Jean-Sébastien Larouche s’est enlevé la vie le 27 novembre 2024 à 51 ans. À sa manière, il a fait œuvre utile en cofondant, Les éditions de l’Écrou, avec le poète Carl Bessette. La maison d’édition qui fonctionne pendant douze ans sans subvention, se donne pour but de découvrir de nouvelles autrices et de nouveaux auteurs avec des textes que certains qualifient de trash. Un devoir de mémoire s’impose.
Écrit dans une langue crue, la langue d’ici et maintenant. Il publie son premier recueil de poésie « Le pawn shop de l’enfer » en 1997. Toujours chez Lanctôt éditeur, parait en 2000, « Dacnomanie » (finaliste pour le Prix Émile-Nelligan). Je vous propose une sélection de quelques livres que j’ai aimé tout particulièrement.
L’écriture c’est l’inconnu
J’aime bien l’idée de Marguerite Duras sur l’écriture.
« C’est l’inconnu de soi, de sa tête, de son corps. Ce n’est même pas une réflexion, écrire c’est une sorte de faculté qu’on a à côté de sa personne, parallèlement à elle-même, d’une autre personne qui apparaît et qui avance, invisible, douée de pensée, de colère, et qui quelquefois, de son propre fait, est en danger d’en perdre la vie (… ) L’écrit ça arrive comme le vent ». (1 ) J’ajoute : il faut débusquer l’inconscient, l’instinct, le rêve. C’est une libération nécessaire.
Maude Veilleux, « Une sorte de lumière spéciale ».
La poésie est contemporaine. L’insoumission au monde d’aujourd’hui. Elle réforme son quotidien. Elle a son vécu. Elle s’annonce : née en Beauce dans un milieu pauvre, d’une famille d’ouvriers. Elle le dit carrément : J’essaie de comprendre ma place là-dedans. J’écris avec ça. J’écris avec ça. Elle parle de l’Amérique divisée. Elle est candide dans ses convictions : la vraie pauvreté c’est l’absence de rêves (en introduction). On se laisse séduire : j’aimerais inventer une forme de poème rhétorique qui argumente comme dans le rap américain (p.13). Le théâtre moral, la tension mentale ou la fluidité d’une genèse. On la sent impuissante. Une jeune femme de 2020 qui a des revendications. Elle amorce un discours existentiel : j’ai envie de tout dire de dire l’anxiété qui fait ne pas répondre au téléphone aux courriels aux textos (p.23). (2 )
Jonathan Charrette, « La passion de Cobain ».
Kurt n’est pas mort. « C’est la parution de Hungry Ghost album solo sur un schizophrène cloîtré depuis une décennie démission de la réalité. » (7). En lisant ce récit romancé, j’ai mal à la mémoire. La nostalgie est un vertige. Comment rêver à une vie meilleure ? L’Éden, ça existe pour les poètes ? Barthes disait que Proust détestait le soleil. Il a planté l’arbre du mal malgré lui. Il souligne la pendaison de Chris Cornell en 2017 et les trente ans de l’album « Nevermind ». Et le soleil, lui ? « Un soleil qui boite sur ses vieux rayons. »(8). Ici, je m’arrête. Je suis sidéré. Charette crée des tumultes, des chaos en moi. L’affect ou l’émotion, le dos tourné pour échapper au vrai monde (j’irai vers le fleuve continuer ma lecture). C’est l’humeur du lecteur qui est remise en question. (3 )
Jean-Christophe Réhel. « La douleur du verre d’eau».
C’est un univers particulier. Réhel est devenu très vite un poète admiré d’un large public. Il a écrit des romans aussi. « Je n’aimais pas la poésie quand j’étais à l’école. Je fuyais les poèmes comme la peste. Je ne comprenais pas et je n’avais pas envie de comprendre. J’ai eu une forme de révélation quand je me suis rendu compte que la poésie me permettait d’aller au cœur du sentiment et de l’intime. »— Entrevue accordée aux Voix de la poésie.
Il est atteint de la fibrose kystique, maladie qui teinte beaucoup son écriture. En effet, il explore beaucoup les thèmes de la solitude, de la fatigue et de la maladie. Son écriture est cependant teintée de beaucoup d’humour, souvent auto-dérisoire. Ses œuvres décrivent à la fois la beauté et la fadeur du quotidien.
J’ai choisi ce poème :
« Je peux tenir
Mes erreurs à bout de bras de longues secondes
Je peux tenir à bout de bras
La lumière aussi longtemps que tiennent les voiles
De tes yeux
Je n’ai pas d’expérience de travail, je n’ai pas de métier
Sérieux
Ma seule expérience est de savoir
La quantité d’eau idéale
À mettre dans les plantes de l’appartement
Je peux tenir à bout de bras
Tout le linge d’une brassée
Je peux faire un mur avec mes mains
Parler la langue des chats
Je peux tenir à bout de bras »
Jean-Sébastien Larouche, « Des longueurs dans le styx ».
J’aime ce recueil parce qu’il fait allusion à Dédé Fortin des Colocs. Il s’est suicidé le 8 mai 2000 en se faisant hara-kiri. Les Colocs est l’un des meilleurs groupes québécois (1990- 2000 ).
« J’ai ta voix
Depuis six ans
Court message où t’étais saoule
Face à mon abdication
J’l’ écoute souvent
J’le delete pas
Parce que j’ai peur
D’avoir pus rien
Comme su’l répondeur de Dédé
La mort dans l’estomac
Les larmes qui coulent tout l’temps
De toute façon
Sans jamais être là »
Notes
- Marguerite Duras, « Écrire », Folio 2015.
- Maude Veilleux, « Une sorte de lumière », spéciale 28 mars 2020.
- Jonathan Charrette, « La passion de Cobain », 1 septembre 2021.