![\"\"](\"https:\/\/lametropole.com\/wp-content\/uploads\/2022\/09\/8533B118-0EF0-4D4D-9682-CB2597A5D6DD-300x244.jpeg\")
<\/p>\nMais voici qu\u2019elle franchit une nouvelle limite dans son grand \u0153uvre personnel, en signant une performance pluridisciplinaire qui combine \u00e9criture, interpr\u00e9tation th\u00e9\u00e2trale et ex\u00e9cution en direct d\u2019un portrait f\u00e9minin arch\u00e9typal selon la technique ancestrale a tempera. Le tout dans une chambre blanche, toute blanche, l\u2019espace de son atelier retapiss\u00e9 pour l\u2019occasion de toile immacul\u00e9e froiss\u00e9e et li\u00e9e qui n\u2019est pas sans rappeler directement les c\u00e9l\u00e8bres emballages de Christo.<\/p>\n
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Dans cet athanor irradiant de blancheur, devant seulement dix spectateurs assis en cercle serr\u00e9 \u00e0 moins de deux m\u00e8tres d\u2019elle, elle se livre durant une petite heure \u00e0 un grand rituel de purification de sa lign\u00e9e matrilin\u00e9aire. En alchimie, l\u2019\u0153uvre au noir (clin d\u2019\u0153uvre \u00e0 Yourcenar\u2026) consiste \u00e0 plonger dans les t\u00e9n\u00e8bres pour br\u00fbler les pourritures et ainsi transmuter le plomb en or. L\u2019\u0153uvre au blanc, \u00e0 l\u2019inverse, renvoie \u00e0 un d\u00e9sir de lavage, de nettoyage des origines pour faire table rase et \u00e9crire, peut-\u00eatre, une nouvelle page vierge de sa lign\u00e9e.<\/p>\n
Ainsi, sur un air de jazz associ\u00e9 immanquablement \u00e0 la tradition afro-am\u00e9ricaine, elle raconte. Elle danse, yeux band\u00e9s, comme mue par des forces int\u00e9rieures puis reprend prise sur son destin \u00e9crit par d\u2019autres, pour le raconter, donc le r\u00e9interpr\u00e9ter, donc le r\u00e9\u00e9crire, par elle-m\u00eame. \u00c9crire, c\u2019est se r\u00e9\u00e9crire, \u00e7a l\u2019est toujours et peut-\u00eatre peindre est-il \u00e9galement se repeindre, se repositionner dans l\u2019espace de la vie, entre hier et demain.<\/p>\n
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Qui dit purification dit aveu et qui dit aveu dit faute. Quelle faute\u2009? Celle qui entache la lign\u00e9e matrilin\u00e9aire de Fabienne Roques depuis que sa grand-m\u00e8re maternelle, en 1944, en Alg\u00e9rie fran\u00e7aise o\u00f9 elle vit dans la communaut\u00e9 privil\u00e9gi\u00e9e des femmes d\u2019officiers fran\u00e7ais partis \u00e0 la guerre, dans sa superbe villa perch\u00e9e en haut d\u2019un escalier qui surplombe la M\u00e9diterran\u00e9e au bleu inoubliable, flanqu\u00e9e de son homme \u00e0 tout faire alg\u00e9rien charg\u00e9 de la prot\u00e9ger, tandis que ses domestiques s\u2019occupent de sa petite fille de deux ans (la m\u00e8re de Fabienne Roques) autant que du jardin et de la vie quotidienne, sa grand-m\u00e8re se prend de passion pour un jeune soldat am\u00e9ricain, superbe m\u00e9tis aux yeux verts qui lui ouvre momentan\u00e9ment les portes du paradis sexuel en m\u00eame temps que celles de l\u2019enfer de l\u2019opprobre social. Les deux allant toujours de pair pour ce type de femmes qui, depuis la pr\u00e9histoire, n\u2019existent que par le fait d\u2019\u00eatre valid\u00e9e comme fille de leur p\u00e8re, m\u00e8re de leur fils, s\u0153ur de leur fr\u00e8re et \u00e9pouse de leur mari. Le d\u00e9sir c\u2019est la vie, et c\u2019est aussi la libert\u00e9. Mais il ne s\u2019agit pas pour Anne (la grand-m\u00e8re de Fabienne Roques) de vivre de libert\u00e9 et d\u2019eau fra\u00eeche. Tuer ce d\u00e9sir c\u2019est tuer cet amant, sous les yeux m\u00eames de sa fille Marie (la m\u00e8re de Fabienne Roques).<\/p>\n
![\"\"](\"https:\/\/lametropole.com\/wp-content\/uploads\/2022\/09\/8DE7346A-3122-4487-891F-A3F42BEF052A-249x300.jpeg\")
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![\"\"](\"https:\/\/lametropole.com\/wp-content\/uploads\/2022\/09\/32ECAE45-6471-4C91-A9FA-DD0FB91C94E9-233x300.jpeg\")
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On ne racontera pas tout ici, mais Anne sera acquitt\u00e9e. Tous savent et tous se taisent, depuis des g\u00e9n\u00e9rations. Le secret se referme comme une chape de plomb, un plomb plombant, oui, qui ne se transforme pas en or, non. Il se transmet plut\u00f4t, en transmission de violence, d\u2019opprobre et de recherche de respectabilit\u00e9 dans les futures g\u00e9n\u00e9rations f\u00e9minines. Fabienne Roques a des filles et une petite-fille. Un jour, elle a d\u00e9cid\u00e9 de prendre son stylo et d\u2019\u00e9crire, puis de prendre ses pinceaux et de peindre, a tempera avec le jaune d\u2019\u0153uf et les pigments, puis de dire le texte, et m\u00eame de l\u2019interpr\u00e9ter. Les artistes vivent g\u00e9n\u00e9ralement mal avec le silence. Fabienne Roques ouvre l\u2019athanor, pour ses filles et petite-fille, et pour nous toutes et tous au fond.<\/p>\n
Cette \u0153uvre au blanc de Fabienne Roques, remarquablement mise en sc\u00e8ne et interpr\u00e9t\u00e9e, nous renvoie \u00e0 nos propres m\u00e9moires secr\u00e8tes et \u00e0 nos propres d\u00e9sirs de transmutation, de lib\u00e9ration.<\/p>\n
Car, allez savoir, combien de cadavres tapissent les murs de nos silences\u2009?…<\/p>\n