Désormais ma demeure, de Nicholas Dawson

Un homme à lunettes et à barbe plongé dans la Littérature québécoise, debout devant des buissons. Un homme à lunettes et à barbe plongé dans la Littérature québécoise, debout devant des buissons.
Julia Kristeva dirait que  » l’expérience amoureuse repose sur le narcissisme et son aura du vide.  » (1) Une condensation métaphysique s’impose. Un univers de solitude, un vide d’amour. La dépression devenue une oraison. Je lis un livre (roman-essai) de Nicholas Dawson, d’origine chilienne.
Mélancolie, exil et solitude

L’auteur s’expose à nu  » je me suis mis a écrire de nouveaux poèmes sur la dépression  » (2) . Il dira que c’est sa mère qui en est responsable. Un sentiment de culpabilité deviendra la matrice philosophique de ses états d’âme. Sa peur du médecin (3) . Toute une mise en scène se déploie à mesure qu’on avance dans le récit, il analyse ses visites chez le psy (4) . Puis, une phrase lumineuse :

  » Pour moi, les vrais guérisseurs

  Furent la solitude et le temps,

  La solitude de l’écrivain, le temps de l’écriture. »

Le pouvoir hédoniste

Il y a tout un travail sur soi.  » Un symptôme humano-terrien pointant un malaise foncièrement temporel » (6)  Pourquoi être vivant? Pourquoi vivre? L’âme dans un paysage qui voyage dans l’exil et l’idéal. Inadapté à vivre dans cette modernité. L’auteur travaille fort avec ses contradictions. Il est constamment prisonnier de sa nature cathartique. Mettre de l’ordre, produire du Sens. L’expérience est douloureuse. 

La guérison est-elle dans un partage d’affects?  » Écrire de nouveaux poèmes pour placer la mélancolie et ses boucles mortelles hors de soi, pour s’installer à l’intérieur d’une boucle choisie  » (7) . Cette souffrance est omniprésente. Un vampire dans ses émotions. Je me confie à une amie qui est psy. Elle me dit, « Cest notre époque, plus difficile, plus fragmentée. L’absence de repères idéologiques, etc. » Dawson s’est construit un monde intérieur pour éviter d’être noyé par le mal intérieur. Les mots sont le sang des livres.  » Je n’étais pas emmuré, non : avec les expressions, les formulations, les tics de langage et les pensées de toutes ces personnes dépressives que je lisais. » (8)

 Les traumas

On a droit à un essai, au milieu du récit, l’auteur a fait de nombreuses recherches sur la dépression qui a traversé l’histoire de l’humanité.  » Le colonialisme, les dictatures, les génocides, les exils et le racisme  » (9) . Les traumas viennent de loin, de nos parents, de nos ancêtres. En lisant les confessions de l’auteur, je me suis souvenu de Christian Bobin (après mes études à l’UQUAM en 1997).   » Je ne peux rien sur ma vie. Surtout ne pas la mener. Il ajoute : je ne serais fait pour rien. Je serais fait pour cela : tout. L’amour .  » (10)

Le coming out

Il y a derrière ce livre intense et très riche en informations, une métaphore subtile sur le coming out . Se construire une identité. « Créer, c’est une multitude de processus qui s’inscrit dans le fait de faire des boucles autour de ce que nous vivons  » (11).  Le trauma de l’immigration arrive à la page 146. Des explications sur l’intégration, le déplacement, l’appartenance. Selon l’écrivain, Philippe Manevy, suite à une discussion sur Messenger, il est possible d’aimer deux pays à la fois.

Je parle du Québec, le pays que j’espère depuis mon adolescence. Il y a tant à dire. Dans la marge du livre, plusieurs citations en italique. Je note Julia Kristeva et Gaston Bachelard que j’aime beaucoup. Un livre où les images s’épuisent. Regarder en soi pour trouver la dignité de la condition humaine. C’est mon interprétation que j’offre à l’auteur.

Notes

      1. Julia Kristeva, Histoires d’amour, Folio essai, 1988
      2. Nicholas Dawson, Désormais ma demeure. P. 26
      3. Idem, p.33.
      4. Idem, p. 40.
      5. Idem, p. 46
      6. José Acquelin, Libertés de la solitudeNota Bene, 2019, p.107
      7. Nicholas Dawson, Désormais ma demeure. 
      8. Idem, p.77.
      9. Idem, p.86.
      10. Christian Bobin, Souveraineté du vide, Lettres d’or. Folio 1995.
      11. Nicholas Dawson, Désormais ma demeure.

Nicholas Dawson a reçu le Grand Prix du Livre de Montréal en 2021 qui récompense l’excellence en création littéraire.  Né au Chili, ce récit est une méditation sur l’expérience  « queer » et immigrante de son auteur.

Nicholas Dawson, Désormais ma demeure, Triptyque (queer) 2021.

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Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com