Beaucoup de nuits blanches. 2024 a été une année riche en littérature québécoise. Parmi les meilleurs vendeurs l’essai de Jean-Philippe Pleau qui trône au sommet, Kev Lambert et Dominique Fortier. La petite librairie indépendante À Lire à Longueuil me fait découvrir nos auteurs –autrices. Je remercie Kim Doré, Jean-Marc Desgent, Mireille Cliche, Stéphane Despatie, Christophe Condello et les autres que j’oublie.
Dominique Fortier, La part de l’océan
J’apprends un chapitre de l’histoire de l’humanité. Melville, qui a écrit Moby Dick, entretient une correspondance avec Nathaniel Hawthorne, auteur de « La lettre écarlate ». Melville tombe amoureux d’Hawthorne. Nous sommes en 1850. L’autrice me fait passer de belles nuits blanches.
Kev Lambert, Les sentiers de neige
C’est une expérience poétique très forte, à chaque fois que je lis un roman de Kev Lambert. (1) Cette parole qui échappe au réel. Tout tourne autour du jeune Zoey. Ses parents viennent de se séparer, le mal-être devient un personnage. C’est radical. Zoey vit avec une mystérieuse créature. Les descriptions, le combat du jeune Zoey, huit ans, révèlent l’invisible opacité du monde. Heureusement Zoey a une alliée Ernie-Anne pour comprendre son monde (trauma). On glisse dans un monde féérique constamment en effervescence.
Emmanuel Simard, Lettres au ciel blanc
Les merveilles du ciel
Tout de suite, j’écris le premier poème :
« Mes rétines respirent les merveilles du ciel,
Assourdissantes sphères vaporisées de diamant,
Pierres précieuses des galaxies. On ne le voit pas,
Mais des falaises soufflent et s’accordent avec les vapeurs célestes. »
Jean-Marc Desgent, Chants nordiques et chants mystiques.
Si vous cherchez une morale esthétique, une vie transfigurée, une perspective qui ébranle les fondements de la poésie. Il réinvente à sa manière. Il crie. Il pleure. Il aboie.
« Je suis une lumière directe et j’aboie;
Je ne reconnais plus mes mots, autrement.
Qui le refuge de cris inédits.
Je vais mourir dans le grand cerf;
C’est ma fable testamentaire, inconsolable,
C’est ma plaine blanche évocatrice,
C’est ma dette envers les ciels mobiles » (p. 19 )
Nathalie Plaat, Mourir de froid, c’est beau, c’est long, c’est délicieux.
Aimer quelqu’un et ne jamais l’oublier. L’autrice, qui est psychologue clinicienne, parle de l’amour avec un fantôme. Il se passe beaucoup de choses dans son adolescence. Elle parle d’une rivière. Elle parle en douceur, en poème, en psychologue. « Tu refuses toute verticalité, préférant embrasser l’horizon de tes pensées qui t’avalent du matin au soir et du soir au matin » (p. 23).
Nora Atalla, Varappe
On cherche des certitudes à travers d’innombrables vertiges. Pourquoi le monde existe-t-il ? Comment exister à travers l’existant bout de son écorce ? Toujours ces images de redistribution ontologiques. Qu’en est-il du réel ? Peut-être une poésie des apparences. Madame Atalla veut survivre, son cœur virevolte.
Tania Langlais, Les pommiers dépassent partout des palissades.
Pour un chroniqueur de poésie, lire un livre de Tania Langlais est un privilège absolu. Surtout ce livre que je découvre. Il est question d’amour fou allant jusqu’au suicide. Il faut écrire des graffitis, des territoires à explorer. Comment faire son chemin en creusant des phrases incendiaires. Vladimir Maiakovski aime Lili Brik. Célèbre poète de l’avant-garde russe. Il écrit. Il voyage. Il est surtout fou de Lili.
Jean-Philippe Pleau, Rue Duplessis
Dans ce livre, à la fois essai et roman personnel, l’auteur raconte son parcours de transfuge de classe, c’est-à-dire son passage d’une enfance perturbé par son milieu prolétaire à Drummondville auprès de parents peu éduqués. Ils sont confrontés à un fils qui a une vie intellectuelle, qui a étudié en sociologie. Plusieurs familles du Québec ont vécu comme ça. J’en suis un bon exemple.
Anthony Lacroix, Proust au gym.
Proust c’est une expérience littéraire difficile. Grâce à l’auteur, le poème est un sprint pour le corps et l’esprit. On s’essouffle pour le plaisir. Le temps nous traverse. Lacroix si fragile ne manque pas de courage. Comment faire aimer Proust (1) à la nouvelle génération ? Lire le premier tome « Du côté de chez Swan » c’est un morceau de puzzle. Je l’avoue : c’est le seul que j’ai lu dans toute la série. En réimpression.
Louis Hamelin, Un lac le matin.
Hamelin rend hommage à Thoreau. L’homme face à son environnement. L’auteur le met en scène au moment où il va publier Walden , son œuvre probablement la plus connue, qui raconte comment celui-ci a choisi un mode de vie minimaliste, vivant dans une cabane qu’il avait construite en bordure de l’étang de Walden au Massachusetts.
Mireille Cliche, Le règne des incendiaires.
Une furieuse douceur me reste collée entre les côtes
D’où surgissent des lisières de rivières éclatantes
Est-ce la mort qui s’avance ? Le monde qui s’efface ?
Mathieu Bélisle, L’empire invisible.
Mathieu Bélisle a commencé ce livre durant ses études à Chicago en 2008. Il explique à sa manière l’empire américain. Cet empire qui est au cœur de nos existences. C’est un essai écrit comme un roman. Son portrait existentiel est un exploit. D’ailleurs, il donne comme exemple les romans d’Anne Hébert (p. 240). Comment écrire une fiction dans le monde d’aujourd’hui pour expliquer cette difficulté d’être.
Jacques Brault, Au bout du chemin.
Un nouveau livre de Jacques Brault (1933-2022). Non. Plutôt un hommage publié à partir de «Lettres d’adieu», écrites par près d’une vingtaine de personnes (des professeurs, des poètes). Ce livre ne me quitte plus depuis le 14 décembre 2024. Son écriture, très réservée, a une sorte de pudeur. Une délicatesse. Un sentiment d’abandon. Une mélancolie. Dans son recueil « Moments fragiles » (le plus connu), il y a un mal de vivre. Brault échappe au temps. Sa poésie est sans fin…
Sylvain Turner, En mémoire des filles
Un roman sur l’époque actuelle. En deuil de son épouse, Bernard doit élever seul sa fille de quinze ans. Elle fugue. Elle est en amour avec un garçon aux allures de caïd. Roman d’angoisse, d’anxiété. À chaque chapitre, Bernard fort de ses convictions se lance dans une enquête qui bouleverse le lecteur. Les attentes, les conséquences se multiplient.
Pour moi, ce fut un défi de commenter un polar. Félicitations Sylvain !
Jean Perron, Reprendre pied sur l’horizon.
Le poète Jean Perron est sans doute un rêveur comme moi. Il voit le monde avec son cœur d’enfant. Il y a tellement de cruauté dans le monde qu’il faut s’arrêter à la poésie. Le narrateur fait ressurgir le lumineux même dans un abîme d’ombre. Le bonheur est dans la simplicité. Une manière de visualiser le monde. « Pour comprendre la rivière et l’arbre, je me transforme en guitare ». (p. 25 )
2024 a été une année difficile sur le plan personnel. Vos livres sont des cadeaux pour moi. Ils m’ont guéri doucement par votre écriture. Maman aimait beaucoup Dominique Fortier. Je parlerai de son livre de poésie en janvier 2025. Bonne nouvelle Hélène Dorion sera publiée par la prestigieuse maison d’édition Gallimard. Un gros merci à Alain Clavet et à LaMetropole.com. Merci aux diffuseurs de notre belle littérature québécoise.