Description : À l'ombre d'un château, un homme et une femme vêtus de vêtements médiévaux se livrent à un conte.

À l’ombre du château. [Conte] (Texte no. 6)

À la maison à deux lucarnes, Ésiom fut accueilli par un homme visiblement intéressé par le contenu de la charrette. Il mit fin au quiproquo en expliquant le but de sa visite. Il s’agissait bien de Bernardmont qui, avec un air méfiant accentué par une cale brune en étoffe du pays recouvrant sa tête du milieu du front jusqu’au bas des oreilles, confirma avoir vu une dizaine de cavaliers aller chez les Pollet et y rester jusqu’à l’arrivée d’une grande charrette fermée.

— À quoi ressemblaient-ils, demanda le charretier, s’agissait-il de soldats du roi ?

— Non, les armoiries du roi sont de petites fleurs de lys sur un fond bleu foncé, alors que les leur étaient une fleur jaune sur un fond bleu pâle.

— Est-ce que leur tunique était rouge-vin ? poursuivit Ésiom.

— C’était effectivement des soldats du seigneur Ribot, attesta l’homme à la cale, en imaginant son vis-à-vis mieux informé qu’il ne l’était en réalité.

Inopinément, Bernardmont fit volte-face, décidé à ne plus rien dire.

Sur le chemin du retour, le jeune homme essaya de mettre de l’ordre dans ses idées. « Ma mère était une servante du roi, se dit-il mentalement, et, pour une raison que j’ignore, elle fut renvoyée. Elle apporta avec elle la bague sceau du roi, mais, comme elle n’est pas une voleuse, le roi la lui aurait donnée, déduisit-il. Pourtant, il est peu probable qu’un roi ait fait un si important cadeau à une servante disgraciée. Quoi qu’il en soit, plusieurs années plus tard, les Pollet m’ont volé la bague. Le lendemain, des soldats de Ribot sont venus chercher le corps d’Érinée et se sont rendus plus tard chez les Pollet. Mais pourquoi est-ce le seigneur Ribot et non le roi qui a récupéré la bague ? Il est vrai que, selon la rumeur en tout cas, l’actuel roi Gauzelin serait issu de l’union illégitime de Ribot et de feue la reine Marguerite, épouse du regretté roi Charles. Toute cette histoire est bien compliquée », conclut le jeune homme. Perdu dans ses pensées, celui-ci crut entendre Érinée murmurer : « La crainte des mauvaises choses favorise leur arrivée, mais trop d’audace empêche les bonnes d’advenir ». Il décida de rester vigilant, mais sans brusquer les choses.

Un matin d’octobre, sous un ciel menaçant, alors que l’ancien mendiant remplissait sa charrette de navets, Anthelme arriva tout essoufflé, en criant :

— Tu dois t’enfuir immédiatement.

— Vous voulez dire, m’éloigner de ce jardin ?

— Non, t’enfuir de Tréblinor.

— Mais que se passe-t-il ? demanda Ésiom, décontenancé.

— Monte dans la charrette, je t’explique en chemin.

D’une façon décousue, mais en ajoutant des détails, Anthelme revint sur cette histoire de Ribot qui, en abusant de sa puissance et du bon droit, avait choisi sa jeune femme Agnès comme favorite, en la faisant passer pour une servante. Mais, poursuivit-il, le subterfuge n’avait pas échappé à la sagacité des villageois, le faisant cocu au vu et au su de tous. Pour le compromettre et s’assurer de son silence, l’abuseur lui avait fait don de la terre qu’il exploitait moyennant redevances et l’avait affranchi d’aller de mainmortes, c’est-à-dire, contrairement à la condition habituelle des vassaux, l’avait rendu, lui et ses descendants, héritier de sa terre. Le front en point d’interrogation, Ésiom demanda avec insistance quel était le lien avec lui. L’employeur répondit : « Grâce à un stratagème de son cru, Agnès a réussi à me faire parvenir un message où elle m’informe que l’orfèvre de Ribot a fait part à ce dernier de ta prétention d’avoir déjà vu la bague sceau du roi Charles. Le visage cramoisi et les poings fermés, le seigneur a alors grommelé « Le petit diable… Se pourrait-il que… ». Étant donné l’air qu’il avait, Agnès est certaine que ta vie est en danger. Tu dois aller immédiatement à ta chaumière. Nékolia t’y attend. »

Anthelme expliqua qu’il s’agissait du Grand Maître des Compagnons, organisation initiatique à laquelle il avait récemment adhéré, qui vivait en ermite dans la forêt du nord. Formé par une mystérieuse prêtresse de descendance celtique, Nékolia avait acquis un grand savoir au contact de la nature et par l’observation des astres. Lorsque, pour avoir son conseil, le disciple l’avait informé du message d’Agnès, le vieil homme lui avait répondu qu’il allait prendre le jeune homme sous sa garde. Anthelme insista pour que son jeune ami profitât de cette chance inattendue et allât rejoindre le Sage sans tarder. Après des remerciements empreints d’émotions, Ésiom se rendit illico à sa chaumière où l’attendait effectivement un vieillard dont la blancheur des vêtements, de la chevelure et de la barbe, faisait ressortir de grands yeux d’un vert étrange, presqu’hypnotique. Celui-ci l’accueillit avec cette formule inusitée :

— Que la puissance profonde de l’Univers habite ton cœur et ton âme.

— Bonjour ! répondit le jeune homme, intimidé. À suivre.

Robert Clavet, PhD    LaMetropole.Com

Nous vous donnons rendez-vous la semaine prochaine pour la suite de ce conte.

Las OlasLe Pois Penché