Comment vit-on l’absence? Je rêve à la lumière dorée sur la table tournante. Je découvre un nouveau poète : Serge Lamothe. Le poète dans la nuit cosmique. Une étude sur l’exploration de l’ennui. L’impuissance dans la maison vide du poète. À la vie, à la mort, chaque page souligne le départ de l’être aimé.
Au secours de l’instant
Je vous souligne la page 15 pour commencer :
« La cicatrice du ciel
Te suspend aux étoiles balistiques
Le ventre lumineux de la bête
Vient au secours de l’instant »
Un petit exercice pour aller explorer l’invisible et l’absence. Ces étoiles balistiques sont faites pour briller à travers la fenêtre. Ces étoiles qui brûlent au fond des yeux. Le poète a l’âme douloureuse, il est fragile. Il a le don de choisir les bons mots :
« Le ciel décharge dans l’ombre
Et c’est de nous qu’il se vide » (1 )
Une écriture forte. Lamothe cherche la fameuse rivière Amour. Où est-elle exactement? On détruit beaucoup ces temps-ci.
« Quand tu pars
La mauvaise herbe s’entête
Le jardin pâtit
J’erre de sécheresses en inondations
De tsunamis en méga-incendies
Ton absence est une arme blanche
Braquée sur le feu des étoiles » (p. 26 )
J’ai pensé « aux roses incendies, aux étoiles
Envahissantes mélangés à la terre de trop
Jeunes enfants » (2 )
Vivre dans l’attente
Le poète s’ouvre à son fantasme amoureux. S’ouvrir pour ne pas trop souffrir. S’abandonner à l’imaginaire. L’intensité peut-être ainsi une illusion de liberté.
« L’énigme de ta joie
Demeure sourde à mes appels
De phares » (p. 69 )
Se souvenir des mots incendiés qui traversent chaque poème du livre. La grande impatience du poète. Pourtant, le temps est flou. Le poète est perdu. La maison est vide. Peut-il réapprendre à vivre? Autrement que dans l’attente. La chute me décentre. Comment consoler le poète? Espérer une belle lumière lisse. Il y a tant d’amours meurtries?
Pour résumer ce recueil, c’est comme reprendre à Dionysos le masque de l’errance. Pas d’extase, simplement revenir dans le cercle du doute, dans l’amplification des affects. L’auteur comme Balzac a sur lui la peau du chagrin. Un livre qui s’inscrit dans l’époque actuelle.
Notes
- Serge Lamothe, « Ma terre est un fond d’océan », Mémoire d’encrier 2016.
- Martine Audet, « Les mélancolies », L’hexagone 2003.
Né à Québec en 1963, Serge Lamothe est romancier, poète et dramaturge à l’opéra, au théâtre et au cirque. Il est également consultant en scénarisation. Pour l’Opéra national de Lyon: Les sept péchés capitaux et Le vol de Lindbergh (Weil / Brecht, 2006), Emilie (Kaija Saariaho, 2010) et Parsifal (Richard Wagner, 2012) repris au Metropolitan Opera (NYC) en 2013 et 2018, suivi du Vaisseau fantôme (Wagner) en 2020.
Parmi ses adaptations théâtrales : Le procès de Franz Kafka (Théâtre du Nouveau Monde, Montréal, 2004) et Le fusil de chasse, de Yasushi Inoué, (Usine C, Montreal, 2010 et Parco Théâtre, Tokyo, 2011) toutes deux mises en scène par François Girard (Le violon rouge). Il a signé l’adaptation du Temple du pavillon d’or de Yukio Mishima, mis en scène par Amon Miyamoto, au Kanagawa Arts Theater et au Lincoln Center Festival. Pour le Cirque du soleil, il a signé les dramaturgies de Zed (Tokyo, 2008) et Zarkana (Radio City, NYC, 2011). Auteur d’une quinzaine de livres, il partage son temps entre le Québec, la France et le Japon.
Serge Lamothe, Quand tu pars Éditions Mains Libres 2024.