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MENA’SEN, une affaire nationale. 

MENA'SEN, une affaire nationale. Crédit photo @Thomas Deshaies, Radio-Canada, Estrie, 6 mai 2022. MENA'SEN, une affaire nationale. Crédit photo @Thomas Deshaies, Radio-Canada, Estrie, 6 mai 2022.
MENA'SEN, une affaire nationale. Crédit photo @Thomas Deshaies, Radio-Canada, Estrie, 6 mai 2022.

Chronique judiciaire de LaMetropole.Com

Faits connus 

Des lecteurs, résidents d’OSBL (maintenant OBNL ou Organisme à  But Non Lucratif) gérés par des membres administrateurs externes, nous ont fait part de leurs inquiétudes en réaction à la situation où se trouve présentement le Faubourg Mena’Sen de Sherbrooke. 

L’organisme a fait l’objet de longues discussions en Commission d’aménagement du territoire (CAT) en juin 2022 à Québec sur le Projet  de Loi 37, à laquelle les partis d’opposition suggéraient des modifications. Un conseiller appelé sur place pour orienter les  parlementaires aura été questionné sans leur répondre clairement. 

Présentement, à la lumière de l’affaire Mena’Sen, les résidents de telles habitations anticipent avec raison que l’acquisition éventuelle, par des tiers autres que des OBNL, aura inévitablement pour effet de modifier leurs baux, sinon transformer la vocation de l’immeuble qu’ils habitent en condominiums et/ou autres projets domiciliaires. D’où la nécessité de clarification de la Loi sur les compagnies engagée en 2022, quelques mois suivant le partage entre administrateurs des  profits de la vente de Mena’Sen. Simple coïncidence. 

Deux ans plus tard, le jugement du 9 décembre 2024 aura ouvert un  chemin d’espoir. Le soleil s’est montré parmi les nuages. La Cour supérieure de  Sherbrooke a validé la procédure entreprise (action dérivée) et ordonnait l’annulation de la dissolution de Mena’Sen. Pour lecture intégrale de ce jugement : Soquij (2024) 2 CS 4448 ou lien internet : https://citoyens.soquij.qc.ca/php/decision.php?ID=805180C7A50260B44FB8DD077636780C&page=9

On se rappellera que les cinq membres et administrateurs de l’organisme auront partagé personnellement un cadeau d’environ 20  M$. Des expertises subséquentes évaluent au double la valeur de l’actif global vendu.  Selon la déclaration déposée au registraire des entreprises, les sommes auraient été entièrement encaissées par ces cinq individus.  Nouvelle déconcertante : il faudra cependant attendre les décisions sur les appels des défendeurs Fortin et Dubois déposés le 9 janvier  2025.  

Bref, la Cour d’appel du Québec, si la permission d’appel est accueillie, devra maintenant valider ou annuler le jugement de la Cour  supérieure. Cette dernière possibilité serait évidemment catastrophique pour les résidents de Mena’Sen, dorénavant assujettis aux projets de l’acheteur, lequel participe aussi à l’appel. 

Après-coup 

Nous avons reçu des informations sensibles et consulté des  documents d’intérêt public.  Retour au printemps 2022, après la vente. 

On se rappellera le montage élucubré des anciens administrateurs de  Mena’Sen, qui aura conclu à la disparition virtuelle de l’organisme.  Prenons le jugement de décembre 2024 pour l’état évident de cette saga. Les faits retrouvés depuis en confirment la réalité. Le 6 mai 2022, par un « hasard » que l’intéressé pourrait nous  expliquer, le Premier Ministre Legault déclarait très préoccupante  « l’affaire » du dossier Mena’Sen aux médias locaux. On peut se demander de quelle source le PM avait obtenu ces informations. Main sur le cœur, il promettait la tenue d’une enquête sur la vente et l’utilisation des fonds payés. 

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1881514/conseillere-sherbrookoise-reaction-vente-menasen

« Je veux savoir où sont allés ces 18 M$. Je suis sûr qu’on va avoir aussi la collaboration du fédéral pour faire toutes les enquêtes  nécessaires afin de savoir ce qui s’est passé. » 

La bonne volonté de circonstance.  La députée QS Labrie appuyait sincèrement cette promesse qui,  prévoyaient certains, n’était qu’un coup d’épée dans l’eau. Ce fut le  cas.  Voilà donc que, quatre jours après cette sortie du PM, l’un des cinq membres bénéficiaires du pactole, et signataire conjoint de l’acte de  vente, écrit directement au premier ministre sur son entête de lettre  professionnelle : « Serge Dubois Avocat Inc. ».  Les juristes anglophones utilisent une expression qui, peut-être, s’appliquerait à cette intervention inusitée: self-serving evidence… 

Par ailleurs, ne discutons pas à ce point les obligations de la loi québécoise sur le lobbyisme. Qu’il suffise de constater que cette lettre s’adressait en contexte litigieux à la plus haute autorité provinciale dont elle sollicitait le support.  La lettre de Me Dubois termine par un argument singulier : « Nous  sommes d’avis que le portrait dépeint par les médias et par les instances municipales actuellement (sic!) n’est pas fidèle à la réalité ».  

Faut-il signaler que Me Dubois avait dans ses dossiers l’avis juridique d’un associé du même cabinet, le notaire François Sylvestre, conjoint de la députée fédérale et ministre Élizabeth Brière. Rappelons que le  6 mai, le PM du Québec frappait la grosse caisse : collaboration du  fédéral… Coïncidence sûrement. 

Cet avis du notaire du 11 février 2022 était adressé à Me Jean François Bilodeau du cabinet d’avocats Lavery à Montréal, lequel avait  préparé le projet d’acte de vente et le mandat des signataires. Cet avis  qui a peut-être servi aux vendeurs et acheteurs auprès des autorités  provinciales ou pour caution éventuelle, conclut à la légalité des  termes de la vente sans discussion du partage de la somme entre les  signataires, lesquels étaient représentés au projet par l’avocat Dubois  et l’administrateur Fortin. Nul doute qu’une opinion sur l’appropriation  du paiement de la vente n’était pas prévue au mandat du notaire. Et 

l’honnêteté du cabinet Lavery n’est pas en cause.  

L’épisode de la lettre au PM survient alors que l’Assemblée nationale  attend le dépôt du « Projet de loi no 37 », soit la Loi modifiant diverses  dispositions législatives principalement en matière d’habitation.  

Le projet de loi sera déposé le 25 mai suivant. Certains organismes  (Fédération régionale des OSBL d’Habitation Montérégie et Estrie et le Réseau Québécois des Organismes d’Habitation) et quelques  députés demandent que la loi soit rétroactive à la vente de Mena’Sen  (discuté mais sans décision). La loi sera sanctionnée le 10 juin 2022. 

Dix jours après la sanction de la loi, le PM Legault déclare que, suivant  ses « vérifications » dont on ne connaît pas la teneur, la vente des  immeubles de Mena’Sen était « légale », sans dire si la légalité qu’il  présumait visait la vente ou la distribution du cash $ reçu par les cinq  membres-administrateurs. 

La loi no 37, à sa section sur la Loi sur les compagnies, précise les  dispositions déjà applicables à la date de la vente en plus d’y ajouter  des formalités administratives. https://www.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/fileadmin/Fichiers_client/lois_et_reglements/LoisAnnuelles/fr/2022/2022C25F.PDF

Et son préambule : 

La loi modifie la Loi sur les compagnies afin d’assujettir un organisme à but non lucratif à certaines exigences à l’égard d’un immeuble d’habitation dont l’affectation est sociale ou communautaire et qui a été financé par des fonds publics, dont celle d’obtenir l’autorisation du ministre responsable de l’habitation avant de l’aliéner. Elle prévoit des  sanctions pénales en cas de manquement de l’organisme. 

Les articles 222.07 à 222.17 de la Loi sur les compagnies sont ainsi précisés ou clarifiés (voir pages 11 à 14 de la loi). Y aurait-il un effet rétroactif invalide ? Les avocats n’ont pas encore discuté cette possibilité au mérite, mais l’argument circule parmi les défendeurs de l’action dérivée.  Nos lecteurs consulteront un avocat ou notaire sur leur situation si, par hasard, la leçon de Mena’Sen n’avait pas encore été comprise par les membres et les administrateurs externes de l’immeuble d’un OBNL qu’ils habitent. Nous ne sommes que témoins de faits sociaux et laissons aux professionnels du droit d’aviser leur clientèle au besoin. 

Le chemin s’annonce long sur l’action dérivée introduite à la Cour supérieure de Sherbrooke. Une fois l’appel décidé et si le jugement était maintenu, la suite des procédures pourrait durer plusieurs années. Sauf évidemment la possibilité d’un règlement entre toutes les parties.  Entretemps, le gel des fonds pendant l’instance serait une mesure de sécurité pour toutes les parties au litige. Y compris pour les frais que devront payer les perdants.  

L’affaire est d’intérêt national.  

Au prochain épisode.

Linguiste, traducteur juridique (Association Canadienne des Juristes Traducteurs / ACJT), éditeur, agent littéraire, chroniqueur d'affaires publiques, présentement avocat à la retraite (Barreau du Québec), directeur de Les Éditions du Mont Royal (editionsmontroyal.com). LL.L (licence en droit, Université de Montréal). D.E.S.D. (droit international, Université d'Ottawa). D.E.S.S. (linguistique et traduction, Université Concordia). Expérience de vie en pratique du droit, militance active et journalisme indépendant. De la politique fédérale au tout-inclus de l'engagement social et des droits collectifs. Publications: Eau secours! Eau Liberté! (écologisme radical, 2008) et Voter Vrai (historique critique des régimes électoraux canadiens et québécois en contextes démocratiques, 2018). Associé du groupe Éditeurs de la Métropole et de la Capitale.