Je me souviens de Chamberland alors qu’il écrivait pour la revue Mainmise. Il avait fondé une petite commune. Avant tout, c’est un poète de premier plan, il publie « Terre Québec » en 1964. Il fait l’apologie de la poésie du Québec. En 1965, il publie son célèbre « L’afficheur hurle : La poésie n’existe plus que dans les livres anciens… » (1 ) Désormais, la révolution s’accomplit dans les corps et les consciences.
Le néopuritanisme
Chamberland a écrit un livre audacieux : « Demain les dieux naîtront. » La reconnaissance de l’enfant cosmique. Malheureusement, Chamberland en devenant professeur à l’Université du Québec, préfère oublier cette époque. Que reste-t-il de la contre-culture ? Et du pays Québec ? . Je lui ai parlé à quelques reprises. C’est de l’histoire ancienne, il est passé à autre chose. Son dernier livre est écrit comme un essai où il critique la société. Il ne fait aucun compromis : « Un insidieux sentiment de culpabilité obsède les consciences. Le néopuritanisme actuel est particulièrement toxique et envahissant, car il est dépourvu de normes clairement définies et échappant aux conflits identitaires. » (p. 20 )
Il monte aux barricades. Il voit la fin des temps. Il écrit dans son journal personnel. Il parle de Trump et de son irrépressible rage qui le tenaille à constater l’échec moral qu’est sa propre vie. Il en veut au monde entier. Malgré tout, il cite Christian Bobin (2), « L’économie est une folle qui meurt si elle cesse un instant de marcher. Elle injure le lent et le sacré, tout ce qui l’entrave. » Pas de pitié pour l’être humain d’aujourd’hui devenu matérialiste et athée. De partout, une envahissante putréfaction d’affects semble faire de la terre un marécage empoisonné. « Et la dislocation des liens sociaux, même les plus familiers en aggrave la contagion. » (p. 34 )
Le vide existentiel
Chamberland le poète est devenu le poète de la désillusion face au monde d’aujourd’hui. Il se tient loin des écrans. Je l’ai rencontré dans un bar, je lui ai parlé de ma poésie. Jamais je ne l’ai vu regarder son cell. Il est là debout à vous écouter. Il s’amuse en ridiculisant Mark Zuckerberg. « Nous renouvelons sans cesse nos appareils, nos systèmes d’exploitation, nos applications, et une mise à jour n’attend pas l’autre. Il nous faut bien devancer nos concurrents. » (p. 61 )
Plus loin dans le livre, il parlera de nihilisme sans phrase, des fictions dystopiques, de l’intelligence artificielle qui nous assiste de près quand nous avons le regard vissé à l’écran (p. 80 ). Amazon et Facebook sont en train de mettre en place une technodictature planétaire. C’est possible?
Il souligne un très beau passage du dernier livre de Christian Bobin, « Le muguet rouge : Triomphe des corps inhabités, acclamation des chiffres, gloire des images idiotes, jamais personne ne se sera autant agenouillé que les modernes prétendument non religieux. »
La beauté du monde
J’aimerais tant qu’on revienne aux choses essentielles. Je cite Christian Lapointe dans Le Devoir :
« Notre société, libérée du joug des dogmes religieux, une société accueillante, aidante, solidaire, profondément pacifiste, n’a qu’un peu plus de soixante ans. Elle est toute jeune et déjà elle s’est taillé une place parmi les autres même sans être maître de tous ses moyens pour y parvenir… Il faut nous réveiller de notre torpeur et rappeler à ceux qui parlent de bois que nous sommes faits de feu.» (3 )
Note
Paul Chamberland, poète (Longueuil, Québec, 16 mai 1939). Chamberland est l’un des poètes québécois les plus iconoclastes des années 60 et l’essayistes les plus novateurs des années 70. Ses premiers recueils de poésie, « Genèses » (1962), « Le Pays » (1963, en collaboration), « Terre Québec » (1964), « L’Afficheur hurle » (1965) et « L’Inavouable » (1968) sont l’écho d’un « besoin sauvage de libération ». Après 1968, il rejette la politique « unidimensionnelle », et en tant que prophète et mystique il annonce l’arrivée du« Royaume » et nomme les « Agents du futur » : les Hommenfandieux et Essaimour.
Certains des ses livres sont écrits sous forme de manifestes, comme « Éclats de la pierre noire d’où rejaillit ma vie » (1972) et « Demain les dieux naîtront » (1974). Il a été écrivain-animateur à la « Fabrike d’ékriture » et a collaboré aux revues Mainmise et Hobo-Québec.
Paul Chamberland, Halte à l’avancée de l’inhumain, Éditions Mains Libres 2024.