Chaque livre de Dominique Fortier est un événement en soi. Pendant que l’être humain est captivé par son écran. Les autres rêvent. Plus je lis Dominique Fortier, plus je m’approche du ciel, du cosmos.
J’apprends un chapitre de l’histoire de l’humanité. Melville, qui a écrit Moby Dick, entretient une correspondance avec Nathaniel Hawthorne, auteur de « La lettre écarlate ». Melville tombe amoureux d’Hawthorne. Nous sommes en 1850. L’autrice me fait passer de belles nuits blanches.
Au sommet de son art
Dominique Fortier a le don de tout écrire en poésie. Une correspondance entre deux illustres écrivains. Celle qui nous a fait connaître, Emily Dickinson (1 ). Comment vit un poète ? Car il y a dans ce soleil blanc de l’écriture, une beauté aveuglante de lumière, un éclat inégalable de dépassement. Un rayonnement sur toute la littérature québécoise. Des analogies. Une étude interne du mouvement de la création. Je lis ceci : « Comme un enfant qui s’essaie à différentes signatures afin de voir laquelle lui conviendra le mieux, Melville prend plaisir à tracer sur le papier ces mots qui lui semblent aussi prodigieux qu’une formule magique, une manière d’envoûtement. Il n’a qu’à écrire sur une enveloppe, Mr Nathaniel Hawthorne » (p. 57 ).
Un miracle qui dort mal
C’est écrit comme une partition musicale. Elle parle aussi de Simon, un ami personnel, une sorte de fantôme. La correspondance : « Chacune des lettres est un serment, ou tenu. C’est là que se fait la lumière. Il dit : une étoile sauvage » (p. 73 ). Elle se confie à Simon sur les rivières. « Cette transparence trouble, cette beauté qui se chamaille la nuit avec elle-même, ce miracle qui dort mal » (p. 103 ). On apprend (on découvre ) que les lettres de Hawthorne ont disparu. L’autrice imagine, réécrit, réinvente entre les braises du temps les messages, les textes précieux. Melville voudrait écrire son monumental roman, « Tout art s’invente comme un essai de vivre moins pire. Dès lors, le temps imposé aux vivants ne peut plus être le seul critère suffisant d’un absolu pressenti » (2 ).
Melville est marié à Elizabeth Shaw (Lizzie) et c’est elle qui recopie les pages de son manuscrit. Il y a la pensée amoureuse, l’érotique peut être avec l’amant et la créature, entre l’objet et le sujet. La poésie dans l’art et vice versa. Je retiens mon souffle, je m’incline devant votre écriture si lumineuse. « Les livres sont des chats, ce sont eux qui nous approchent, jamais l’inverse. Ils ont plus de vies que nous. La nuit dure toujours. C’est-à-dire un éclair. Parfois, la part qui rêve est la part la plus réelle de nous-mêmes. » (p. 171 ).
Une sorte de thérapie
J’ai lu et relu certains paragraphes. Ma mère est morte. Je suis orphelin sans vos livres… Dominique Fortier sculpte le passé. Elle nous guérit de vivre dans ce temps d’écrans. Je rêve. Mille sensations naissent de votre écriture. Elle cite un poème de Martine Audet. Je choisis celui-ci :
« J’embrasse tes deux mains
(tout est donné )
Puis je laisse partir les oiseaux
Sans les compter » (3 )
Notes
Dominique Fortier est une romancière et traductrice québécoise. Après un doctorat en littérature à l’Université McGill, Dominique Fortier exerce les métiers de réviseure, de traductrice et d’éditrice. Elle a traduit une quinzaine d’ouvrages littéraires et scientifiques, dans des disciplines aussi diverses que les sciences politiques, la linguistique et la botanique.
Elle vit à Montréal. « Du bon usage des étoiles » est son premier roman, il est finaliste au Prix des libraires du Québec 2009. Le 2 mai 2019, parution en France « Au péril de la mer », qui a obtenu le Prix littéraire du Gouverneur général 2016. Dominique Fortier, « La part de l’océan », Alto 2024. Elle reçoit le Prix Renaudot essai 2020 pour « Les villes de papier ».