Mena’Sen, du guignol pas drôle. Épisode 3
Chronique judiciaire
LaMetropole.com a rencontré des résidents Mena’Sen à Sherbrooke le 10 octobre 2024.
Johanne Proulx, représentante du groupe en demande aux deux dossiers en cours, et Danyel Bouffard affichaient alors l’optimisme et l’énergie de leurs convictions.
Dans cette salle festive d’une gare rajeunie en bistro-bar, où les décibels atteignent un niveau risqué pour les oreilles, ils ont la fougue d’étudiants contestataires et la détermination en acier des rails qui longent le bâtiment. Autant que possible et devant un léger menu local, nous notons leurs témoignages in vivo qui corroborent les allégations de leurs procédures écrites. Il s’en dégage de leur part une impression de sincérité et de confiance à l’égard du système judiciaire.
Nous souhaitons rencontrer les défendeurs-vendeurs et la mise-en-cause-acheteur qui, nous l’espérons, répondront présents à nos demandes d’entrevue, peu importe le mode de communication. De la rencontre en vis-à-vis, d’un « Teams » ou autre mode virtuel, ils auront l’opportunité de s’expliquer sans filtre. Leurs procédures en contestation n’en sont encore qu’à l’étape des requêtes préliminaires. Le tribunal est présentement saisi de questions de droit.
Deux dossiers parallèles occupent la Cour supérieure de Sherbrooke dans cette affaire. Une action collective en dommages et une demande, dite dérivée, en reconstitution de la société, un OSBL liquidé et dont les actifs ont été vendus en 2022.
Un acteur étonnant
Artopex, l’entreprise de bonne réputation pour ses offres de matériels de bureau, est mise en cause indirectement par l’assignation de son ci-devant vice-président sur les conclusions d’annulation de cette transaction. Notons que cette entreprise connue aura reçu une subvention fédérale de 2 075 000 $ quelques semaines après la transaction Mena’Sen.
Le directeur général de l’usine Artopex de Sherbrooke, René St-Amand, figure ainsi comme défendeur personnel au titre d’ex-vice-président de cette entreprise et d’administrateur intéressé à la transaction. Le président d’Artopex, Daniel Pelletier selon le registre des entreprises du Québec, n’est pas mis en cause sur l’une ni l’autre des procédures engagées. Il appert cependant que plusieurs procès-verbaux d’assemblées générales des membres de Mena’Sen portent le logo d’Artopex du 25 avril 2017 au 11 janvier 2022 (soit quelques semaines avant la vente).Artopex n’a pas caché la subvention reçue du gouvernement fédéral. Nous la citons comme possible et simple coïncidence. Détails.
Énigme et scénario confus
Nous devons résumer les faits à l’imparfait puisque l’histoire est déjà du passé en rétropédalage.
On rappellera que, de 1980 à 2022, les locataires de Mena’Sen, alors propriété d’un OSBL, payaient un loyer très inférieur aux moyennes commerciales et que certains parmi eux jouissaient de subventions sociales. Il sont présentement quelque 250 aînés occupant environ 175 logements.
Les documents de création de Mena’Sen prévoyaient clairement qu’en cas de dissolution tous ses actifs seraient dévolus à un organisme sans but lucratif du même ordre. D’OSBL à OSBL. Point. À la ligne. Le vaste complexe immobilier sera géré par des administrateurs délégués particulièrement compétents.
Janvier 2022
Le conseil d’administration vend en janvier 2022 tous les actifs mobiliers et immobiliers à une tierce partie qui n’a pas le statut d’OSBL. Les locataires et résidents ne sont pas convoqués à l’assemblée du conseil. Prix de vente très inférieur à la valeur immobilière (18 250 000 $). Les administrateurs auraient partagé entre eux cette somme et une encaisse de 1 300 000 $. Si ces faits étaient prouvés, comme en sont convaincus les demandeurs aux procédures, ces administrateurs auraient profité d’un bien qui ne leur appartenait pas en droit.
En réalité, rien n’empêchait la disposition des actifs nets de l’entreprise. Nos lecteurs comprendront qu’il s’agissait dès lors d’une dissolution qui obligeait la « dévolution » de cet actif à un autre OSBL ou à un organisme visé par la loi.
Et l’acheteur, par hasard, aurait été étroitement lié à certains de ces administrateurs. Le plumitif des dossiers judiciaires de l’action en dommages-intérêts et celle en annulation de la vente, intentés en Cour supérieure de Sherbrooke, affiche déjà une avalanche de procédures en contestation. Les faits allégués portent clairement à comprendre que ces administrateurs du bien d’autrui s’en seraient autorisé l’appropriation et les profits de la vente.
Les demandeurs se fondent sur l’article 28,2* de la Loi sur les compagnies du Québec. Ils évoquent une sorte de passe-passe qui bénéficierait aux administrateurs, personnellement intéressés; ces derniers auraient outrepassé la clause de dévolution (OSBL à OSBL) encore en vigueur le 22 février 2022 mais abrogée par eux, probablement suite à une information d’appoint, quelques jours plus tard, le 1er mars 2022, répertorié par un écheveau de résolutions donnant un effet rétroactif à leurs manœuvres.
En conclusion, les demandeurs allèguent que l’abrogation du 1er mars 2022 n’avait pour objet que de justifier après coup la passe du 22 février. Ils en réclament des dommages-intérêts par leur première poursuite.
Ces faits ne seront pas anodins. Selon les demandeurs, la descente de l’escabeau de cette transaction au profit net des administrateurs, ces derniers prétendant que la clause de « dévolution » ne s’appliquait pas en contexte déjà réalisé de fin des activités, ne serait pas de bonne foi. Tout se serait passé entre le 22 février et début mars 2022.
S’agit-il d’une simple interprétation controversée du droit applicable (Loi sur les compagnies, Partie III, organismes sans but lucratif), d’une erreur de bonne foi ou d’un stratagème volontaire et prémédité d’évitement de la clause de « dévolution », laquelle serait présumée obligatoire dans ce cas ? Nous ne formulons aucune opinion sur la réponse. Notre intention porte sur la nécessité d’une réflexion dont la conséquence pourrait être d’ordre rétroactif, soit l’annulation de la vente et de la dissolution, ainsi que la remise en état antérieur à la date de la transaction, dont évidemment remboursement des sommes perçues. C’est la conclusion générale des procédures déposées par l’avocat les demandeurs, Me Louis Fortier. Les faits semblent leur donner raison.
Rappelons qu’en contexte, la « dévolution » d’un OSBL s’entend de sa totale transmission des actifs nets à un organisme de pareille activité. Selon l’interprétation des demandeurs, la Déclaration d’intention des défendeurs de dissoudre Mena’Sen (alors renommée Cité des Retraités de l’Estrie) datée du 4 avril 2022, présentée au Registraire des entreprises du Québec (REQ), fait état ce qui suit au sujet de « L’Orientation Éphémère », nouvelle dénomination étonnante, sinon volontairement songée en termes de fin de vie.
La déclaration soumet que l’organisme s’est départi de ses biens, qu’il a divisé son actif proportionnellement « entre ses membres » et qu’il n’a pas de dettes ni de passif. Erreur d’interprétation sur les bénéficiaires ? Les défendeurs ont-ils cru de bonne foi que la vente de la totalité des actifs immobiliers et mobiliers de la Cité des Retraités de l’Estrie inc. ne déclenchait pas cette obligation statutaire pourtant facile d’interprétation ? Les demandeurs répondent à cette question par la négative. Le scénario du guignol aurait été bien songé.
Et principalement parce que la date de la liquidation, selon la logique et l’esprit de la loi, serait celle du 25 février 2022. Et qu’ainsi donc, les actifs à transmettre à un autre OSBL seraient ceux du prix net de la vente. Il ne semble pas encore que le groupe des acheteurs serait un OSBL.
Ces éléments de procédure étant décrits, probablement au grand dam du public qui n’est pas spectateur abonné aux affaires judiciaires, une question se pose, à laquelle nous espérons obtenir des défendeurs une réponse documentée en temps utile pour notre quatrième épisode.
Ceci :
Pour quels motifs ou circonstances les locataires et résidents de Mena’Sen n’auraient rien vu ni entendu en temps utile de cette avalanche de modifications aux statuts et actifs de l’entreprise ?
Suite le 20 novembre 2024.