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Mena’Sen au cinéma. Tout en flash-backs.

La justice. @Colin Lloyd. Pexels La justice. @Colin Lloyd. Pexels
La justice. @Colin Lloyd. Pexels

Chronique judiciaire

Les faits en cause sont passablement alambiqués. Pour éviter de verser dans la subjectivité que la situation présente provoque, ainsi qu’une opinion prémonitoire, un rappel de quelques réalités devient nécessaire.

La poursuite contre les derniers administrateurs et membres de la société, dont la dénomination et l’orientation depuis 1976 ont subi plusieurs modifications jusqu’à son abrogation finale des statuts en avril 2022, se résume à l’intérêt, légitime ou délinquant selon la preuve qui en sera faite, des derniers membres et administrateurs, de réaliser un retour net de +20 millions $ sur la vente à une tierce partie de l’actif net de l’organisme.

Cette dernière est mise en cause à la procédure. Les défendeurs aux deux actions judiciaires nient l’intérêt des demandeurs en s’appuyant sur des interprétations de la Loi sur les compagnies du Québec, du Code civil et du Code de procédure civile du Québec.

Les arguments se tiennent ; les faits sont plus équivoques. Que sont les OSBL sous la loi québécoise (il s’en trouve aussi sous la loi fédérale) et sont-ils tous obligés aux mêmes restrictions ? L’acronyme n’est pas évoqué tel quel dans la Loi sur les compagnies, mais il s’est imposé comme qualificatif courant selon qu’il y rencontre les paramètres de l’article 218 :

  1. Le registraire des entreprises peut, au moyen de lettres patentes sous ses seing et sceau, accorder une charte à tout nombre de personnes, n’étant pas moindre que trois, qui demandent leur constitution en personne morale sans intention de faire un gain pécuniaire, dans un but national, patriotique, religieux, philanthropique, charitable, scientifique, artistique, social, professionnel, athlétique ou sportif ou autre du même genre.

Le statut de l’entreprise déterminera ses obligations. Le cas Mena’Sen exigeait la dévolution (transfert) du produit de la vente à un organisme dont l’activité était semblable à celle qu’on terminerait. La modification actuelle ou rétroactive des statuts d’un OSBL en cours d’existence était-elle possible ? Sous quelles conditions ? L’article 28 de la même loi, à la date de la dissolution réelle (on verra qu’il y eut dans notre cas des corrections rétroactives après la date effective de la vente), apportait des exigences à la procédure que les défendeurs ne paraissent encore avoir suivies.

Cela servira d’arguments aux demandeurs qui concluent à l’annulation de la vente, ceux-ci soulignant qu’à la date réelle de la transaction, soit le 25 février 2022 ou auparavant, l’organisme devenait ipso facto lié par la clause de dévolution, laquelle fut annulée indirectement lors d’un changement de nom par celui de L’Orientation Éphémère (!!!), du 1er mars suivant, en lettres patentes supplémentaires.

Le registraire des entreprises recevra une procédure en demande de dissolution datée du 4 avril 2022 et officialisera l’acte le lendemain. Selon les demandeurs, la clause de dévolution écrite aux statuts de l’organisme était active depuis la date réelle de la dissolution et la requête tardive n’avait pour but que de masquer la réalité après le fait. En notre cas, les demandeurs résidents du complexe, dont aucun n’est membre ni administrateur de l’organisme, ont-ils « l’intérêt juridique » nécessaire à contester la transaction en évoquant comme incontournable la clause de « dévolution » prévue par la Loi sur les compagnies et les statuts d’origine ?

Ce sera l’un des arguments principaux des défendeurs. « Moyen de droit », dit-on. Le Code de procédure civile oblige toute partie demanderesse à justifier son intérêt « juridique » à l’action déposée. Une requête « en irrecevabilité » a été logée à l’encontre du demandeur Robert Montour pour son action « dérivée » (i.e. indirecte).

Monsieur Montour serait un « ancien membre Mena’Sen ». Il ne le serait plus. D’où qu’il n’aurait aucun intérêt à la situation actuelle. Simplement expliqué, personne ne peut prendre action au profit d’un tiers sans posséder lui-même un intérêt direct dans l’objet en cause. Le simple intérêt moral n’est pas suffisant. L’intérêt « dérivé » serait recevable si le demandeur était victime d’un effet préjudiciable en conséquence d’une atteinte à l’organisme dont il serait locataire. Le jugement au mérite décidera de cette requête des défendeurs.

Attendons-nous à ce qu’ils pilonnent in extremis là-dessus.

La société mise en cause, acheteur de l’organisme et probablement étrangère aux discussions et négociations, peut-elle opposer son exclusion du débat ? 9254-1556 Québec Inc. est l’acheteur de tous les actifs de l’organisme dissout.

Cette société a été constituée en 2011. On constate ses intérêts en immobilisations dans la région. Elle déclare deux actionnaires. Il serait étonnant que ces derniers, aussi ses administrateurs, aient songé à la transaction Mena’Sen 11 ans avant d’y être invités. Elle a cependant déposé deux dénominations au registre des entreprises, en toute bonne foi sauf preuve contraire, quelques jours suivant la date de vente mais avant le dépôt de l’avis de dissolution au registre des entreprises : Cité des retraités de l’Estrie et Faubourg Mena’Sen….

Si les défendeurs prétendaient que la transaction eut lieu avant la dissolution, ils devront affiler leurs crayons, suivant toute logique, ainsi que l’entend l’avocat des demandeurs. Le dossier de la société mise en cause leur sera opposable. Ces seuls faits justifieraient la mise en cause indirecte sur un jugement d’annulation de la vente. Si les demandeurs obtenaient la nullité de la transaction, il irait de soi que les acheteurs, s’ils ne prenaient pas fait et cause pour les défendeurs, exigeraient des vendeurs la remise des fonds et, à leur discrétion, des dommages et intérêts en plus d’autres conclusions.

Finalement, sous son aspect social, cette transaction trahit-elle l’orientation fondatrice de l’organisme et, en réponse positive, par quels remèdes le tribunal pourrait-il corriger la situation ? Rappelons que notre intention n’est pas de discréditer les membres administrateurs de l’organisme ni de discuter de quelque manière la bonne foi de l’acheteur.

À cette étape des procédures sur les deux dossiers en progrès, l’issue des jugements à venir demeure énigmatique. Prédire des résultats serait risqué. Un aspect demeure : l’enquête sur cette affaire fouille profondément dans les réalités sociales de Sherbrooke, et par effet évident, dans tout le Québec.

La disparition de l’ancien OSBL et son remplacement par une compagnie privée qui a repris le nom d’origine des lieux, dont le seul objectif ne peut être que le profit annuel, laisse présumer 175 augmentations de loyers et autres changements nécessaires ou stratégiques. Cela irait de soi en contexte commercial. Or, l’acheteur n’est justement pas un OSBL…

Dédouanée d’obligations sociales, la nouvelle entité Faubourg Mena’Sen pourrait désormais tenter, utilisant sa position étrangère aux baux précédents, de facilement modifier les conditions locatives. En l’espèce, ce serait de nouveaux contentieux au Tribunal administratif du logement (TAL).

Aussi la Cour supérieure saisie de la procédure actuelle, en avalisant les transactions, pourrait ajouter une conclusion réparatoire sans modifier l’état juridique actuel des parties : ordonner à la mise en cause des conditions d’administration compatibles avec la situation précédant les mouvements de la propriété. On parle ici de loyers, d’entretien, de cession de bail, de mise au jour des bâtiments, etc.

Consultations d’experts

Les défendeurs ont évoqué quelques arguments juridiques, en produisant une opinion écrite par un juriste respecté en droit des compagnies, lui-même héritier de la réputation de son père jadis autorité en la matière. L’expertise des Martel a été longtemps et fréquemment citée aux mémoires d’appel et autrement. On peut présumer que l’avis en possession des défendeurs leur donne raison. On s’interroge toutefois sur l’impression « leçon au tribunal », ou la position amicus curiae, qu’une telle expertise laisse entrevoir par ses caviardages des défendeurs.

Ces segments masqués du texte de l’expert en droit laissent présager que des arguments de droit seront au centre des discussions et des décisions.


En attente de renseignements importants, nous reportons la suite de cette enquête au mercredi 4 décembre prochain. 

Linguiste, traducteur juridique (Association Canadienne des Juristes Traducteurs / ACJT), éditeur, agent littéraire, chroniqueur d'affaires publiques, présentement avocat à la retraite (Barreau du Québec), directeur de Les Éditions du Mont Royal (editionsmontroyal.com). LL.L (licence en droit, Université de Montréal). D.E.S.D. (droit international, Université d'Ottawa). D.E.S.S. (linguistique et traduction, Université Concordia). Expérience de vie en pratique du droit, militance active et journalisme indépendant. De la politique fédérale au tout-inclus de l'engagement social et des droits collectifs. Publications: Eau secours! Eau Liberté! (écologisme radical, 2008) et Voter Vrai (historique critique des régimes électoraux canadiens et québécois en contextes démocratiques, 2018). Associé du groupe Éditeurs de la Métropole et de la Capitale.