Série Du beau monde. Snapshot 8 : Jane Birkin

Jane Birkin posant devant une caméra pour la Série Du beau monde. Jane Birkin posant devant une caméra pour la Série Du beau monde.
Série Du beau monde.  Snapshot 8.  Jane Birkin.   Par Aline Apostolska
Les icônes s’en vont décidément. Après Denise Bombardier, Milan Kundera, dimanche 16 juillet 2023, j’ai appris à mon réveil le décès de Jane Birkin à l’âge de 76 ans.
Dire que j’étais une fan serait mentir. Tout ce qu’on aimait d’elle me laissait assez indifférente, voire m’irritait, son filet de voix cassée, son accent anglais que je trouvais trop savamment entretenu pour être vrai, cinquante ans après qu’elle a immigré en France, son ingéniosité forcée, sa coiffure parfaitement débraillée, son allure de petit chien fragile pendant les entrevues, sa marque de fabrique de « fille pas de seins qui en avait assez de voir tout le temps ses grands pieds », ses déhanchements pieds nus de baby dollérotogène… D’accord, c’était l’époque mais quand même, j’ai toujours trouvé que La Birkin avait fabriqué son personnage, mais qu’il n’évoluait pas au fil des décennies. D’aussi loin que je me souvienne, je l’ai vue, entendue, à la télévision et à la radio françaises, et il y a un moment où j’ai fini par me dire « bon elle va encore faire son cinéma. » Mais, la vérité, c’est que je me disais ça de Serge Gainsbourg aussi. Et pourtant j’adorais Serge Gainsbourg. Et malgré tout ce que je viens d’écrire, j’adorais aussi Jane Birkin.
Peut-être parce que justement je l’ai toujours connue, du plus loin de mon enfance, quand elle chantait avec Gainsbourg dans les shows de Maritie et Gilbert Carpentier qui peuplaient les samedis soirs des Français des années 70, avec les Sheila, Johnny, Sylvie, Cloclo, Mike Brant, les Bécaud, Hardy, Dutronc, Aznavour, Mouskouri. Et même Tino Rossi. Je n’avais aucune affinité avec Tino Rossi adulé par ma grand-mère, mais il tapissait le paysage de mon enfance lui aussi, et bien sûr j’en oublie beaucoup. Je voulais danser avec Claude François, je voulais ressembler à France Gall, je voulais rencontrer un garçon comme Julien Clerc. Je chantais à longueur de journée, les yéyés, la prospère insouciance de la France des 60’ et des 70’. Mon père n’aimait que la pop anglaise et américaine, et heureusement pour moi, ça a éduqué mes goûts et fait l’équilibre.
Jane Birkin faisait partie de ce monde, à part entière. Elle en était indissociable alors oui, je l’adorais, elle était si belle et si douce. Je l’aimais en actrice, aussi, plus même qu’en chanteuse. Blow Up, La Piscine… je trouvais qu’elle y démontrait beaucoup plus de caractère. En fait c’est ça. Je trouvais qu’en chanteuse, elle semblait n’avoir aucun caractère. Non pas que j’admirai les trémolos scandés de Mireille Mathieu, ni sa coiffure de Jeanne d’Arc, mais Jane, actually, sa petite voix semblait si feinte. N’a-t-elle pas chanté Amour des feintes, signée Gainsbourg, tout comme tant de mythiques chansons que je connais encore par cœur : Baby alone in Babylone, Jane B., La Javanaise, Ex fan des sixties, Melody Nelson (ça c’est une merveille ! ), Shebam pow blop wizz, et l’inoubliable Je t’aime moi non plus. Tellement d’autres dont je vous propose ci-dessus une compil.
Mais Jane Birkin, malgré ses airs parfois agaçants pour moi, avait beaucoup de caractère. Je le savais, comme tout le monde, personne ne l’ignorait.
Il lui en fallu pour fuir Gainsbourg malgré qu’elle l’aimât encore à ce moment-là, le jugeant, elle l’a racontée, inconséquent avec Charlotte, leur fille.  Or Jane B. était mère. Une mère poule de trois magnifiques filles qui toutes lui ressemblent et sont des artistes, Kate Barry (avec le compositeur de James Bond), Charlotte Gainsbourg (avec Serge), Lou Doillon (avec le cinéaste Jacques Doillon), doublée d’une sacrée maîtresse de maison, et d’une militante engagée pour les droits humains (notamment les réfugiés et exilés), contre les inégalités sociales. Elle aimait bâtir et décorer des maisons, en France, en Angleterre, elle n’hésitait pas à acheter toute dinde rôtie pour Noël et aller l’apporter au clochard qu’elle croisait chaque jour dans sa rue, elle faisait des concerts bénéfices, signait des pétitions, prenait parti haut et fort, réalisait des documentaires. Avec l’âge, elle est devenue nettement, et de plus en plus, sympathique et respectable. Il en fallait du caractère pour refaire sa vie, continuer à tourner, à chanter, à avoir une vie après Gainsbourg et son talent. En ce sens, Jane B. est aussi l’icône d’une vie au déploiement exemplaire. Elle a même fini par se faire reconnaître dans son pays natal, l’Angleterre, qui l’ignorait et vénérait plutôt sa mère, une grande actrice shakespearienne.
Et puis sont arrivés les drames. L’un après l’autre, sans merci. Et quels drames. Et elle y survit. Plus ou moins bien, en vérité. Annonce d’une leucémie en 1998, alors qu’elle a 52 ans. De longues années de soins difficiles, elle remonte. En 2013, néanmoins, le mal est incurable, sa fille aînée Kate Barry, photographe, se suicide. Elle ne remonte jamais vraiment de la dépression qui l’assaille et la métamorphose, et comment ne pas le comprendre ? En 2021, un AVC la laisse choquée, et puis, et puis… Malgré ses filles, le magnifique film hommage que sa fille Charlotte a fait sur elle et avec elle,  malgré ses six petits-enfants aimants, ses amis fidèles, son dernier compagnon, ses projets foisonnants, les concerts bookés et qu’elle a dû annuler l’un après l’autre depuis le début 2023. Elle est apparue avec Charlotte et la fille de celle-ci aux Césars en février 2023, méconnaissable. Une fin annoncée, malgré tout.
Avec sa finesse, sa douceur vraie, son humanisme, elle ne s’est pas plainte, elle est passée de l’autre côté, avec discrétion et élégance. Elle était comme ça, Jane B. Unique, ne vous en déplaise.
Jane Birkin La compil :

Le Pois PenchéPoésie Trois-Rivière

Parisienne devenue Montréalaise en 1999, Aline Apostolska est journaliste culturelle ( Radio-Canada, La Presse… ) et romancière, passionnée par la découverte des autres et de l’ailleurs (Crédit photo: Martin Moreira). http://www.alineapostolska.com