pérou jusqu’aux États-Unis ont véhiculé des légendes qui racontent que leurs ancêtres venaient du sud, jamais du nord.
La civilisation la plus ancienne découverte sur le continent américain est celle de Caral au Pérou, qui est mil ans plus vieille que la ville olmèque de San Lorenzo. Les gens de Caral, ont transformé une plante sauvage dans cette merveille qu’est devenu le maïs, base de la nourriture de tellement de peuples américains. C’est à Caral qu’on a bâti les premières pyramides d’adobe, et tracé les premières rues. L’archéologie à ce jour n’a pas découvert toutes les civilisations qu’ont fleuri dans cette partie du monde. Il ne serait donc pas impossible que les Olmèques aient déjà possédé un bagage culturel important lorsqu’ils se sont établis dans le Golfe du Mexique.
On sait, que San Lorenzo était une ville urbanisée avec une orientation Nord-Sud, comme La Venta qu’ils ont fondé plus tard. Elle avait des grandes places, un temple pyramidal, plusieurs grands édifices et des maisons alignées formant des rues tracées.
Les Olmèques de San Lorenzo ont développé un art raffiné dans le travail de la pierre, sans l’aide d’instruments de métal. Ils ont d’abord taillé des têtes colossales qui pesaient entre 8 et 20 tonnes en basalte.
San Lorenzo comprend trois foyers urbains majeurs: San Lorenzo, Potrero Nuevo et Ténochtitlan. Sur les 17 têtes géantes qu’on a trouvées, 10 sont à San Lorenzo. Elles représentent probablement des caciques qui ont gouverné le pays olmèque. Toutes ont des traits différents mais aussi des analogies qui montrent leur origine asiatique : yeux en amande, pommettes saillantes, nez épaté et grosses lèvres comme les habitants d’aujourd’hui dans certaines régions du Cambodge, et toutes portent un casque.
Le basalte n’existe pas à San Lorenzo, ni à Las Ventas ni à Tres Zapotes, il se trouve dans les montagnes de la Sierra de los Tuxlas de Veracruz à 150 kilomètres de distance de San Lorenzo. Les Olmèques qui ne disposaient pas d’animaux de somme capables de déplacer de grands poids, n’avaient pas développé la roue. Les archéologues se sont demandés comment ont-ils fait pour transporter des pierres aussi lourdes jusqu’à San Lorenzo et les autres villes. La réponse se trouve probablement dans leur organisation. Ils ont créé des routes dans la forêt tropicale et ouvert des canaux pour profiter des avantages de l’eau. On a des preuves qu’ils ont taillé les têtes géantes sur place, pour avoir moins de poids à transporter. Comme les têtes étaient rondes, ils les ont fait rouler jusqu’à la rivière et ont fabriqué des radeaux pour les transporter par voie d’eau, le plus près de leur destination; finalement ils les ont encore fait rouler jusqu’à l’emplacement qu’ils leur avaient destiné. Un travail de Titans!
On a également trouvé plus d’une centaine d’autres sculptures de plus petite taille en basalte où le dieu Jaguar est souvent représenté.
Plus tard, les Olmèques ont produit des sculptures en pierres semi-précieuses comme la jadéite, la néphrite, la serpentine, l’obsidienne et le cristal de roche. Ils ont reproduit le corps humain avec grand’ art.
Un autre mystère de la culture Olmèque c’est que les sculptures les plus anciennes représentent des personnages avec des têtes rondes, des yeux en amande, des nez empâtés et des grosses lèvres, tandis que les statues en pierres semi-précieuses ont des visages allongés, des traits fins, et des yeux bridés. Il s’agit donc de types humains différents, ce qui nous amène à nous demander si les Olmèques n’ont pas été une mais plusieurs ethnies, dans la même civilisation. La destruction violente de la ville de San Lorenzo qui a eu lieu vers 900 avant J.C. pourrait s’expliquer par un conflit interracial pour le contrôle de la ville, sans écarter la possibilité d’une attaque de peuples étrangers ou d’un désastre tellurique dont l’histoire du Mexique a une longue expérience.
Comme la région était très favorable à la culture du maïs, San Lorenzo a connu un formidable développement, supporté par un système de canaux d’irrigation sophistiqués qu’ils ont su mettre en place.
Au fur et à mesure que la ville se développait, l’organisation se complexifiait, les castes devenaient plus étanches. Leur science s’enrichissait de concepts très avancés pour leur époque. Leurs vestiges montrent qu’ils étaient polythéistes. Parmi leurs multiples dieux, une dizaine se démarquent. Leur dieu principal était sans doute le dieu Jaguar auquel s’identifiait la caste guerrière. Ce dieu était souvent représenté moitié homme et moitié félin, portant parfois une coiffe et des bijoux. Avec le temps, le puissant dieu Jaguar est passé du rôle de protecteur des Olmèques à maître de l’univers. Il incarnait la puissance créatrice, la lumière et la force ténébreuse. On découvrira cette dualité chez certains autres de leurs dieux.
Notons que le dieu Jaguar a été présent dans toutes les cultures de l’Amérique précolombienne depuis la Patagonie, jusqu’aux États-Unis ce qui prouve que certaines idées circulaient de long en large et à travers toutes les époques.
La deuxième divinité en importance semble avoir été le dieu dragon connu sous le nom de Nahual. C’était un dieu bienveillant que les Olmèques associaient à la fertilité, à l’eau, à l’abondance des récoltes et aux saisons. Il était fréquemment représenté avec un corps reptilien et une tête humaine.
Dans l’ordre d’importance venait ensuite le Serpent à plumes, connu des Olmèques comme Quetzalcóatl ou Kukulkan. C’était le dieu du vent et du ciel, patron des prêtres et générateur de la civilisation, inspirateur du calendrier et de l’écriture. Il était également dieu de la fertilité, responsable de la race humaine et seigneur de la planète Vénus.
Il y avait ensuite le Dieu du maïs connu comme Centeotl, il était associé au cycle de la vie et de la mort. On le représentait comme un jeune homme portant une coiffe en épi de maïs. Pour les Olmèques qui ont bâti une civilisation agricole et qui dépendaient du maïs pour leur survie, le maïs était une plante sacrée.
Centeotl avait besoin de Tlaloc, le dieu de la Pluie, qui était représenté comme une divinité avec des yeux énormes et des crocs; il était associé au tonnerre, à la foudre et à la fertilité. Tlaloc était le seigneur des montagnes et des grottes où se trouvent les sources d’eau.
Dans l’univers Olmèque il y avait aussi Huehuetéol, le dieu du feu qui était doté d’une grande sagesse. On l’invoquait lorsqu’on avait besoin de s’orienter car il avait la maitrise des points cardinaux. D’après les Olmèques le dieu du feu siégeait au centre de l’univers, et On le considérait comme un guide spirituel.
Il était représenté en posture assise avec les bras croisés qui reposent sur ses jambes; il a des rides qui marquent son visage. Un brasier de charbons ardents repose sur sa tête.
Est-ce que les Olmèques pratiquaient des sacrifices humains? Oui, mais à la différence de leurs successeurs Téotihuacans et Aztèques qui procédaient à des sacrifices de masse, les Olmèques ne faisaient des sacrifices humains que dans des occasions de grave danger. Les sacrifiés servaient de messagers pour implorer l’aide de leurs dieux à vaincre leurs ennemis ou pour apaiser leur colère en cas de maladies collectives et des désastres naturels.
Vers 900 av J.C., la ville de San Lorenzo a été entièrement détruite, ce qui a favorisé le développement de La Venta dans l’état de Tabasco, où une partie des habitants de San Lorenzo a trouvé refuge. Les déplacés ont transporté leurs objets de culte et leurs connaissances. La Venta est devenue leur nouvelle capitale. Avec elle commence la deuxième et la plus brillante étape de la civilisation Olmèque qui va évoluer vers l’empire.
Les vestiges qu’on a découvert à La Venta sont le témoignage impressionnant d’une culture riche. Le principal monument de La Venta est un tumulus tronconique de 30 mètres de hauteur. Il contient près de 100 000 mètres cubes de terre et il est recouvert de plaques d’argile mélangée avec du sable et séchées au soleil. Elle est entourée de plates-formes et des alignements cérémoniels.
Côté sud on trouve six stèles et deux trônes. Chacun montre un être humain dans une niche. L’un d’eux tient un bébé. Une grande esplanade attenante permettait à des milliers de personnes d’assister à des cérémonies. Sur la droite, il y une grande terrasse où l’on a découvert plusieurs tombeaux, dont deux avec des sarcophages en basalte représentant le dieu Jaguar, protecteur de la ville. Les autres dieux y sont également représentés.
On y trouve aussi une mosaïque très étrange, dont on n’a pas encore compris le symbolisme, ni dans quel sens il faut la regarder.
La science s’est épanouie à la Venta, où les Olmèques ont découvrent les mathématiques et le chiffre Zéro. Ce qui leur a permis d’accéder à des connaissances astronomiques qui les ont amenés à créer le premier calendrier sur le continent américain. Il servira plus tard de modèle aux Mayas, qui l’ont perfectionné. C’est ici que les Olmèques ont commencé à créer des glyphes et produit un premier balbutiement d’écriture.
À la Venta la médecine a fait de grands progrès. Les herbes, et les minéraux ont été classés et utilisées de façon rationnelle dans les traitements des maladies. Les Olmèques faisaient des chirurgies et des trépanations réussies pour extraire des tumeurs cérébrales.
Quel était le statut des femmes chez les Olmèques ? Les Olmèques ont créé des sculptures et des figurines en pierre et en céramique qui représentent des femmes. La société olmèque avait certainement un fondement matriarcal qui explique qu’elle était moins guerrière que les autres civilisations qui lui ont succédée. Certaines œuvres d’art montrent des femmes dans des rôles religieux ou cérémoniels, ce qui compréhensible dans une société très concerné par la fécondité protégée par les dieux.
À mesure que la ville de La Venta s’agrandissait, elle s’enrichissait. Les artisans produisaient une grande variété d’objets et d’œuvres d’art; les paysans, en plus de cultiver le maïs, diversifiaient leurs productions au cacao, à la tomate, aux haricots. Ils cultivaient le précieux coton et tissaient des toiles qu’ils ont appris à teindre de couleurs vives, pour habiller la population.
Leurs surplus ont poussé les Olmèques à développer des échanges commerciaux avec des peuples de plus en plus éloignés. Avec le commerce ils ont exporté leurs connaissances, leur organisation religieuse et leur architecture. Bientôt leur influence politique et économique s’est étendue sur toute la côte du golfe du Mexique, au plateau central Tlatilco, à Morelos Chalcatzingo, à Guerrero Oxtotitlan, à Monte Alban Oaxaca, à Las Bocas Puebla. Du côté du Pacifique ils sont arrivés à créer des comptoirs jusqu’au Costa Rica dans la péninsule de Nicoyan. De cette façon ils ont construit un empire non contraignant qui finira par attirer à La Venta, des populations nombreuses et vulnérables qui finiront par provoquer le relâchement des mœurs et marqueront la fin de leur civilisation vers 400 avant J.C.
C’est alors que commence la troisième étape de la civilisation olmèque. Le pouvoir se déplace à Tres Zapotes, dans l’état de Veracruz, qui devient leur nouvelle capitale.
Tres Zapotes comprend trois groupes de tertres monumentaux avec des pyramides à terrasses. On y a trouvé de nombreuses sculptures en pierre, des céramiques et des peintures rupestres qui représentaient des scènes de la vie quotidienne, des animaux et des symboles religieux.
On a découvert aussi la plus ancienne stèle connue de la Mésoamérique. Elle mesure 2,6 mètres de hauteur. Elle est verticale et présente une face sculptée qui ressemble à un prêtre debout portant des attributs cérémoniels. Elle est entourée de glyphes et de symboles assez élaborés, qu’on n’a pas encore réussi à déchiffrer.
Tres Zapotes n’attendra jamais le haut degré de civilisation des villes qui l’ont précédée car la culture olmèque était déjà en décadence. Tres Zapotes a fini par s’éteindre en 38 av. JC. Sa disparition marque le début de l’épanouissement des cultures Toltèques et Mayas qui se sont inspirées des Olmèques; elles vont bâtir des pyramides et des temples en pierre, dans les siècles suivants.
Est-ce que la civilisation olmèque a eu de l’influence jusque sur les premières nations qui peuplaient le Canada à l’arrivée des Français? La réponse est non ! On a trouvé des traces de la culture Olmèque jusqu’au milieu des États-Unis. Elle a été véhiculée par des peuples qui ont eu des contacts avec les Aztèques, héritiers lointains des Olmèques. Certaines de ces nations qui ont vécu sur le territoire des États-Unis ont bâti des pyramides à terrasses en adobe, et cultivé le maïs. Par contre dans la partie nord des États-Unis et au Canada, il semble qu’à cause des conditions climatiques extrêmes la civilisation d’origine olmèque n’y ait jamais pénétré. Une partie des premières nations du Canada étaient des chasseurs cueilleurs, ils habitaient des tipis. Les Iroquoïens plus au sud étaient plus sédentaires. Ils construisaient des longues maisons entourées de palissades mais ils n’ont pas conçu des rues, ni bâti des temples, ni structuré une religion complexe. Ils cultivaient le maïs mais leurs techniques de tailleurs de pierre se limitaient à la fabrication de haches et des pointes de flèche.
L’exposition Les Olmèques et les civilisations du golfe du Mexique, au Musée Pointe–à–Callière est très importante pour comprendre le riche patrimoine du continent Américain avant l’arrivée des Européens.
Références :
350, place Royale, angle de la Commune
Vieux-Montréal (Québec) H2Y 3Y5, Canada
[email protected] — 514 872-9150
Roger Huet archéologue
Chroniqueur