Questionnaire de P(oés)I(e) : Claude Paradis par Christophe Condello
Bonjour,
Nous avons le grand plaisir de recevoir aujourd’hui, au questionnaire de P(oés)I(e) le poète Claude Paradis.
Présentation
Né en 1960 à Beaumont, dans Bellechasse, j’ai grandi à Lauzon (ville plus tard annexée à Lévis). Après un baccalauréat et une maîtrise en littérature québécoise, j’ai enseigné la littérature et le français au collégial pendant 30 ans. J’ai publié neuf recueils de poésie depuis 1985. En 2015, j’ai aussi fait paraître l’essai Ouvrir une porte sur dix grandes œuvres de la poésie québécoise du XXe siècle. Pour souligner le centenaire de la mort du poète Eudore Évanturel (1852-1919), j’ai dirigé avec Vincent Lambert et Yves Laroche un ouvrage collectif consacré à ce poète injustement oublié.
1- Qu’est-ce qui vous a amené à la poésie ?
Adolescent, entre 12 et 15 ans, je ne me comprenais plus très bien, je sortais de mes rêves d’enfance sans trop savoir quoi penser, quoi faire de moi. Un soir, ma sœur Élise m’a proposé d’écrire un poème avec elle. Sans prendre la proposition au sérieux, j’ai fait l’exercice avec elle. Dans les jours ou les semaines qui ont suivi j’ai refait en cachette cet exercice, pour me rendre compte que cela m’aidait à combler quelque chose en moi. C’est là où j’ai commencé à lire de la poésie, à me procurer mes premiers recueils de poésie, Étraves de Gilles Vigneault, puis Le réel absolu de Paul-Marie Lapointe.
2- Pouvez-vous nous indiquer un livre que vous aimez particulièrement ?
Un livre, c’est difficile. Il y a quelques recueils de poésie que je relis régulièrement. Si je devais en retenir un seul, j’hésiterais entre Regards et jeux dans l’espace d’Hector de Saint-Denys Garneau, Moments fragiles de Jacques Brault et Fureur et mystère de René Char.
3- Pouvez-vous nous dévoiler un ou deux de vos poètes préférés et pourquoi ?
Je crois avoir répondu à cette question en répondant à la précédente. Je vais préciser que les deux poètes que j’admire le plus, quand je m’arrête à l’ensemble de tout ce qu’ils ont écrit et publié, ce sont Jacques Brault et René Char. De Brault, je retiens la simplicité et le style intimiste : chaque fois que je le relis, j’ai le sentiment que Brault s’adresse à moi, qu’il me chuchote à l’oreille, me confie ses états d’âme. De René Char, j’admire la dextérité et la puissance d’évocation, l’engagement humain et la densité du style.
4- Quelle est votre dynamique d’écriture ?
Vers l’âge de 17 ans, j’ai pris la décision d’engager tout mon être dans l’exercice de la poésie. Pour me former et atteindre mon objectif de publier un jour, j’ai pensé que je devais développer une discipline d’écriture, je me suis alors imposé de lire de la poésie et d’en écrire tous les jours, ce que je fais depuis mes 17 ans. Chaque jour, le matin, après avoir pris connaissances de l’actualité dans les journaux, je m’installe à ma table d’écriture près de la fenêtre.
En écoutant de la musique, jazz surtout ou classique, je lis en passant d’un livre de poèmes à un autre (je le disais déjà en ouverture du recueil Le livre sur la table en 2009), puis j’ouvre mon carnet dans lequel j’écris à la plume. Quand j’ai le sentiment que le poème est écrit, je le retranscris aussitôt à l’ordinateur. Parfois, j’aime partager ce que j’ai écrit : j’enregistre alors une courte vidéo dans laquelle je fais la lecture du poème du matin et dépose le tout sur Facebook et Instagram parce que j’ai découvert, au fil de mon expérience d’enseignement, que les gens apprécient qu’on leur lise de la poésie, comme si la voix éclairait le poème.
5- Pouvez-vous nous présenter votre dernier recueil, sa naissance, son thème, ses inspirations ?
Mon plus récent recueil s’intitule Écrire son nom dans la poussière, et il paraîtra en mars 2025 aux Éditions Mains libres. C’est autour de l’évocation de ma mère, décédée le 1er mai 2012, que j’ai voulu cerner l’ensemble du projet, sans pour autant ne parler que d’elle, puisque je voulais laisser paraître comment la vie suit son cours malgré que le sentiment de fragilité et la peur de l’effacement envahissaient de plus en plus mon écriture.
Tout le projet porte en ses marges la présence ou l’aura de ma mère, même les poèmes du début, pourtant en apparence plus en périphérie de ce que j’ai ressenti au moment où ma mère faiblissait et lentement s’en allait. C’est plus précisément un recueil sur la perte des repères. C’est aussi un livre qui porte sur la conscience qu’on développe de sa propre disparition. C’est enfin un livre de deuil, triste en un sens, en tout cas pour moi. Mais je ne peux m’empêcher d’y voir scintiller une lueur, comme si une étoile brillait tout au creux, entre les lignes, entre les vers.
6- Pouvez-vous nous en offrir un ou deux extraits ?
Voici le poème liminaire du recueil :
Il y a maintenant plus de dix ans
que ma mère ne prononce plus
mon nom. Et j’ai le malheur
d’être issu d’une génération
ne perpétuant que le nom du père.
Dans le vacarme historique
des noms d’hommes, ma mère
— Huguette Gobeil —
traverse le silence de l’oubli.
Un peu en retrait, à l’abri
du regard des autres, sensible
à ce qui semble inutile,
j’écris son nom dans la poussière.
Quelques pages plus loin, dans Écrire son nom dans la poussière, se trouvera ce poème
Je ne peux me contenter de l’inventaire
de ce que j’ai accompli. Je ne compte pas
les heures que je mets à circonscrire
le territoire, autour duquel se précise
mon chemin. Il n’est pas facile
de trouver sa voie : on n’en finit pas
de trier les petits cailloux sous ses pas.
Je regagne le rythme que j’avais appris
à tenir en emmêlant vers et prose,
et je ne cesse d’étudier les œuvres
de poètes que peu de gens lisent.
Je découvre de nouveaux repères
où tant de fois j’ai voulu m’orienter.
Je me fie à la cartographie de la poésie.
En ce paysage, la substance des mots
trace la ligne du temps.
7- Y a-t-il un site de poésie que vous nous recommanderiez et pourquoi ?
Je ne visite pas vraiment les sites de poésie. Je n’en connais pour ainsi dire pas.
8- Y a-t-il une revue de poésie vous nous recommanderiez et pourquoi ?
Je ne lis pas vraiment de poésie en revue. Je suis un lecteur de recueils de poésie, je n’aime pas les anthologies, sauf au plan pédagogique ou dans un objectif pédagogique. Par ailleurs, je reconnais l’importance des revues de création, mais je n’en consulte pas ni ne confie des textes à des revues de création parce que je ne prends pas plaisir aux mélanges des voix.
9- Le mot de la fin
Quand on me demande de dire
ce que la poésie représente pour moi,
je perds pendant un moment le sens
de ce qu’elle peut me livrer. Pourquoi
trouvons-nous mystérieuse la poésie ?
Chaque jour m’amène mille exemples
de ce qui nourrit un poème. Ce matin,
je la vois apparaître dans la fumée
qui, s’échappant d’une cheminée, s’étiole
aussitôt dans un ciel parfaitement bleu.
La poésie n’est pourtant ni la fumée
qui s’échappe ni le bleu du ciel
qui l’avale, elle provient en fait
de la manière dont je regarde et reçois
le jeu de la fumée contre le bleu du ciel.
La poésie se love dans la médiation
de mes sens avec l’ensemble
de ce qui compose mon environnement.
Voilà, un très grand merci cher Claude d’avoir joué le jeu du Questionnaire de P(oés)I(e), et pour ces réponses éclairées. Je vous souhaite tout le succès que vous méritez amplement.
Christophe Condello est poète, blogueur et directeur littéraire de la collection Magma Poésie chez Pierre Turcotte Éditeur.