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La patinoire de Mena’Sen : un 3e joueur sur la glace 

Justice. Crédit photo @Claudio Schwarz sur Unsplash Justice. Crédit photo @Claudio Schwarz sur Unsplash
Justice. Crédit photo @Claudio Schwarz sur Unsplash

Chronique judiciaire 

Nos abonnés(es) à cette saga judiciaire seront heureux d’apprendre que le match, loin de sa conclusion, plonge maintenant dans la confusion des sentiments. 

LaMetropole.com a d’abord consulté les procédures et les pièces au dossier qu’on appellera « principal », soit celui de la poursuite directe en dommages-intérêts par certains locataires des habitations Mena’Sen (Association Sauvons Mena’Sen).   Selon les textes des procédures, les défendeurs étaient cinq membres et administrateurs de l’organisme sans but lucratif L’Éphémère, autrefois et encore Mena’Sen ou Cité des retraités de l’Estrie, entre autres distinctifs souvent modifiés (OSBL).  

Les cinq hommes seront les vendeurs en début de l’année 2022, et à gros profits personnels, de tout l’actif de la société sans but lucratif, dissoute pour l’occasion.  Ces « membres », selon les demandeurs, auraient obtenu et partagé  de cette vente qu’ils contestent environ 20 millions $, soit quelques dollars de poche pour un printemps au soleil du Sud.  Demeure la question de la présence, au conseil sous titre officiel d’administrateurs, de chacun des défendeurs, bénéficiaires vendeurs volontaires au moment de la résolution de vente. 

Nous avons élaboré sur cette situation par nos quatre derniers  épisodes.  En synthèse, les poursuivants dans ce dossier réclament des dommages en s’appuyant sur les dispositions restrictives de la Loi sur les sociétés par action qui, au texte de sa partie III, obligent en lecture  stricte et claire la transmission à tout autre personne morale, engagée  sur pareils objectifs et buts visés par la loi, le produit de la vente à la suite de sa dissolution.  

Cette obligation s’identifie sous le joli terme chantant et poétique de « dévolution ».  En clair, plaident les demandeurs, les sommes nettes reçues par les cinq membres et administrateurs devaient ipso facto transiter au compte bancaire de toute autre OSBL semblable qui aurait  probablement maintenu le statut de résidences locatives à loyers contrôlés et logements sociaux pour personnes à bas revenus. 

Pour l’image : d’un OSBL à OSBL, vases communicants lors de la dissolution selon le texte impératif de la partie III de la Loi sur les  compagnies (Québec)La Cour supérieure du district de Sherbrooke a rejeté une requête pour rejet (dite « préliminaire » et avant défense), déposée par les défendeurs qui plaidaient l’absence « d’intérêt légal » des  demandeurs, lesquels, il est vrai, n’étaient pas et ne sont toujours pas  « membres » ni administrateurs de l’ancienne OSBL. 

Plus clairement dit, selon les défendeurs, l’action n’aurait été qu’un chant de chorale de rue pour défouloir d’offensés: aucun de ces derniers n’aurait eu l’intérêt direct ni sa chance de profit au produit de la vente, et donc ne pouvait plaider au nom de l’organisme. Ç’aurait été l’affaire du gouvernement ou des autorités fiscales et pénales (on  reviendra sur ces possibilités que les défendeurs discutent dans leurs  procédures). 

Sur la requête en rejet, la Cour a décidé autrement, de sorte que l’action, qui « dérivait », selon les paramètres du code de procédure civile, n’était pas exempte d’intérêt public et privé. On n’avait qu’à  évoquer la possibilité éventuelle de hausses de loyers ou de modifications des conditions de bail, alors que le statut de ce gros  complexe présumait d’une couverture de logements sociaux, mais la  demande en dommages visait plus haut.  Voilà l’essentiel.   

Le scénario pourrait poursuivre vers des conclusions imprévisibles mais habituelles jusqu’à jugement final. La démarche procédurière est  gérée par les codes et les lois applicables. Une discussion de juristes.  Avec ses petites mesquineries. Nous y verrons en temps et lieu.  

Mais voilà que cette histoire n’est pas terminée. Elle débute. Une joute  à finir, des filets sans gardien. Un troisième joueur a sauté sur la glace,  vitesse Gretzky ou Lemieux. Et qui, à chaque occasion, écrase par  l’arrière les deux autres sur la bande.  Bémol : non, ce n’est pas une 5è suite des Boys, ni un remake de Lance et compte. Sérieux, c’est un scénario qui s’écrit à chaque geste des avocats dont les procédures et les relations ne sont pas au beau  fixe continu. 

Le nouveau joueur, Habitation L’Équerre Inc. (L’Équerre) fusionné en  2018 avec Habitation Solidarité Inc., adopte un tout autre discours.  Cette procédure imprévue, déposée par un « concurrent » de l’ancien  Mena’Sen, file droit vers le filet. En ce moment, le puck est encore entre les deux lignes d’attaque.  

Voilà un court résumé de la première période de cette nouvelle joute parallèle, sur une patinoire qui n’attire pas trop de spectateurs. D’où  l’intérêt d’y voir. L’Équerre se dit héritier testamentaire de la défunte Éphémère, présumé oubliée, et réclame à son avantage le produit total de la vente mortuaire. Cet héritier soudain porterait officiellement, lui aussi, le  chandail de la ligue des OSBL, tout comme l’ancien Mena’Sen  galvaudé en plusieurs dénominations avant sa dissolution rapide et  payante par les défendeurs. Le chant de la « dévolution » claironne  dans l’arène aux airs patriotiques du Ô Canada

En bref, L’Équerre ne plaide pas directement l’illégalité de la vente  mais tout au contraire s’y appuie pour prétendre que la somme empochée par les administrateurs, présumés fiduciaires, lui  revenait de droit et qu’ils devraient maintenant la rembourser.  

Ce qui laisserait penauds les demandeurs résidentiels de Mena’Sen  d’alors et d’aujourd’hui, si la vente était ainsi validée au profit de cet  héritier oublié.   La condition de qualité « sans but lucratif » de l’Équerre paraît s’y  appliquer pour justifier son intérêt à prétendre qu’elle devait être  approchée par les administrateurs de Mena’Sen, l’organisme alors  curieusement mais justement rebaptisé « l’Éphémère » à la date de la  vente au profit de ses administrateurs, dont l’avocat d’affaires Dubois.  

Les lettres patentes, sous diverses dénominations, de l’entité porteuse  du distinctif Mena’Sen, étaient en vigueur depuis sa fondation jusqu’à  sa dissolution éclair en 2022.   Les concessions et modifications déposées en vitesse au Registraire  des entreprises, aux fins de profits déroutés aux bénéficiaires défendeurs, ne semblaient pas viser d’autre objectif sauf s’ils  réussissaient à prouver le contraire, à l’encontre de la position des demandeurs aux deux poursuites en progrès.   À la lecture des procédures, la marche paraît haute. Le trois parties  sont représentées par des avocats compétents. Mais on n’a pas  encore entendu les témoins, Il est toujours dangereux de miser sur un  combat de coqs. 

Le tribunal a ainsi retenu à cette étape que les lettres patentes  antérieures à la date de la vente « prévoient essentiellement qu’en cas  de dissolution ou liquidation de la corporation, les biens seront distribués à une ou plusieurs personnes morales qui poursuivent des  objets analogues et dont le siège social est situé dans le district de  Saint-François ». 

Ce nouveau joueur sous nom d’Équerre a été constitué sous la Partie  III de la Loi sur les compagnies du Québec (d’où son identité OSBL).  Par cette poursuite collatérale, assez inattendue jusqu’à sa notification  au dernier printemps, la compagnie de St-François fait un pied de nez  aux deux autres parties.   Elle mène sa partie à l’attaque de l’ancien Mena’Sen dont elle dénonce la distribution du prix de vente aux membres administrateurs qui en  auraient sciemment organisé le résultat, et en réclamation aux  défendeurs de la somme reçue au motif intéressant d’appropriation  d’un actif qu’ils devaient diriger vers Solidarité (i.e. L’Équerre), OSBL  connu et sûrement intéressé, qui n’a pas été approché. 

Le tribunal a donc rendu ce jugement préliminaire qui ouvre la porte  de la glace à ce troisième patineur. Il semble par ailleurs évident qu’en  raison d’intérêts opposés, Solidarité n’affiche pas en faveur des  demandeurs de l’autre dossier, ce que sa dénomination laisserait  supposer…  Toutefois, se pourrait-il que le tribunal ordonne une réunion des deux  poursuites ?  Sauf leurs conclusions différentes, et des intérêts évidemment  incompatibles, la preuve d’un grand nombre de faits pourrait être  complémentaire, y compris en défense des anciens membres de  Mana’Sen. 

Il serait sûrement dans l’intérêt de la justice d’éviter une répétition des témoignages et de la documentation, même en droit, et de cumuler les  arguments respectifs en les considérant selon les conclusions des  parties. Mais cette option serait celle d’un spectateur.  Les décisions interlocutoires motivées du Tribunal, qui n’a pas accueilli  les demandes en rejet déposées par les défendeurs sur les deux  dossiers, laissent la porte ouverte à un jugement final qui conclurait,  au moins incidemment, à la nullité de la vente pour défaut de  dévolution à un OSB local. 

Ce qui nous mène à un document que nous avons déjà relevé, lequel porte principalement sur l’aspect fiscal (et pénal, en conséquence) de  la transaction. Nous avons obtenu une copie de cette expertise produite au dossier.   Les défendeurs ajoutent cet élément en preuve de bonne foi dans leur  procédure sur cette seconde poursuite et affirment, soyons  compréhensifs, qu’ils auraient un lourd pactole à déclarer. Voilà donc  la pertinence du rapport d’experts comptables, caviardé à plusieurs  endroits, faut-il ajouter. Le pourquoi des zones noircies demeure. 

Tout à leur crédit, les vendeurs ont manifestement pris soin d’obtenir  cette expertise qui discute de leur éventuelle responsabilité fiscale, civile ou pénale, tant pour acquit de conscience qu’envers les parties dont ils pouvaient prévoir la réaction judiciaire.  

Ce sera l’objet de notre prochain épisode.

Linguiste, traducteur juridique (Association Canadienne des Juristes Traducteurs / ACJT), éditeur, agent littéraire, chroniqueur d'affaires publiques, présentement avocat à la retraite (Barreau du Québec), directeur de Les Éditions du Mont Royal (editionsmontroyal.com). LL.L (licence en droit, Université de Montréal). D.E.S.D. (droit international, Université d'Ottawa). D.E.S.S. (linguistique et traduction, Université Concordia). Expérience de vie en pratique du droit, militance active et journalisme indépendant. De la politique fédérale au tout-inclus de l'engagement social et des droits collectifs. Publications: Eau secours! Eau Liberté! (écologisme radical, 2008) et Voter Vrai (historique critique des régimes électoraux canadiens et québécois en contextes démocratiques, 2018). Associé du groupe Éditeurs de la Métropole et de la Capitale.