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Lait cru de Steve Poutré

Est-ce un roman sur la difficulté de vivre sur une ferme ? Le jeune garçon est hospitalisé. Il cherche sa place entre les humains et les bêtes. Comment vit-on sur une ferme laitière depuis plusieurs générations ? Le narrateur voit « des anges noirs, des âmes ricaneuses » (p. 63 ). Il est question de maladie mentale. Être fragile, être différent, il sagit surtout dune expérience profonde.

Un côté poétique remarquable

Cest le chaos pour le narrateur, à lorigine du rationnel, on trouve toujours un irrationnel diabolique et foisonnant, à la source des illusions. Ce roman a un côté poétique remarquable, presque gothique. « Le coucher du soleil caresse ces jambes et ces bras devenus un simple prolongement de ma carcasse. Le mauve enflamme la pièce en contournant la chaise près du lit. La lumière pousse sur ses pattes, semble la déplacer à lextérieur de la chambre » (p. 79 ).

Poutré transfigure un monde de répulsions, de dialectiques barbares. Cest une écriture forte. « Jaimerais croire quil existe dautres avenues cachées. Que je peux réinventer ce moule triste dagriculteur. Jen viens à souhaiter l’évaporation de mon sexe, la fonte de mes jeunes muscles. Je refuse de participer à ma propre construction. Je mattriste ensuite d’être si peu pris en considération. » (p. 111 )

Réinventer les limites du possible

Il rend hommage à sa grand-mère. Cest bien connu, nos grand-mamans nous aiment plus que nos parents. « Elle trouve des prétextes pour que je vienne passer plus de temps chez elle. » (p. 114 ) Il y a tout un travail d’écriture sur les émotions. Ça fait du bruit tous ces souvenirs denfance. Écrire pour la campagne, le hasard, la folie, les larmes.

Comme Nietzsche qui écrivait lhorreur et labsurdité du monde. Le narrateur décortique les émotions de manière philosophique et poétique. « Certaines émotions sont des chevaux quil est inutile de dompter. Elles peuvent nous aider à prendre de la vitesse, mais on ne sait jamais vraiment vers où elles nous transportent. Pleurer, cest avoir une conscience aveugle qui galope dans le vide. » ( Je souligne, p. 152 )

Être bipolaire

Ça brasse dans la famille, il y a eu des suicides, de la violenceJai eu un flash, jai pensé au Torrent  dAnne Hébert. Le mot mort est répété souvent. « Travailler sur une ferme devient un champ de bataille » (p. 162 ). « On boit la mort par petites gorgées. » (p. 182 ) Lenfant bipolaire marche constamment sur un fil de fer. Ses excès, ses délires.  « Il entretient une mascarade morte. » (p. 235 ). Son thérapeute demande d’écrire ses souffrances. Il faut se rendre jusquau bout du récit pour apprendre une nouvelle qui va peut-être changer sa vie à jamais.

Jamais un auteur québécois na parlé du terroir québécois de cette manière. Un roman noir, une leçon de ténèbres. (1 ) 

Note

1. Anne Hébert, Œuvre poétique, 1950-1990.

Steve Poutré est né en 1979. Il a grandi sur une ferme laitière, située à Saint-Ignace-de-Stanbridge, avant de sexiler à Montréal pour amorcer une carrière de designer graphique. Lait cru est son premier roman.

Steve Poutré, Lait cru, Alto 2024.

Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com

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