Lettre d’opinion : Sherbrooke : le scandale du Faubourg Mena’sen en spectacle au tribunal
En cause : les principes généraux du droit administratif et social sur les OSBL
Par Pascal Cyr, Ph. D., historien. Citoyen informé et engagé qui s’intéresse au dossier du Faubourg Mena’sen depuis les tout débuts du litige en mars 2022.
Le Faubourg Mena’sen de Sherbrooke était à l’origine un OSBL (Organisme Sans But Lucratif) d’habitation à loyer modique, comptant 172 logements sociaux et hébergeant 250 locataires aînés ; un modèle et une fierté pour ses fondateurs et la SCHL, qui l’a financé de 1979 à 2015. En 2022, les cinq administrateurs de cet OSBL ont liquidé la totalité de ses actifs immobiliers et mobiliers et se sont approprié personnellement le produit de cette liquidation, soit environ 20 000 000 $, avant de dissoudre l’OSBL.
Quel système de droit peut justifier que des administrateurs « bénévoles », n’ayant jamais investi un seul sou dans une entreprise d’économie sociale financée par des fonds publics, s’enrichissent indûment au détriment d’un OSBL, de ses bénéficiaires et de la collectivité ? Le 24 octobre 2024, un autre épisode de cette invraisemblable saga s’est déroulé au Palais de Justice de Sherbrooke devant l’honorable Martin F. Sheehan de la Cour supérieure du Québec.
Parallèlement à une action collective autorisée qu’il dirige, le procureur des locataires, Me Louis Fortier, a présenté une demande de reconstitution du Faubourg Mena’sen afin de permettre à un demandeur, au nom de cet OSBL spolié, de poursuivre ses anciens administrateurs qui, selon ses clients, ont manqué à toutes leurs obligations. S’agissant d’une situation inédite ne faisant l’objet d’aucun jugement rapporté au Québec ou au Canada, il a invité le juge à exercer son pouvoir créateur et à faire jurisprudence en s’inspirant des principes généraux du droit, notamment ceux selon lesquels la fraude corrompt tout et que l’affectation des biens d’un OSBL provenant de fonds publics doit être maintenue.
Le juge n’a guère paru impressionné par cet argumentaire pourtant clair et bien étayé. Peut-être était-ce par devoir d’impartialité, mais ni l’évident déséquilibre informationnel et économique entre les parties, ni l’allégation de tentative d’entrave auprès d’un témoin aîné, ne semblent l’avoir intéressé davantage. Dans la salle d’audience, il fallait avoir le cœur bien accroché pour entendre le procureur des défendeurs et celui de leurs acheteurs tenter de limiter le débat – et les dégâts – à une interprétation technique ne tenant aucunement compte de l’intention véritable du législateur et des principes généraux du droit.
Comble de l’arrogance : ils accusent le procureur du Comité Sauvons Mena’sen de porter atteinte à la réputation de leurs clients. Mais quelle réputation ? Quand on tient à sa réputation, on ne vend pas en secret et sans droit des immeubles qui ne nous appartiennent pas ! Quand on tient à sa réputation, on n’achète pas en secret et à rabais des logements sociaux hors commerce pour les privatiser !
Comment une situation aussi indécente et révoltante peut-elle se produire au Québec en 2024 ? Un jugement à portée jurisprudentielle évidente nous le dira peut-être bientôt.
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