La spiritualité. (Texte no. 9)

La spiritualité. (Texte no. 9). Par Robert Clavet, PhD  On a longtemps cru que la réalité était entièrement mathématisable et que la connaissance de l’ensemble des lois de la nature allait permettre un jour de prévoir entièrement le futur.
Un photon imaginaire Un photon imaginaire
Un photon imaginaire

La spiritualité. (Texte no. 9). Par Robert Clavet, PhD 

On a longtemps cru que la réalité était entièrement mathématisable et que la connaissance de l’ensemble des lois de la nature allait permettre un jour de prévoir entièrement le futur. Mais, au 20e siècle, la physique quantique et la théorie du chaos ont fortement ébranlé cette croyance. Faisons un peu d’histoire des sciences. Pendant près de deux siècles, deux conceptions sur la nature de la lumière avaient été confrontées : la théorie ondulatoire (ondes) et la théorie corpusculaire (comme les atomes et les électrons). Étant donné que la lumière peut créer des interférences (comme des vagues sur l’eau), les physiciens du 19e siècle avaient privilégié la théorie ondulatoire. Mais Einstein montra que l’effet photoélectrique (comme dans les panneaux solaires) ne peut s’expliquer que si la lumière est aussi formée de corpuscules minuscules et sans masse appelés « photons » (« lumière » en grec ancien). Nous savons maintenant que toutes les sources de lumière proviennent de photons émis par les électrons des atomes (par exemple sous l’effet d’une grande chaleur). En constatant que la lumière est à la fois un phénomène ondulatoire et une réalité corpusculaire, des physiciens se sont demandé si les électrons n’étaient pas aussi des ondes. « L’expérience des fentes » de Young allait en donner la preuve. Elle consiste, à l’aide d’un canon à électrons (faisant penser au tube cathodique des anciennes télévisions), à faire bondir des électrons de manière que certains de ceux-ci passent à travers une plaque métallique pourvue de deux petites fentes très rapprochées, et se rendent jusqu’à un écran où ils frappent des atomes. Ces derniers émettent en retour une lumière apparaissant à l’écran sous forme de lignes vertes parallèles dont le caractère défini trahit une interférence (donc un effet ondulatoire). Toutefois, si l’une des deux fentes est obstruée, il n’apparait plus alors qu’une grosse tache uniforme de lumière verte sans figure définie. Il faut en effet que les deux fentes soient ouvertes pour produire une figure d’interférence. Comme les premiers canons produisaient des milliards d’électrons par seconde, c’était suffisant en énergie pour produire une interférence. Lorsque, plus tard, on utilisa des canons pouvant envoyer des électrons un par un, plus rien n’apparut. On plaça alors une plaque photographique (comme celle des anciens appareils photo) en face de l’écran et une forme finit par apparaître. Étonnamment, même à partir d’un seul électron, une figure d’interférence apparaît lorsque les deux fentes sont ouvertes et seulement une grosse tache blanche floue sur fond noir lorsque l’une des deux fentes est obstruée. La seule explication possible, aussi incroyable soit-elle, c’est que chacun des électrons passe par les deux fentes à la fois dans un mélange ou une superposition de deux états ondulatoires, et interfère avec lui-même. C’est la naissance de la théorie quantique. On s’est rendu compte par la suite que toutes les particules et tous les ensembles de particules sont aussi de nature ondulatoire : ils peuvent se trouver dans plusieurs états ondulatoires superposés et interférer avec eux-mêmes. On en a fait la démonstration avec des électrons, des atomes et même de petites molécules. 

Contrairement à ce qu’on enseignait encore au secondaire au début des années 60, les électrons autour d’un atome n’ont pas de position définie. Ils forment plutôt une sorte de nuage et il est impossible de déterminer leurs positions spécifiques à un moment donné. Cependant, il est possible de calculer leurs « probabilités de présence ». C’est cet aspect mesurable ou quantifiable qui est à l’origine du mot « quantique ». Désormais, en physique, la description de l’état du vide tient compte des principes de la mécanique quantique. Alors que l’on croyait jusqu’alors que l’univers était rempli d’éther (milieu matériel fluide et élastique qui aurait permis la transmission des ondes à l’origine de la lumière), la théorie quantique parle plutôt d’un espace vide de matière, mais rempli d’énergie (on parle « d’énergie du vide »). Un « quantum » (du latin quantus « combien grand » ; quanta, au pluriel) représente la plus petite mesure indivisible de l’énergie. Les photons par exemple sont des quantités élémentaires d’énergie, des quantas de rayonnement électromagnétique échangés lors de l’absorption ou de l’émission de lumière par la matière, allant des ondes radio aux rayons gamma en passant par la lumière visible. La théorie de l’électrodynamique quantique nous apprend que les particules élémentaires échangent des photons virtuels et interagissent. Lorsque deux particules chargées électriquement interagissent, cette interaction se traduit, d’un point de vue quantique, comme un échange de photons. C’est pourquoi le photon (qui n’est pas de la matière puisqu’il n’a pas de masse) est considéré comme la particule médiatrice de l’interaction électromagnétique. Déjà, en 1865, James Clerk Maxwell définit la lumière comme une onde électromagnétique et figure sa vitesse de déplacement par la lettre « c ». En 1900, Max Planck découvre la constante « h », qui équivaut au seuil d’énergie minimum que l’on puisse mesurer sur une particule élémentaire. En 1905, Albert Einstein présente sa célèbre formule (E=mc2) qui établit une équivalence entre l’énergie et la masse multipliée par le carré de « la vitesse de la lumière ». En 1925, avec la constante « h » ainsi que la fonction d’onde « Ψ » (psi : qui fixe la valeur de l’onde en tout point de l’espace-temps sous forme d’amplitude de probabilité de présence), Schrödinger élabore une équation permettant une description quantique des particules subatomiques, des atomes et des molécules (qui interfèrent aussi en s’ajoutant et se retranchant comme des vagues sur la mer). L’équation de Schrödinger permet par exemple de fixer la probabilité qu’un électron soit ici ou là, possède telle ou telle énergie, soit dans tel ou tel état. 

Les particules présentent encore d’autres caractéristiques surprenantes. Par exemple, étant donné que les photons ont une masse nulle, ils ne devraient pas produire d’énergie, mais ce n’est pas le cas. Celle-ci vient du « spin » causé par la rotation des photons sur eux-mêmes, comme des toupies. Toutes les particules ont un spin, c’est-à-dire une énergie découlant de leur rotation sur elles-mêmes. Le spin est une des propriétés internes des particules au même titre que la masse ou la charge électrique, dont la mesure s’exprime sous forme de probabilités (donc soumise au principe d’incertitude de Heisenberg selon lequel il existe une limite fondamentale à la précision avec laquelle il est possible de connaître simultanément deux propriétés physiques d’une même particule microscopique, comme sa position et sa quantité de mouvement). Durant un temps très court, des particules virtuelles utilisent l’énergie du vide pour apparaître, agir et disparaître. Ce mécanisme est à l’origine des fluctuations du vide. Jean-Yves Grandpeix et François Lurçat donnent cette explication : « Une particule virtuelle est celle dont la durée est trop brève pour être détectée par interaction avec un appareil macroscopique, mais détectable par la médiation de son interaction avec une particule réelle ». Le vide est rempli de particules virtuelles qui, bien qu’elles apparaissent très brièvement, entraînent des corrections sur les calculs des systèmes déterminés (systèmes réputés être entièrement prévisibles et suivre des lois précises). L’étude des systèmes dynamiques hautement sensibles aux conditions initiales, a conduit à la théorie du chaos. On a découvert que de très petites différences dans l’état initial d’un système peuvent entraîner des résultats extrêmement différents rendant la prédiction à long terme très difficile, voire impossible. Cette sensibilité est souvent illustrée par l’effet papillon, une métaphore suggérant qu’un battement d’ailes de papillon pourrait éventuellement avoir un impact significatif sur les conditions météorologiques à l’autre bout du monde. La théorie du chaos explore les comportements imprévisibles des systèmes déterministes dont les résultats comportent un aspect aléatoire en raison de leur sensibilité aux conditions de départ. Les applications de la théorie du chaos sont vastes et concernent par exemple la météorologie, la climatologie, la sociologie, la physique, l’informatique, l’ingénierie, l’économie, la biologie, etc. Vraiment, la nature ne se réduit pas à ce qu’avait prévu la mécanique classique de Newton. Aspect de la réalité jusqu’alors méconnu par la science, la physique quantique a révélé l’importance du caractère imprévisible (du moins à long terme) de mécanismes qu’on avait cru entièrement déterminés. 

Au 19e siècle, le règne du déterminisme s’étendait sur l’ensemble de la pensée scientifique et philosophique. Un Laplace (1749-1827) considérait l’état de l’univers comme étant toujours l’effet nécessaire de son état antérieur. Autrement dit, on pensait que la connaissance complète d’un système rendrait possible une complète prévisibilité du futur. Comme on l’a vu, cette croyance a subi d’importantes secousses au 20e siècle. Les relations d’indétermination de Heisenberg montrent l’impossibilité de prévoir entièrement la réalité à venir. De plus, la physique quantique a remplacé la notion même de cause par celle de causalité statistique (une cause correspondant à plusieurs effets possibles, laissant place à des événements dont on ne peut connaître que des probabilités). En météorologie, par exemple, les prévisions se limitent en pratique à environ deux semaines, avec des marges d’erreur allant en s’élargissant. À l’opposé de Laplace, Buffon, un biologiste visionnaire du 18e siècle, a écrit : « Des forces animent l’Univers et en font un théâtre de scènes toujours nouvelles et d’objets sans cesse renaissants. » Autant au plan microscopique que macroscopique, il existe toujours un « horizon temporel » au-delà duquel on ne peut rien prédire. La puissance grandissante des ordinateurs n’y change rien. Philosophiquement parlant, la physique quantique et les découvertes récentes de la cosmologie ont rendu caduque l’idéologie scientiste (et non scientifique) selon laquelle toute la réalité est déterminée par un enchaînement causal nécessaire. Sans l’imprévisibilité, associée aux lois de la nature, il n’y aurait pas eu passage de la matière à la vie ni la « descendance avec modification » darwinienne comme facteur de l’évolution. Ontologiquement parlant, il n’y a qu’un monde. Mais l’univers ne peut-il pas être pensé comme le prolongement d’une mystérieuse Totalité préontique (« Liberté abyssale » qui précède l’être) ? En spiritualité, la confiance, comme choix libre par amour, est l’éclaircie de l’incertitude. 

À une prochaine fois pour le texte no. 10.  L’ensemble de cette série sur la spiritualité est accessible en cliquant sur mon nom en haut de l’article.

Photo principale : Un photon imaginaire

Poésie Trois-RivièreMains Libres

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.