L’I.A générative et l’art
On parle d’intelligence artificielle depuis des décennies mais c’est seulement depuis quelques années qu’on parle d’intelligence artificielle dite générative, c’est-à-dire capable de produire des images, des textes et même de la musique.
Depuis un peu plus d’un an, on peut constater l’augmentation fulgurante et exponentielle du nombre d’images générées par I.A dans les banques d’images et les réseaux sociaux ainsi que des vidéos d’une facture réaliste montrant des humains, des animaux ou des paysages sur les sites de partage de vidéos. On peut même lire des textes entièrement générés par I.A dans certains médias conventionnels. Sans surprise, le recours à l’I.A par des élèves pour réaliser à leur place leurs travaux écrits est de plus en plus fréquent.

Qu’est-ce que l’art?
Le développement rapide de l’I.A générative nous oblige à nous interroger sur notre vision de l’art et sur la pertinence d’en élargir ou non la définition. Image, poème, sculpture, musique, roman, scénario, l’art n’est-il qu’un simple résultat? Un simple produit près à être consommé? Certes, si on envisage l’art ainsi, l’I.A générative peut offrir une performance tout à fait satisfaisante. Prenez l’art visuel par exemple (dessin, peinture, photo, art 3D). Si on ne considère cette forme d’art que comme quelque chose de joli à fixer à un mur ou à imprimer sur un objet, on se satisfera des images générées par une I.A.
Même chose pour la musique. Si on ne considère la musique que comme quelque chose de plaisant à écouter, on trouvera tout à fait acceptable une pièce musicale entièrement générée, parole et musique, par I.A. Cependant, n’est-ce pas une manière consternante d’envisager l’art? L’art n’est pas seulement un produit de consommation. C’est un acte de création véritable, une expression de soi. Sa valeur se retrouve autant dans la démarche que dans le résultat. Il est un voyage, une expérience et ce autant pour la personne qui crée que pour son public.
L’art nécessite une intention et pour qu’il y ait une intention, il doit y avoir une émotion, un désir de produire l’art sous une forme ou une autre. Or les émotions sont impossibles sans une conscience pour les « générer ». D’ailleurs, assez ironiquement, le verbe « générer » est issu de la racine latine « genus » qui signifie « naissance » ou « origine ». L’expression « intelligence artificielle générative » est donc étymologiquement absurde dès le départ puisque rien de ce qu’une I.A génère n’est original.
Mains dessinées : Dinero777
Qu’est-ce qu’un artiste?
Une I.A n’a pas de conscience. Elle ne ressent rien, n’a aucune inspiration et ne cherche pas à exprimer quoi que ce soit. Elle ne crée pas, elle ne fait que produire quelque chose en fusionnant divers éléments d’origine humaine pigés ici et là sur Internet ou dans des bases de données spécialisées. L’I.A n’est donc pas une artiste. On pourrait à la rigueur la considérer comme une plagiaire et encore, peut-être est-il essentiel de ressentir le désir de plagier pour mériter ce qualificatif…
Un artiste est forcément un être conscient de faire de l’art. Même un photographe qui n’a qu’à appuyer sur le déclencheur de son appareil photo pour générer une image est un artiste. Même un graphiste qui réalise une image en 3D à partir d’un ordinateur. Même un peintre qui produirait en série, par pur mercantilisme, des peintures bâclées dépourvues de titre auxquelles il ne consacrerait que quelques minutes chacune, sans jamais chercher à exprimer quoi que ce soit. Quelqu’un qui donne simplement des instructions à une I.A comme on donne des instructions à une pizzeria au moment de se commander une pizza, n’est pas un artiste.
Une menace existentielle pour l’art sous toutes ses formes
Pour l’instant, les éléments « artistiques » générés par I.A sont souvent imparfaits et faciles à repérer. On peut rire des images montrant des humains avec plus de 5 doigts aux mains ou des membres qui ne semblent appartenir à personne sur des images représentant un groupe de personnes. On peut rire des photos supposément prises dans les années 50 ou 60 et affichant une netteté d’image suspecte. Cependant, une I.A est conçue pour s’améliorer et certaines images sont déjà tellement réalistes qu’on pourrait facilement les prendre pour des photographies.

Si on la laisse se développer sans établir des balises pour l’encadrer, l’I.A générative pourrait, en théorie, remplacer un jour les artistes visuels, auteurs, compositeurs, musiciens, photographes, scénaristes, monteurs, bruiteurs, designers, animateur 2D et 3D, rédacteurs, journalistes, comédiens de doublage (voir comédiens tout court), DJ, ingénieurs de son et technicien d’éclairage (et j’en oublie).
Les personnes qui gagnent leur vie en pratiquant un métier lié à la création ne pourront pas compétitionner contre l’I.A générative, même en faisant tous les efforts du monde. Comment concurrencer une chose qui peut produire en quelques secondes ce à quoi un être humain a dû consacrer des jours, des mois ou même des années? Aussi bien tenter de gagner une course à pied contre une balle tirée d’un pistolet. En prime, les I.A ne demandent ni salaire ni subvention et n’ont pas de besoin biologique, matériel ou psychologique. Qui cèdera le plus aux sirènes de l’I.A générative? Les artistes? Les entreprises? Le public? Les trois?
Groupes d’humains : Dinero777
Nous devons tous nous responsabiliser
Avons-nous vraiment envie d’aller voir une exposition d’images générées par I.A ? D’aller voir un film dont le scénario, les trucages, le montage et même le doublage aura été généré par I.A ? De lire un roman généré en quelques minutes ? D’assister à un concert où une chanteuse virtuelle chante des pièces dont ni les paroles ni la musique n’auront été créées par un être humain ?
Lorsque l’espèce humaine aura été presque totalement évacuée du processus de génération de produits autrefois artistiques, devra-t-on créer un logo de certification « Fait par un humain » pour prouver au public qu’il existe encore de vrais artistes ? Il n’y a pas d’offre sans demande et le public, sous réserve de parvenir encore à distinguer ce qui relève de l’art et ce qui relève de l’I.A doit exiger que le premier conserve la place qui lui revient dans les sociétés humaines. L’art est le véhicule de toute culture et la plus puissante manifestation de l’essence et de l’identité humaine.
Ne cédons pas à la paresse mentale. Encourageons les véritables artistes, soyons de véritables artistes.
Note : toutes les images ayant servi à illustrer ce texte ont été générées par I.A générative.
Collaboration spéciale : Stéphanie LeBlanc
DJ: TheDigitalArtist