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Critique de Montréal – Marrakech

Critique de Montréal – Marrakech . De Danièle Desnoyers Critique de Montréal – Marrakech . De Danièle Desnoyers
Critique de Montréal – Marrakech . De Danièle Desnoyers

Critique de Montréal – Marrakech . De Danièle Desnoyers (Le carré des lombes) et Taoufik Izzediou (Anania Danses). Le corps, territoire des rencontres, le geste, métissage des possibles.

Grand plaisir de retrouver, en ouverture de la nouvelle saison de l’Agora de la danse, la chorégraphe Danièle Desnoyers dont on n’avait pas revu de création à Montréal depuis Unfold en 2019. La pandémie a bousculé les sabliers de tous et chacun, celui des artistes aussi, pour le moins.

Danièle Desnoyers

Non pas que la création se soit arrêtée. Au cours des cinq dernières années, Danièle Desnoyers a présenté avec sa compagnie de longue date, bien connue au Québec tout comme à l’international, deux œuvres in situ en communion avec de magnifiques lieux de nature et de poésie, à l’île d’Orléans et dans les Jardins de Métis (voir vidéo ci-dessous). Elle a continué d’enseigner au Département de danse de l’UQAM aussi. Et elle a travaillé, en plusieurs étapes, sur une œuvre originale et inattendue, Montréal-Marrakech, que l’on a enfin pu voir à Montréal, après qu’elle a été présentée à Marrakech, au Maroc, et à Montpellier, en France.

Une œuvre de fusion artistique comme on en tente peu entre créateurs. Fusionner son univers créatif, sa vision du monde, son écriture chorégraphique requiert de l’ouverture, de l’écoute, de la disponibilité à l’altérité, une porosité des limites qui permette à l’autre de vous rejoindre et de vous apporter ce qu’il a à vous apporter, sans vous envahir. Ainsi va le couple. Ainsi seulement la rencontre est-elle possible. Et puisque rencontrer quelqu’un c’est le rencontrer physiquement, il s’agit d’une rencontre corporelle. Le corps comme territoire de rencontre, et le geste comme lieu du métissage.

C’est vrai de toute rencontre humaine, a fortiori en danse. On parle beaucoup de migrations, d’immigrations, de déplacements, de découvertes culturelles, d’apprentissages linguistiques, sociétales, politiques, on oublie que l’autre est d’abord un autre corps, le sien, et que le rencontrer c’est y aller avec son corps, le nôtre. La pandémie et le confinement ne nous l’ont-ils pas violemment rappelé ?

C’est exactement le postulat, le pari de Montréal-Marrakech. Une rencontre, la proposition, la possibilité d’une rencontre, plurielle et multiforme, entre deux chorégraphes, la Québécoise Danièle Desnoyers et le Marocain Taoufik Izzediou, tous deux citoyens du monde, aussi.

La danse ne connaît pas de frontières, la condition humaine à laquelle elle puise ses sources ne les admet pas. Mais en même temps, chaque corps porte son propre territoire, intime, organique et génétique, et collectif, historique et politique. Comment se retrouver alors, et où, comment s’approcher, se rapprocher, se toucher, et pourquoi ? C’est alors que le geste devient le métissage des possibles.

Taoufik Izzediou

Tout cela est au cœur du travail de Taoufik Izzediou pour qui la marche est en soi une marche vers l’autre. Fait Chevalier des Arts et des Lettres par le gouvernement français, après avoir fondé en 2001 la toute première compagnie de danse contemporaine marocaine, Anania, ainsi qu’une école de danse contemporaine. Il nommé On marche le Festival international de danse contemporaine marocain qu’il a créé à Marrakech.

On marche : la marche constitue le tout premier pas de danse, la propulsion initiale. Et il a réagi à la pandémie en créant une trilogie intitulée Le monde en transe, des rencontres d’humains en marche contre les rétrécissements, les confinements et les frilosités (voir vidéo ci-dessous). Le dialogue avec Danièle Desnoyer s’est structuré autour de leur mutuel désir de retrouver le mouvement.

La rencontre entre les univers chorégraphiques de Danièle Desnoyers et de Taoufik Izzediou, la fusion de leurs différences, de leurs territoires personnels et politiques, le respect complémentaire de leurs écritures gestuelles, se fait à travers la rencontre de leurs quatre interprètes, deux femmes, deux hommes, Myriam Arseneault Campbell et Abe Simon Mijnheer de la compagnie Le Carré des Lombes de Danièle Desnoyers, et Chourouk El Mahati et Moad Haddadi de la compagnie Anania Danse de Taoufik Izzediou.  

Quatre magnifiques interprètes, quatre corps aux singularités manifestes et affirmées, quatre territoires autonomes qui tournent au départ autour d’un territoire central, un espace blanc et inviolé, qu’ils n’osent pas investir, pas plus qu’ils ne se touchent, marchant autour, en avant, en arrière, une marche, pas à pas, jusqu’à ce que le contact s’établisse (voir bande-annonce ci-dessous). La marche, le tournoiement, le corps plié, les membres qui ploient puis se tendent, s’élancent, s’unissent, se poussent et se retrouvent, jubilent enfin, souvent, ensemble, enfin ensemble, dans une explosion d’énergie, un rythme pulsif qui s’accélère et communique la joie, le souffle partagé.

Conspirer : respirer ensemble. Conspiration : rencontre réussie. Une rencontre réussie avec le public aussi, qui sort de là rasséréné, léger, rassuré, un moment au moins, le temps de la danse, dans la capacité de l’humain à dépasser ses propres frontières. Par les temps qui courent, ça fait du bien, vraiment…

Liens vers les sites des compagnies :

Le carré des lombes https://circuit-est.qc.ca/companies/membres-daniele-desnoyersle-carre-des-lombes/

Anania Danses https://www.facebook.com/TaoufiqIzeddiou/?locale=fr_CA

 

La forêt des lisses. In situ de Danièle Desnoyers à l’Île d’Orléans (2021)

Hmadcha de Taoufik Izzediou (2022)

Les visages de la danse – Entrevue de Danièle Desnoyers avec Aline Apostolska. Circuit-Est Centre Chorégraphique (rediffusion YouTube 2021)

En aparté – Entrevue de Taoufik Izzediou avec Francisco Cordova. Circuit-Est Centre Chorégraphique (YouTube 2019)

Parisienne devenue Montréalaise en 1999, Aline Apostolska est journaliste culturelle ( Radio-Canada, La Presse… ) et romancière, passionnée par la découverte des autres et de l’ailleurs (Crédit photo: Martin Moreira). http://www.alineapostolska.com

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