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Re/paysagements intérieurs. Critique.

Re/paysagements intérieurs. Crédit photo @David Wong Re/paysagements intérieurs. Crédit photo @David Wong
Re/paysagements intérieurs. Crédit photo @David Wong
Vendredi 7 février 2025, après avoir soupé au restaurant Le Serpent adjacent à la Fonderie Darling – fascinant espace industriel reconverti en centre d’arts et situé dans le quartier Cité du Multimédia du Vieux-Port de Montréal -,  j’ai eu la chance de vivre une expérience multidisciplinaire, multisensorielle, é-mouvante, interpellante et inattendue en assistant à Dépaysement : les eaux intimes, performance danse/arts visuels signée Corpuscule Danse et présentée par Danse-Cité. Je ne devrais pas dire assister, car on y participe, à sa guise, au degré plus ou moins impliqué que l’on souhaite, les sens à l’affût, tous sollicités.
Émotion de renouer avec Corpuscule danse, avec le souvenir aussi vif qu’inévitable de France Geoffroy, précurseure de la danse intégrée au Québec, qui a su s’imposer et imposer la danse intégrée, celle des danseurs aux corps et aux esprits imparfaits, plus ou moins handicapés, visiblement ou moins visiblement ébréchés (qui ne l’est pas ?), au sein de la danse contemporaine, en tant que création contemporaine à part entière.
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Re/paysagements intérieurs. Crédit photo @David Wong
Émotion de retrouver Marie-Hélène Bellavance, danseuse et artiste visuelle, et Georges-Nicolas Tremblay, danseur, metteur en scène et chorégraphe, héritiers magnifiques de France Geoffroy qui assurent la co-direction artistique de Corpuscule Danse depuis le décès de France en avril 2021. Héritiers certes, mais libres. Audacieux aussi. Portant Corpuscule Danse plus loin, vers d’autres publics, permettant à la danse intégrée de se déployer et de toucher plus, en tournée partout au Québec, et auprès du jeune public. Un message d’inclusivité, mais aussi d’émerveillement. France serait contente. Ils pensent à elle, certainement, en hommage, mais pas excessivement, pour continuer de se déployer et rester libres, ce qui reste encore la façon la plus juste de lui rendre hommage.
À la fois exposition d’arts visuels, installation performative et spectacle de danse, dès l’entrée dans cet espace intimidant de hauteur, de vastitude, de rudesse aussi, le spectateur est invité à voir puis regarder, à s’étonner puis toucher, à entendre puis écouter, à tendre l’oreille aux paroles des chansons et des acteurs, à tendre les pupilles dans la pénombre et les éclairages qui l’attirent d’un endroit à un autre, et soudain se trouver devant une performance de danse, puis une autre, puis deux, puis trois, des solos, des duos, des pièces de groupe, au sol ou en hauteur. Un parcours improbable. Au départ on est submergé. On ne sait pas exactement où donner des sens, puisqu’ils sont tous sollicités simultanément, même le goût car on peut boire du thé et croquer un biscuit. Alors on suit son instinct sensoriel, dans l’instant, par-ci, par-là, à l’intérieur de la grande beauté plurielle à laquelle l’on est invité à participer, actif.
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Re/paysagements intérieurs. Crédit photo @David Wong
Ce sont des paysages. On les interprète à partir de ce qu’ils sont, du tissu, du verre, du plâtre, des disques, des livres, des meubles, mais aussi des fleurs et feuilles sèches, de la pierre, des lumières et des ombres, mais on les interprète aussi à partir de soi, des paysages intérieurs que cet environnement réveille en soi, à la fois très familier et très dépaysant. Réinventé. Réenchanté.
C’est dans cet écrin que s’inscrit la danse, fragile, mélancolique, la délicatesse des relations humaines, l’éphémère du contact, le deuil et la renaissance, les cycles du vivant. Marie-Hélène Bellavance et Georges-Nicolas Tremblay dansent avec d’autres interprètes d’exception, touchants, Ariane Boulet, Anthony Dolbec, Simon Renaud, Alexandra Templier, Romane Lavigne, âges et corporéités disparates et complémentaires, harmonieuses. C’est un re/paysagement collectif, parce qu’on le vit en groupe (il y avait beaucoup de monde), mais intime aussi, parce qu’au milieu de la foule, chacun fait son propre parcours.
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Re/paysagements intérieurs. Crédit photo @David Wong
Une belle performance, vraiment. Un beau moment, étonnant et ressourçant. à renouveler, on l’espère, à Montréal et ailleurs.

www.maisondeladanse

Écrivaine, Journaliste, Enseignante

Parisienne devenue Montréalaise en 1999, Aline Apostolska est journaliste culturelle ( Radio-Canada, La Presse… ) et romancière, passionnée par la découverte des autres et de l’ailleurs (Crédit photo: Martin Moreira). http://www.alineapostolska.com