Mathieu Bélisle a commencé ce livre durant ses études à Chicago en 2008. Il explique à sa manière l’empire américain. Cet empire qui est au cœur de nos existences. C’est un essai écrit comme un roman. Son portrait existentiel est un exploit. D’ailleurs, il donne comme exemple les romans d’Anne Hébert (p. 240). Comment écrire une fiction dans le monde d’aujourd’hui pour expliquer cette difficulté d’être.
Apollinaire
J’ai besoin de me consoler par la poésie, l’auteur me fait rêver. D’abord, il cite Apollinaire(1 )
« Maintenant tu marches dans Paris tout
Seul parmi la foule
Des troupeaux d’autobus mugissant près de toi
Roulent
L’angoisse de l’amour se serre le gosier » (p. 130 )
Oui, il y a une rupture avec l’ancien monde, l’ancien millénaire. Octavio Paz, un autre poète, parle de la tradition de la rupture. Les réseaux sociaux, ça sert à quoi? L’auteur parle d’un cadre formel, d’un monde unipolaire et monologique né de l’effondrement des tours jumelles (p. 160 ).
Déformer la réalité
Alors que nous vivons dans les ténèbres, sans trop me tromper, comment vivre aujourd’hui ? Descartes disait que l’homme était maître et possesseur. Est-ce que la naissance de Jésus (la Lumière) est une simple allégorie de la Caverne de Platon. La révolution industrielle, la lumière qui se laïcise est-elle devenue un objet scientifique ? Consommer, chasser les aubaines, pourquoi perdre autant de temps sur tant de choses matérielles. Et l’empreinte écologique ? Que nous reste-t-il pour être vraiment heureux ? Il faut se battre constamment sans jamais « renoncer aux pulsions instinctives, et à quel point elle postule précisément la non-satisfaction » (p. 175 ).
Le mouvement #MoiAussi est symbolique d’un profond malaise de notre société. L’auteur dira de la culture américaine qu’elle entretient avec la sexualité un rapport schizophrène. Un chiffre à l’appui : 90% de la production mondiale de la pornographie provient des États-Unis.
Éros et Thanathos
Le capitalisme marchand ne mobilise pas seulement les instincts, il mobilise aussi notre manière de consommer. À travers la consommation, des objets qui remplacent d’autres objets. Le cycle de la production. « Éros et Thanatos dansent chaque jour dans la surabondance des cumshots » (p. 210 ). Bélisle identifie les malaises de la société. La naissance des monstres, les fantasmes inavouables. Freud avait à sa manière, décodé le cœur de ses contemporains. Mais, l’écrivain et poète, Houellebecq dans « L’amour l’amour », l’a bien décrit :
« Tant d’autres sont las et rien à cacher
Même plus de fantasmes; juste une
Solitude aggravée par la joie impudique de femmes ;
Juste une certitude : cela n’est pas pour moi,
Un obscur petit drame » (2 ).
Un autre sujet sensible, le déclin de la littérature qui doit se battre contre les médias (les fake news, la censure, etc ). La génération des youtubeurs envahit l’espace public de manière presque immoral. Un genre de péché hédoniste qui flotte sur nos têtes. On aime aussi s’éloigner de la réalité : Star Wars comme nouvelle expérience religieuse ? Ici, je parle en mon nom.
Peut-être sommes-nous (malgré nous) des autistes qui préfèrent une relation distanciée, décalée. Je cite Michel Onfray qui souligne : « Que tout est perspective dans un chaos d’anamorphoses permanentes » (3 ).
Voila un livre fascinant sur l’Amérique. L’auteur multiplie les métaphores en commençant par le 11 septembre 2001. Bélisle explore tous les sentiers possibles comme une iconographie philosophique. Je remercie l’auteur qui a insisté pour m’envoyer son livre. Il s’agit d’une réédition revue et augmentée avec de nombreuses citations de toutes les époques. Un travail de moine.
Notes
Mathieu Bélisle est écrivain et professeur de littérature au Collège Jean-de-Brébeuf à Montréal. Il est l’auteur de quatre livres: « L’empire invisible. Essai sur la métamorphose de l’Amérique » (2020), « Bienvenue au pays de la vie ordinaire » (2017), « Les inconvénients du progrès » (2012; en collaboration) et « Le drôle de roman. L’oeuvre du rire chez Marcel Aymé, Albert Cohen et Raymond Queneau » (2010).
Il est membre du comité de rédaction de la revue « L’Inconvénient », à laquelle il collabore depuis 2005. Il a reçu le Prix Pierre-Vadeboncoeur du meilleur essai en 2020. Il a reçu trois fois le prix SODEP du meilleur essai. Un autre livre « Ce qui meurt en nous », Leméac 2022. Critique détaillée sur le site de « La Métropole.com »
Facebook : https://www.facebook.com/mathieu.belisle.123276
Mathieu Bélisle, « L’empire invisible », Nomades Réédition 2024.