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Éléments de philosophie spirituelle. (Texte no. 3)

Jésus en Galilée Jésus en Galilée
Jésus en Galilée

L’être humain a une tendance innée à générer psychiquement des archétypes (symboles accompagnés d’une charge émotionnelle intense) qui peuvent favoriser la réalisation de soi, mais aussi contribuer à certains désastres. Chose certaine, leur émergence ne laisse jamais indifférent ; et le contraire de l’amour n’est pas la haine, mais justement l’indifférence. En devenant représentation mentale, l’archétype captive par un charme puissant. Il peut s’accompagner d’une plénitude de sens tenue jusque-là pour impossible. Non seulement joue-t-il un rôle crucial dans le fait de tomber amoureux, mais le contenu essentiel de toutes les mythologies, de toutes les religions ainsi que de nombreux comportements et convictions dont le nom se termine en « isme », est de nature archétypique. Avec une puissance comparable à celle de l’instinct, il peut orienter l’intellect vers un but avec une passion inouïe et se vêtir d’une logique impitoyable. En période de crise personnelle, quand tout est sens dessus dessous, les archétypes peuvent se manifester dans les « grands rêves » ou « rêves archétypiques », comme si le Soi passait au pilote automatique. C’est dire le caractère paradoxal de la réalité archétypale qui, après être passée inaperçue durant un certain temps, fait des retours à l’occasion de périodes troubles. Ces états limites peuvent être l’occasion d’un enseignement subtil propre à faire basculer une situation pénible en un moment de lumière, à transformer une dure épreuve en une occasion de découvrir une voie nouvelle. L’énergie psychique est en lien avec un mystérieux « apport relationnel ».

Tout au long de son existence, à travers de multiples transformations, l’être humain éprouve un sentiment d’incomplétude pouvant générer la nostalgie d’une plénitude. Jung utilise le terme « Soi » pour désigner l’archétype de l’entièreté psychique qui est la vérité profonde de la personne, au-delà du Moi d’abord perçu. Dans son cheminement, le Moi intègre des contenus inconscients qui provoquent un élargissement de la conscience. Jung nomme ce processus « l’individuation »(de « in-divis » : ce qui n’est pas divisé). Dans ce périple, la personne rencontre son ombre et doit apprendre à vivre avec celle-ci (cette introspection pouvant être troublante et même faire peur). Dans cette dialectique du Moi et de l’inconscient, la réconciliation des contraires est le principe qui gouverne chacune des étapes d’un processus « mortrésurrection » souvent symbolisé par le cycle des saisons. Au début, le Moi est une sorte de masque, une identité d’emprunt déterminée par les circonstances et les apparences. L’intériorité est « l’athanor » (l’alambic des alchimistes) au sein duquel s’opère le processus d’individuation. Celui-ci commence avec la prise de conscience de ne pas être ce que l’on avait d’abord cru, d’être un inconnu pour soi-même. Cet état confus est la marque d’une insatisfaction profonde accompagnée du désir d’une vie plus authentique.

En prenant une distance par rapport au Moi, devient possible la prise de conscience du processus de projection (renforcé par le fait de vouloir briller en société), et celle de l’image que les autres renvoient de soi-même (souvent refusée par l’ego). En psychanalyse jungienne, le mécanisme de la projection est un processus (d’abord inconscient) qui fait en sorte d’attribuer aux autres ou au milieu ce qui appartient en fait à soi-même. Une rencontre assumée avec son ombre peut conduire à son intégration dans la personnalité consciente, et cela sans jugement intempestif de soi-même. Cette intégration nécessite l’exploration de certaines pensées, émotions et tendances tenues jusqu’alors plus ou moins sous le seuil de la conscience. Il est important de considérer la prise de conscience de ce qui paraît négatif comme des étapes sur le chemin de la plénitude. Intégrer l’ombre requiert du courage et l’abandon de plusieurs préjugés. C’est l’occasion d’un travail de différenciation et de clarification. Il faut aussi apprendre à canaliser certaines pulsions instinctives qui occasionnent de la souffrance. En avançant sur ce chemin, le grave défaut de l’autre se révèle de plus en plus comme la projection d’un défaut personnel. Le dépassement du dogmatisme moral ou antimoral signifie que la personne apprend à écouter son cœur, à faire confiance à ses sentiments guidés par l’intuition du beau et du bien. Cette étape permet le développement de potentialités. L’âme joue de plus en plus son rôle sur la maîtrise des instincts. Le sens de l’existence n’est plus déterminé par les exigences de la société. De nouvelles priorités se font jour.

L’âme commence à graviter autour d’un nouveau centre. Toutefois, dans la mesure où la psyché est influencée par l’extérieur, le Soi peut être perçu à travers des archétypes projetés sur des personnes idéalisées. Dans le processus d’individuation, celles-ci deviennent des « messagers du Soi » qui incarnent la polarité complémentaire. Dans le cas d’un amour passionnel qui assujettit et fait souffrir, les personnes idéalisées se trouvent à exercer une fascination dont il faut prendre conscience en vue d’élever progressivement la qualité de cet amour. Pouvant être à l’origine de désirs intenses, l’amour n’en est pas moins le moteur de toute la quête, de l’ombre vers une plus grande lumière. Dans l’inconscient de l’homme et de la femme (ou leur équivalent psychique) réside une image collective de la polarité opposée : l’anima pour certains et l’animus pour d’autres. Ces deux figures désignent ce qui manque au Moi pour s’élever vers la totalité englobante du Soi. C’est après avoir pris conscience de l’ombre et de l’avoir suffisamment intégré que l’image anima/animus acquiert sa plus grande intensité créatrice et que diminuent certains pouvoirs de fascination de l’inconscient avec son cortège d’obsessions aliénantes. Il faut apprendre à maîtriser le puissant pouvoir de fascination de certains archétypes de l’inconscient collectif pour en arriver à prendre conscience de l’archétype de la Totalité, révélatrice du Soi.

Au fur et à mesure, l’archétype Lumière, celui du surnaturel et de l’au-delà, apparaît avec de plus en plus de puissance. Rudolf Otto parle d’un tremblement et d’une fascination propres à l’irruption du Sacré. Ses symboles sont la luminosité et la force (énergie irréductible au seul monde phénoménal). À ce stade, l’individu doit surmonter sa crainte et résister à la tentation de reprendre son « masque » et de se laisser envahir par les nécessités de la vie ordinaire. Il faut aussi résister à la tentation d’identifier son Moi à l’archétype Lumière. Ce faisant, la personne peut avoir l’impression de posséder un grand pouvoir et se croire prophète, guru ou un individu indispensable capable de tout régler et de tout contrôler. Pour avancer dans le processus d’individuation et favoriser l’activation de ce mystérieux archétype qu’est le Soi, l’humilité est d’une grande importance (au sens d’être capable de reconnaître ses limites et ses faiblesses, sans se dévaloriser). Enfin, l’archétype du microcosme ordonne et harmonise dans la liberté un état d’être davantage relié au Soi, au Divin en nous. Jésus enseignait justement que, tout en n’étant pas de ce monde, le Royaume de Dieu est déjà parmi nous.

À l’aide de paraboles, le prédicateur de Galilée invitait à vivre une liberté nouvelle dans un monde où toute personne est reconnue comme son prochain. Par exemple, l’enfant prodigue et son frère aîné avaient en commun de n’avoir pas compris qu’ils étaient libres face à leur père. L’aîné avait cru être obligé de rester à la maison paternelle, et le dépensier devoir s’éloigner pour aller vivre sa vie. Écrasé par la famine, ce dernier en était venu à envier le sort des serviteurs de son père. Penaud, il décide de revenir du pays lointain où il s’en était allé. Le frère aîné, en revenant des champs avec un sentiment de devoir accompli, aperçoit son jeune frère en train de recevoir de son père une reconnaissance qui, à ses yeux, aurait dû lui revenir : la fête organisée pour le retour du voyageur lui révélait douloureusement la futilité de son obéissance. À ses yeux, le père incarnait l’autorité de la loi morale à laquelle il fallait se soumettre. Or il n’incarnait ni l’autorité ni la loi : en lui tout était présence et don. À n’importe quel moment, le fils aîné aurait pu agir selon son désir, en toute liberté ; et le fils prodigue, avoir la conviction d’être resté présent dans le cœur de son père. Celui-ci invite donc ses deux fils à faire la fête, c’est-à-dire, symboliquement, à célébrer la vie. La parabole ne comporte aucun jugement moral. Le père avait donné sa part d’héritage à l’enfant prodigue sans poser de question et l’avait laissé partir. À son retour, il l’accueille avec joie sans demander de compte. Il fête son retour sans conditions. Puis, il part à la rencontre du fils aîné pris dans son tourment et l’invite sans reproche à participer à sa joie. La vie ne va pas au mérite ni n’obéit à une logique de la rétribution : elle est un don qui s’adresse à la liberté.

Dans la parabole des ouvriers de la dernière heure, ceux-ci reçoivent un denier à la fin de la journée tout comme ceux de la première heure. Étant donné qu’ils travaillaient depuis l’aurore, ils croyaient mériter davantage pour avoir peiné plus longtemps. Toutefois, il avait été entendu qu’ils recevraient un denier. Sur le plan spirituel, la justice ne se fonde pas sur un état de fait, sur les circonstances propres à chacun, mais sur la liberté offerte par la vie de parcourir chacun son chemin. Dans la parabole du bon Samaritain, un homme qui allait de Jérusalem à Jéricho tombe sur des voleurs qui, l’ayant dévêtu et roué de coups, l’abandonnent à moitié mort. Un prêtre qui passe par là le voit, mais poursuit sa route. Un lévite passe à son tour, et fait de même. Enfin, un Samaritain aperçoit le blessé et en est ému. Il le soigne de son mieux et le conduit à une auberge où il prend encore soin de lui. Le lendemain, il donne deux deniers à l’aubergiste et lui promet d’en donner davantage si ses soins l’amenaient à plus de dépenses. Non seulement le Samaritain donne les soins urgents mais, avant de poursuivre sa route, s’assure du maintien de ceux-ci. Le sens de sa présence est de montrer la bénédiction d’une gratuité imprévisible permettant à une victime d’être sauvée. Autrement dit, l’agissement du Samaritain symbolise la promesse de la vie qui s’offre inconditionnellement. La victime n’a rien eu à dire : tout lui a été donné comme d’une providence qui demeure incognito. La parabole fait surgir une victime silencieuse qui bénéficie de la grâce de la vie, sans conditions ni atteinte à sa liberté.

À une prochaine fois pour le texte no. 4.

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.

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