Au début du 20e siècle, l’expérience de Michelson-Morley sur l’optique des corps en mouvement n’arrive pas à soutenir les théories alors reconnues sur l’éther. Elle a consisté à mesurer la vitesse de la Terre par rapport à celui-ci car, à l’époque, l’existence de l’éther dans l’espace semble obligatoire pour la propagation de la lumière. Contrairement à son objectif, elle a conduit à la conclusion que l’éther n’entraîne aucune variation de la vitesse de la lumière. Cette expérience servira plus tard à Einstein pour démontrer que la vitesse de la lumière est une constante et suggérer qu’il n’existerait peut-être pas de l’éther mais du vide. Henri Poincaré (1854-1912) écrit : « Peu nous importe que l’éther existe réellement, c’est l’affaire des métaphysiciens ; l’essentiel pour nous c’est que tout se passe comme s’il existait et que cette hypothèse est commode pour l’explication des phénomènes. (…) Un jour viendra sans doute où l’éther sera rejeté comme inutile. »
En 1905, la théorie de la relativité restreinte d’Einstein (1879-1955) (qui s’applique seulement aux objets en mouvement uniforme, sans accélération) a entre autres comme conséquence de diminuer en importance le concept d’éther, mais sans le faire disparaître. Elle établit que la vitesse de la lumière est constante : précisément à 299,792,458 mètres par seconde. Étrangement, la mesure de la vitesse de la lumière donne toujours le même résultat, que l’observateur soit en mouvement ou non, qu’il se dirige à toute vitesse vers le Soleil ou qu’il s’en éloigne. Une équivalence est constatée entre la matière et l’énergie selon la célèbre formule « E=MC2 », c’est-à-dire que l’énergie (E) est égale à la masse (M) multipliée par la vitesse de la lumière au carré (C2). Dans certaines circonstances, comme une réaction nucléaire, une masse peut se transformer en énergie. En plus de la longueur, de la largeur et de la profondeur, la relativité restreinte considère le temps comme une quatrième dimension.
Comme la vitesse de la lumière est constante et que la vitesse est égale à la distance divisée par le temps (V=D/t), c’est le temps qui varie : il peut se « contracter » ou se « dilater » et peut être mesuré comme étant plus rapide ou plus lent à un endroit ou à un autre. Évidemment, il ne faut pas confondre le temps objectivement mesurable et le temps subjectif qui dépend du vécu et du ressenti. En 1915, Einstein présente sa théorie de la relativité générale qui inclut cette fois les objets en accélération ainsi que la gravitation. Elle montre que toute masse vient courber l’espace autour d’elle en formant des « géodésiques de l’espace-temps » qui impliquent des champs de force. Plus la masse est grande, plus elle déforme l’espace. À titre d’analogie, un matelas sur lequel est assis un enfant peut être suffisamment déformé pour qu’une bille qu’on y dépose roule vers lui.
Si un adulte s’assoit lourdement près de l’enfant, le matelas sera encore plus déformé et l’enfant pourrait « chuter » vers le nouveau venu en même temps que la bille. C’est de cette manière que les étoiles attirent les planètes et que les planètes, à leurs tours, attirent des lunes. Tous les objets qui se déplacent dans ces espaces courbes gravitent conformément aux « géodésiques » (par exemple, pour une sphère, une géodésique a l’aspect d’un cercle ou d’un segment de cercle). Par une sorte d’équilibre des champs de force, ils peuvent orbiter comme notre Lune autour de la Terre. Chaque corps modifie donc l’espace en créant sa propre géométrie, et l’espace est la somme de ces géométries. Mais qu’en est-il de l’éther? Après une période de polémiques, Einstein reconnaît finalement que la théorie de la relativité générale implique d’accorder des propriétés physiques à l’espace, donc l’existence d’un éther (qui sera redéfini par la physique quantique).
Dans un discours prononcé en 1920, le célèbre physicien explique que les deux raisons ayant mené les physiciens contemporains à reconnaître l’existence de l’éther sont la problématique de l’action à distance et la découverte des propriétés ondulatoires de la lumière. La première apparut avec la théorie de la gravitation de Newton où la question s’est alors posée à savoir si les forces d’attraction se propagent instantanément et à distance sans médium, ou au contraire de proche en proche au travers d’un médium. Cette dernière hypothèse suppose l’existence d’un éther. Le conférencier d’origine allemande argue que l’espace (même dépourvu de matière) ne peut être considéré comme totalement vide et que le principe de la relativité restreinte n’implique pas de rejeter toute existence à l’éther. En donnant l’exemple du principe de Mach (1838-1916) (selon lequel les forces d’inerties des objets matériels seraient induites par l’ensemble des autres masses dans l’Univers), il énonce le besoin d’un medium pour transmettre l’interaction gravitationnelle de ces masses distantes.
Toutefois, cet éther, non seulement conditionne le comportement des masses inertes, mais est aussi conditionné par elles. En effet, du point de vue de la relativité restreinte, l’éther est déterminé en chaque point par son interaction locale avec la matière. Selon Einstein, on ne peut pas imaginer de région de l’espace dénuée de potentiel gravitationnel, car ce dernier définit localement la métrique de toute région de l’espace. Dans un espace sans éther, non seulement il n’y aurait pas de propagation de la lumière mais aussi aucune possibilité d’existence d’un espace et d’un temps standard (comme celui des horloges) ou d’intervalles spatiotemporelles au sens physique du terme. Cependant, cet éther ne peut pas être conçu à la manière d’un média pondérable ordinaire : la notion de mouvement par exemple ne peut pas lui être appliquée comme s’il était doté d’éléments ayant une trajectoire dans le temps.
Pendant les 18e et 19e siècles, deux conceptions sur la nature de la lumière avaient été confrontées : la théorie corpusculaire et la théorie ondulatoire. La physique du 19e siècle avait davantage retenu la théorie ondulatoire car la lumière crée des interférences comme des vagues sur l’eau. Mais Einstein montre que l’effet photoélectrique (celui des panneaux solaires par exemple) ne peut s’expliquer que si la lumière est aussi formée de corpuscules minuscules et sans masse appelés « photons ». Toutes les sources de lumière proviennent en effet de photons émis par les électrons des atomes. Lorsqu’un atome est excité, par un effet de chauffage par exemple, ses électrons deviennent instables et peuvent revenir spontanément à un état stable en émettant un photon. Dans un panneau solaire, les photons frappent des atomes de silicium, les bousculent, leur arrachent leurs électrons, ceux-ci étant récupérés par des fils sous forme de courant électrique. La lumière est donc composée de photons (particules), mais elle possède aussi les propriétés d’une onde. Des physiciens se sont alors demandé si les électrons, définis comme des particules, n’avaient pas aussi un aspect ondulatoire. Ils ont alors mis au point la fameuse « expérience des fentes de Young ».
Celle-ci consiste, à l’aide d’un canon à électrons (faisant penser au tube cathodique des anciennes télévisions), à faire bondir des électrons de manière que certains de ceux-ci passent à travers une plaque métallique pourvue de deux petites fentes très rapprochées, et se rendent jusqu’à un écran où ils frappent des atomes. Ces derniers émettent en retour une lumière apparaissant sur un écran sous forme de lignes vertes : il s’agit donc d’une « forme définie » résultant d’une interférence entre des électrons, ce qui suppose nécessairement un effet ondulatoire. Lorsque l’une des deux fentes est obstruée, n’apparait plus qu’une grosse tache uniforme de lumière verte, sans figure définie. Il faut que les deux fentes soient ouvertes pour voir une figure d’interférence (des lignes vertes parallèles). L’expérience des fentes de Young démontre ainsi que, comme la lumière, les électrons sont à la fois particules et ondes. De Broglie (1892-1987) démontre bientôt que cela vaut pour toutes les particules.
Les premiers tubes utilisés produisaient des milliards d’électrons par seconde, ce qui était suffisant en énergie pour produire une interférence. Lorsqu’on en vint à utiliser des canons spécialisés pouvant envoyer un électron à la fois, plus rien n’apparut. On utilisa alors une plaque photographique (comme celle des anciens appareils photo) avec l’écran. Lorsque, avec cet ajout, les deux fentes étaient ouvertes, on voyait lentement apparaître une figure d’interférence, pourtant formée par des électrons envoyés un par un, et qui, selon toute vraisemblance, ne pouvaient passer que par l’une ou l’autre des fentes. Pourtant, étonnamment, il n’y avait plus d’interférence lorsqu’une des deux fentes était fermée (n’apparaissait alors qu’une grosse tache blanche floue sur fond noir).
La seule explication, aussi incroyable soit-elle, est que chaque électron interfère avec lui-même, chacun étant dans une superposition d’états faisant en sorte qu’il passe par les deux fentes en même temps. Cette découverte est à l’origine de la théorie quantique. Celle-ci a permis de réaliser que les électrons, les atomes et même de petites molécules peuvent se trouver dans plusieurs états superposés susceptibles d’interférer avec eux-mêmes. Encore aujourd’hui, la physique quantique permet d’apporter une explication aux phénomènes qui ont lieu à une échelle microscopique. Sans elle, nous n’aurions incidemment pas de circuits intégrés, d’ordinateurs, de panneaux solaires, de centrales nucléaires, de lasers, de fours à micro-ondes, etc.
Contrairement à ce qu’on a cru, les électrons autour d’un atome n’ont pas de position définie : il est impossible de dire où se trouve un électron à un moment donné. Ils forment une sorte de nuage autour du noyau et sont constamment à tous les endroits à la fois, mais avec des probabilités de présence définies. On ne peut plus parler de position ou de mesure de mouvement pour une seule particule, mais seulement de densité et de probabilité de présence. Celle-ci est calculable grâce à certaines équations. C’est ce caractère calculable ou quantifiable qui est à l’origine du mot « quantique ». Aujourd’hui, des physiciens spécialisés peuvent reproduire à volonté des particules susceptibles d’être dans une superposition d’états. Quand une de celles-ci se heurte à une autre, l’ensemble se trouve immédiatement dans une nouvelle superposition d’états dont on peut calculer l’amplitude de probabilité de présence. Il s’agit d’un champ associé à chaque particule ou à un groupe de particules dont la valeur en un point donné détermine la probabilité que ce champ s’y trouve.
À une prochaine fois pour le texte no. 12.