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Éléments de philosophie spirituelle. (Texte no. 12)

Géodésique de l'espace-temps d'Einstein. Crédit photo @Adobe Stock #637210024 Géodésique de l'espace-temps d'Einstein. Crédit photo @Adobe Stock #637210024
Géodésique de l'espace-temps d'Einstein. Crédit photo @Adobe Stock #637210024

Dans l’expérience quantique des deux fentes de Young où les électrons sont envoyés un par un (voir le texte no. 11), chacun de ceux-ci passe en même temps par les deux fentes en interférant avec lui-même. Sur la plaque photographique, les électrons devraient théoriquement apparaître selon ce genre de dédoublement, mais chacun paraît au contraire toujours en un seul point. De plus, dès que l’on cherche à savoir par où un électron passe, que ce soit en fermant une fente ou autrement, l’interférence disparait encore. Le même phénomène se produit lorsqu’on fait une mesure de la position : on trouve une valeur, mais l’interférence disparaît.

La seule explication possible est que l’acte d’observation provoque toujours la réduction de la fonction d’onde en un seul point, celui où l’observateur voit l’électron. Force est de constater que l’observateur ne peut voir qu’un aspect de la réalité, pourtant indissociable d’un autre. Par ailleurs, en essayant de connaître la position d’un électron, en lui envoyant un photon à un endroit précis par exemple, l’onde s’étale et on ne peut mesurer ni sa position ni sa direction. Étant donné qu’on ne connaît pas cette dernière, on ne peut pas mesurer la vitesse non plus, car l’ignorance de la direction rend impossible l’enregistrement d’un temps de passage entre deux points.

Avec des lasers, il est possible de placer le nuage électronique qui entoure un atome dans un état doublement excité. Cet atome va alors émettre deux photons dans deux directions opposées. Ceux-ci sont alors corrélés ou intriqués. Les mesures que l’on fait sur un photon intriqué conditionnent instantanément l’état de l’autre comme s’il n’y en avait qu’un seul. En fait, il s’agit de deux « images » d’un même photon qui partagent la même fonction d’onde (la valeur de l’onde en tout point de l’espace-temps sous forme d’amplitude de probabilité de présence).

Même si l’on connaît la vitesse d’un photon, on ne peut connaître qu’imparfaitement sa position, parce que cette particule est aussi une onde ; on ne peut mesurer que sa fréquence (proportionnelle à son énergie) et sa polarisation (l’orientation de son plan de vibration par rapport à son plan de propagation). Il est possible de fabriquer un filtre polarisant sous forme d’une myriade de petites rainures parallèles qui ne laissent passer que les photons qui vibrent dans le même sens, verticalement par exemple. Si un second est ajouté mais orienté horizontalement cette fois, on bloque alors presque tous les photons. C’est le principe des lunettes de soleil polarisantes.

On peut mesurer la polarisation, mais seulement une direction à la fois : ou bien verticale ou bien horizontale. Juste avant la mesure, le photon est dans un état superposé « horizontal et vertical », mais il est possible de connaître les coefficients de probabilité de le trouver dans l’un ou l’autre état. Dans le cas de deux photons intriqués, les polarisations sont toujours identiques : si l’un est vertical, l’autre l’est aussi (et la mesure de polarisation horizontale donne toujours zéro) ; et vice-versa. Avec un premier appareil, on peut mesurer l’intensité de la polarisation horizontale de l’un des deux photons corrélés puis, avec un second appareil, même placé très loin du premier, l’intensité de polarisation verticale de l’autre.

De cette façon, on peut déterminer la polarisation verticale et la polarisation horizontale. Il est impossible de mesurer en même temps les polarisations dans les deux sens. Tout se passe comme si, dès que l’on trouve que l’un des deux photons a une polarisation verticale ou horizontale, l’autre acquérait instantanément la même, quelle que soit la distance entre les deux appareils de mesure. Le monde quantique ne cesse d’étonner par son étrangeté. La nature ne se limite vraiment pas à ce qu’avait prévu la mécanique classique de Newton.

En 1925, Schrödinger (1887-1961) a élaboré une équation permettant de décrire dans la perspective quantique toutes les particules atomiques, tous les atomes et toutes les molécules. Grâce à cette équation, les physiciens peuvent déterminer avec précision toutes les probabilités quantiques telles que la probabilité que le système soit dans tel ou tel état, que son énergie soit ceci ou cela, etc. La fonction d’onde psi (Ψ) fixe la valeur de l’onde en tout point de l’espace-temps sous forme d’amplitude de probabilité de présence.

Comme chaque particule, chaque groupe de particules et chaque objet peut se comporter comme une onde, l’équation de Schrödinger permet donc de fixer les probabilités de présence comme celles qu’un électron soit ici ou là, possède telle ou telle énergie ou soit dans tel ou tel état. Elle permet aussi de déterminer les amplitudes pour qu’une molécule soit dans tel ou tel niveau d’énergie. Comme les molécules ont aussi un caractère ondulatoire, les amplitudes y interfèrent : elles s’ajoutent et se retranchent à la manière des vagues sur la mer.

Les particules tournent aussi sur elles-mêmes comme des toupies. Le spin est la mesure quantitative de l’énergie de rotation d’une particule. On peut imaginer le spin d’un proton comme une flèche imaginaire issue de son centre dont la longueur définit sa vitesse de rotation et la direction, son axe. Le spin est ainsi représenté comme un vecteur (segment orienté comportant une origine et une extrémité) qui pointe dans le sens de son axe de rotation. Comme toutes les valeurs représentant une énergie, le spin est quantifiable à partir de la constante « h » (6,63×10-34 joules par seconde) découverte par Max Planck en 1900. Celle-ci indique le seuil d’énergie minimum que l’on puisse mesurer sur une particule.

Les particules possèdent soit un spin demi-entier (multiples de h/2), ce sont les fermions ; soit un spin entier (+1 h ou -1 h), ce sont les bosons. Le spin des atomes détermine les champs magnétiques. Tout ce qui est magnétique vient du spin. Toutefois, lorsque les directions des spins sont distribuées au hasard, comme dans un morceau de fer ordinaire, le champ magnétique résultant est nul. Mais on peut aimanter le fer en forçant les spins à pointer plus ou moins dans la même direction. Plus il y a d’atomes dont les spins sont parallèles, plus le champ magnétique est intense.

Non seulement l’énergie du spin est quantifiable mais sa direction aussi, quoiqu’indirectement. On ne peut toutefois mesurer qu’une composante à la fois (horizontale ou verticale) et pour une direction seulement. Par exemple, pour mesurer le spin d’un proton, on le fait passer entre deux aimants parallèles, disons placés horizontalement, et on regarde dans quelle direction il est dévié. On obtient ainsi l’intensité de la composante horizontale. Puis on le fait passer entre deux aimants verticaux pour obtenir la composante verticale. Étonnamment, ces déviations sont toujours +1 h ou -1 h, jamais 0.

Comme les photons ont une masse nulle, le calcul de leur énergie à partir de l’équation d’Einstein donne toujours zéro (E = MC2 = 0 x C2 = 0). Mais, comme ils ont un spin, ils ont quand même une énergie. Ils tournent sur eux-mêmes à la vitesse de la lumière en produisant une énergie qui vaut précisément h x (leur fréquence). L’orientation du spin du photon va dans la direction dans lequel l’onde, pour ainsi dire, « vibre ». Leur polarisation valant toujours +1 h ou -1 h, donc un spin entier, les photons sont donc des bosons.

Pour ce qui est des fermions, comme les électrons et les protons, leur spin est demi-entier : h/2 et ses multiples. Les électrons forment des sphères plus ou moins concentriques autour de l’atome. Si l’on tente de rapprocher deux atomes, les sphères qui les entourent vont se repousser étant donné qu’ils sont électriquement chargés. Il s’agit de la force électromagnétique (qu’il ne faut pas confondre avec la force magnétique qui vient du spin comme tel). La force électromagnétique est très puissante : elle contribue par exemple à faire en sorte que nous ne passions pas à travers un plancher (les électrons des atomes de nos pieds sont repoussés par ceux des atomes du plancher).

Les électrons peuvent prendre des formes complexes appelées orbitales, en particulier pour la couche la plus proche du noyau. En plus de l’énergie du spin, ils peuvent ainsi avoir une autre valeur quantique. Il s’agit, pour ainsi dire, d’une partie du spin que les électrons acquièrent en tournant autour du noyau selon leur trajectoire complexe. On sait que le courant électrique est un mouvement d’électrons. Les noyaux des atomes de cuivre d’un fil électrique et les électrons qui tournent autour étant des fermions, les électrons du courant électrique doivent sans cesse éviter les autres fermions et se cognent ainsi sans cesse aux atomes de cuivre, ce qui les ralentit et crée une résistance. Même les meilleurs métaux conducteurs ont une résistance : le fil s’échauffe et une partie de l’énergie est perdue.

Dans certains métaux à très basse température (comme moins 243°C), les électrons se regroupent deux par deux et parviennent à passer sans rencontrer de résistance. C’est ce qu’on appelle la supraconduction. Dans un supraconducteur, les électrons sont intriqués (les paires de Cooper) ; dans ce cas, les spins sont antiparallèles (l’un a un spin égal à 1/2 et l’autre à -1/2) de sorte que le spin total est nul. Dans cette configuration, ils forment ce qu’on appelle un boson composite. Les deux fermions d’un boson composite ont la même fonction d’onde, puisqu’ils sont intriqués. Comme leur spin total est nul, leur énergie est minimale et les deux électrons arrivent à passer en bousculant très peu les atomes du métal.

Les bosons composites peuvent ainsi traverser les atomes sans perturber leur délicat arrangement et, de ce fait, sans ralentir. À -243°C, les atomes du métal n’arrivent pas à enlever aux électrons une quantité d’énergie qui soit au moins égale à la constante de Planck : toute énergie étant un multiple entier de « h », les électrons conservent ainsi 100% de leur impulsion et arrivent à passer sans perte d’énergie. Dans un câble supraconducteur, la résistance électrique n’est pas seulement très faible, elle est nulle. Mais la difficulté consiste en l’impossibilité en pratique d’obtenir une température aussi basse d’une façon généralisée. Aujourd’hui, certaines expériences ont eu de bons résultats à des températures un peu moins basses, mais encore trop basses pour permettre la supraconduction à grande échelle.

L’idée que tout est énergie, l’étrange intrication, le principe d’indétermination et l’influence de l’observateur sur l’objet observé, bousculent les conceptions du réel.

À une prochaine fois pour le texte no. 13.

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.