Depuis l’arrivée en 2002 du Nokia 7650, premier téléphone mobile à pouvoir enregistrer des vidéos, les vidéastes amateurs s’en sont donné à cœur joie pour immortaliser les petits et grands évènements de la vie. Depuis l’arrivée de YouTube en 2005, ils peuvent également les mettre en ligne.
La généralisation de l’utilisation du téléphone mobile comme caméra vidéo a toutefois eu un effet secondaire quelque peu déconcertant: on a renoncé à regarder directement les évènements artistiques, culturels ou sportifs auxquels on assiste. Qu’il s’agisse d’un récital d’enfant, d’un mariage, d’un concert, d’un spectacle de danse, d’une compétition sportive, d’une parade de mode ou de feux d’artifice, on voit de plus en plus de spectateurs les yeux rivés sur le petit écran de leur téléphone plutôt que sur la scène, la patinoire, le stade ou le ciel qui se trouve devant eux.
Entre nos yeux et la réalité
Comment en est-on arrivé à perdre l’habitude de regarder directement les évènements ? Comment peut-on se contenter d’accéder, à l’aide d’un petit écran, à la réalité d’un événement se déroulant sous nos yeux ?
Certes, on veut des souvenirs qu’on pourra revisionner ensuite mais n’est-il pas dommage que les souvenirs en question soient déjà en format de poche dès le départ alors qu’on aurait pu remplir tout notre champ de vision de l’évènement pour lequel on s’est déplacé ? Et on sacrifie ça pour obtenir une vidéo mal cadrée, à l’image instable et à la qualité sonore parfois douteuse. Au fait, est-ce qu’on revisionne vraiment nos vidéos ?
Il faut souvent payer (et parfois très cher) pour assister à la plupart des évènements que nous filmons alors n’y a-t-il pas quelque chose d’absurde à se limiter à voir ce que n’importe quel quidam à la maison pourra voir quelques jours plus tard sur YouTube ? D’autres ont, bien sûr, filmé cet événement et peut-être mieux réussis leurs vidéos?
Plaisir solitaire en groupe
L’industrie du divertissement à la carte a morcelé le public en niches de plus en plus étroites et le divertissement est de plus en plus souvent solitaire. Avec la covid et le confinement nous avons perdu le plaisir d’être au milieu d’une foule où tout le monde tourne ses yeux vers un même centre d’intérêt. Est-on encore capable de concevoir le divertissement comme une expérience collective suffisamment intéressante pour abandonner nos téléphones cinq minutes ? À documenter ainsi nos vies, n’oublie-t-on pas justement de vivre ?
Comment se défaire de cette habitude de tout filmer ? Eh bien, on peut commencer par vérifier si l’évènement qui nous intéresse sera filmé et si c’est le cas, rassurez-vous, ce sera sans doute avec du matériel spécialisé et un bon vieux trépied, question de stabiliser l’image. En outre, on s’épargne les nuisances sonores de nos voisins de siège : commentaires, toux, rires, cris, etc. On peut aussi demander à un cas plus désespéré que le nôtre de filmer à notre place (ce qui certes pose un vague problème d’éthique).
Si on tient tout de même à filmer un évènement sans restreindre notre champ de vision, on peut toujours utiliser une petite caméra fixée sur un casque (comme le font les adeptes de sports extrêmes). Cette dernière solution n’est pas des plus discrètes (ni des plus stables) mais au moins ça vous laissera les mains et les yeux libres. Au fait, si vous choisissez cette option, ne bougez pas trop votre tête et, de grâce, éteignez la caméra avant d’aller aux toilettes à l’entracte…
Collaboration spéciale : Stéphanie LeBlanc