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La spiritualité créatrice (Texte no. 39)

Une femme noire ornée de peinture bleue sur le visage, embrassant l'essence de La spiritualité créatrice. Une femme noire ornée de peinture bleue sur le visage, embrassant l'essence de La spiritualité créatrice.

La transfiguration est la splendeur de la limite qui est clarifiée par un feu mystérieux : elle transforme les faces en visages, les yeux en regards, l’immense « étendue en mouvement » en Monde…

Nicolas de Cues concevait l’Univers comme l’expression forcément imparfaite et inadéquate de Dieu, qui déploie dans la multiplicité et la séparation ce qui, en Lui, est présent dans une indissoluble unité. En contrepartie, pensait-il encore, tout être concret et singulier « contracte » de sa manière particulière et unique la richesse et la plénitude de l’Univers. Chez Descartes, Dieu ne s’exprime plus du tout dans la nature, mais seulement dans l’âme humaine. Cette vision du monde a certes aidé le célèbre philosophe français à remettre en question une soi-disant science entremêlée de croyances religieuses contredisant les faits, mais, pour ce faire, il a malheureusement cru nécessaire de rejeter le statut ontologique de la réalité sensible. De nos jours, plusieurs penseurs spirituels ont compris que l’affirmation de la lumière de l’être ne relève pas de la science et n’a pas à entrer en conflit avec celle-ci sur son plan. Encore au 18siècle, un Newton faisait appel à la présence de Dieu pour justifier la transmission de la force gravitationnelle. Il parle en effet d’un éther emplissant l’espace, non soumis à celui-ci, conçu comme une sorte d’organe sensoriel de Dieu permettant de transmettre les influences d’un corps à l’autre. Cet éther avait évidemment le statut d’hypothèse et n’intervenait pas dans les calculs. Au début du 20e siècle, en accordant des propriétés physiques à l’espace, la théorie de la relativité générale d’Einstein suppose toujours l’existence d’un éther, d’un medium pouvant transmettre l’interaction gravitationnelle des masses distantes, mais, cette fois, conditionné par celles-ci. Bien que le célèbre scientifique allemand fût profondément sensible à la dimension spirituelle, c’est largement grâce à lui si le concept d’éther a enfin cessé d’entretenir une confusion de plans entre la science et la spiritualité.

À partir du 20e siècle, la physique a connu un véritable bouleversement. On a constaté que non seulement la lumière est en même temps onde et particule, mais que toutes les particules sont aussi des ondes. Cela fait en sorte que toute matière peut se trouver dans plusieurs états superposés susceptibles d’interférer avec eux-mêmes. On s’est rendu compte que l’acte d’observation d’un électron provoque la réduction de sa fonction d’onde en un seul point, celui de l’observateur, et que celui-ci ne voit donc qu’un aspect de la réalité, même s’il est indissociable d’un autre. On s’est aussi aperçu qu’en essayant de connaître la position d’un électron, en lui envoyant par exemple un photon à un endroit précis, l’onde s’étale, de sorte qu’on ne peut mesurer ni sa position ni sa direction. Et si on essaie de mesurer sa vitesse, il faut enregistrer son temps de passage entre deux endroits à des moments différents, mais cela est impossible puisqu’on ignore sa direction. On a réalisé que les électrons forment une sorte de nuage autour du noyau de l’atome et sont constamment à tous les endroits à la fois, mais avec des probabilités de présence quantifiables. Désormais, on ne peut plus parler de position ou de mesure de mouvement pour une seule particule, mais seulement de densité et de probabilité de présence. En contradiction avec la nécessité logique, 2 photons peuvent être intriqués, c’est-à-dire constituer 2 « images » d’un même photon. Étrangement, les mesures que l’on prend sur un photon intriqué conditionnent instantanément l’état de l’autre, comme s’il n’y en avait qu’un seul. À chaque fois que l’un des 2 photons intriqués est polarisé verticalement, l’autre l’est aussi. Il en découle qu’il est impossible de mesurer en même temps les polarisations dans les deux sens comme si, dès que l’on trouve que l’un des 2 photons est vertical, l’autre acquérait instantanément la même polarisation, et cela quelle que soit la distance entre les appareils de mesure. Le monde quantique n’a de cesse d’étonner. La nature ne se limite vraiment pas à ce qu’avait prévu la mécanique de Newton.

La recherche fondamentale en physique et en cosmologie ouvre sur une réalité beaucoup plus complexe que l’on s’était imaginé. Tout comme la multiplication des côtés d’un polygone permet de s’approcher d’une circonférence parfaite sans jamais l’atteindre, les connaissances objectives permettent d’élargir les représentations du monde phénoménal sans jamais accéder à une unité parfaite. Une approche globale du monde incluant l’être qui le pense, exige une saisie intuitive de l’unicité fondamentale de l’Univers, une disposition d’esprit à voir plus loin et plus haut que tout ce qui est « ceci » ou « cela », une docte ignorance associée à une conscience symbolique permettant de transcender les limitations d’une pensée assujettie au principe de non contradiction. C’est pourquoi, tournée vers la « réalité une » qui précède et rend possible toute existence, la spiritualité s’exprime d’emblée en disant qu’il ne s’agit ni de ceci ni de cela. Elle chemine toujours parmi les rayons et les ombres, à la fois affirmés et niés. La réalité étant qualitativement plus riche que tout ce qu’on peut en dire, l’intuition de son unitotalité suppose un « silence ouvert ». Ainsi, dans la contemplation, les images habituelles se transfigurent et la pensée s’apaise en laissant place à un sentiment de présence. La contemplation ne se force pas : elle est ouverture et accueil. La lumière du Logos englobe tout et ne peut être englobée par une partie de ce tout. La saisie intuitive de cette lumière qui se donne et se retire en même temps, est au fondement de la conscience symbolique. La limite s’affirme par les efforts mêmes que nous faisons pour parler d’un autre plan de la réalité. La transfiguration est la splendeur de la limite qui est clarifiée par un feu mystérieux : elle transforme les faces en visages, les yeux en regards, l’immense « étendue en mouvement » en Monde… « Rien de ce qui nous entoure ne nous est objet, tout nous est sujet », a écrit André Breton (1896-1966), le chef de file du mouvement surréaliste.

Il n’y a pas de lumière sans ombre, l’une et l’autre entrant en contraste au sein d’une dimension préalable qui les ouvre l’une à l’autre. Sur un fond d’ombre et de lumière, il y a ouverture à ce qui vient-en-présence et à ce qui s’absente. De cette manière, la prise de conscience de la fragilité et de la vacuité de nos existences est révélatrice de cela seul qui nous appartient en propre, de notre être authentique, de la liberté que nous avons de nous choisir et de nous réaliser comme êtres libres et créateurs, ouverts et confiants devant le grand mystère de l’existence.

Robert Clavet, PhD    LaMetropole.Com

Je vous donne rendez-vous une fois la semaine pour la suite de notre chronique sur la spiritualité créatrice.

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.