Robert Lalonde, On est de son enfance

J’ai souvent lu et relu « Iotékha » de Robert Lalonde. C’est un romancier peu ordinaire. Rare. Quand je le lis, j’entends Kerouac dans sa solitude a «Big Sur» (1 ).
Robert Lalonde Robert Lalonde
Robert Lalonde

J’ai souvent lu et relu « Iotékha » de Robert Lalonde.
C’est un romancier peu ordinaire. Rare. Quand je le
lis, j’entends Kerouac dans sa solitude a «Big Sur» (1).

Ce sont des carnets d’écriture. On le lit pour
comprendre le monde. Je lis Lalonde pour retrouver
un peu de paix. C’est la parole libre, celle qui fait
rêver. Dans ses livres, il y a un adolescent avec « une
oreille verte » (Philippe Haeck).

On est de son enfance comme on est d’un pays

Il lit beaucoup. Cette phrase de Saint-Exupéry
traverse tout le livre. Je pourrais recopier le livre en
entier. C’est une écriture qui fait réfléchir. On reste
transfiguré.
« Alors, pourquoi avoir commencé d’écrire?
Précisément pour rameuter ce qui pouvait bien rester
de ces journées à la fois merveilleuses et menacées
de mon enfance » (p. 66).

Lire pour jubiler, devenir un jeu, une joie, une
jouissance… C’est entrer dans une forêt enchantée.
Je me souviens dans « Iotékha », ce passage : « Je
courais au-devant de tout, partait pour des voyages
immobiles, dont je revenais changé, puissant,
invisible. Un battement de paupières, un spasme du
cœur… Parfois, j’écoutais chuchoter nos morts qui
savaient tout » (2).

La fragilité du présent

Il écrit à son rythme. L’espace-temps n’est pas le
même pour tout le monde. Il écrit pendant vingt jours
puis quitte son manuscrit. Écrire pour survivre?

« J’écris pour durer dans l’attention sans défaillir.
J’écris pour prolonger l’épiphanie, assourdir les
roulements de tambour du temps qui fatiguent le
cœur, épuise le souffle. J’écris pour refouler la
destructibilité de la beauté, donner l’hospitalité au
désir fugace » (p. 80).

Moi, je tremble quand je lis de belles affaires. Ça me
remplit le cœur. Ça déborde. Et c’est comme ça
partout dans le livre. Ma chère Hélène Dorion et son livre « Mes forêts »
est cité suite à une correspondance avec Marie-Claire
Blais. Elle écrit : « Tu seras chamboulé comme moi,
j’en suis sûre, par la comparaison inattendue,
audacieuse, et magnifique qu’elle établit entre le repli
forcé auquel la pandémie condamne tout un chacun
et le confinement muet et courageux des arbres
braves et seuls… » (p. 97).
L’écho de la voix d’Hélène, je l’entends. Je la scrute.
Je vois ma mère qui me regarde. L’intensité du regard
de maman. Je reprendrai ma lecture plus tard.

Je ne dors plus la nuit

Je me lève. Je relis Lalonde. Je marche sur des
pierres chaudes. Il y a Rimbaud. Un atelier de
rêveries. Suis-je bien dans la réalité? La guerre, le
vide peuplé de spectres invisibles. Je suis un poète
désenchanté. Je souligne : « Le dormeur du val de
Rimbaud (3) fuyard couché dans l’herbe, bouche
ouverte, tête nue, j’avalais l’eau pure des étoiles, frissonnant d’une joie que je ne comprenais pas » (p.107).

Il écrit dans des cahiers d’écolier comme moi. Il
écrit tout à la main. Parce qu’il faut que l’écriture soit
lente… J’aime entendre le son du stylo sur le papier.
Je suis un enfant du vingtième siècle. Il n’y a aucun
mal à être un dinosaure. Je lis la Bible comme un
long poème. Le livre de la Survie. J’écoute l’enfant en
moi. L’adolescent maladroit qui joue de la guitare.
Heureusement, cet enfant me rappelle à l’ordre. Je
suis dans mon Corps et dans mon Esprit. Éviter le
naufrage du monde d’aujourd’hui.

Je termine avec cet extrait : « Qui sommes-nous? Ce
qui a été déposé en nous, désirs, espoirs, frousses,
envols, dégringolades, recommencements » (p. 126).
Merci, cher Robert Lalonde, vous êtes un des plus
grands écrivains du Québec.

Notes

Je cite souvent « Big Sur ». Le lyrisme exceptionnel dans l’écriture. La solitude, la spiritualité. L’Être et le non-être. « Iotékha ». Un livre sur l’enfance. Méditation intimiste. La vie sauvage. Boréal. 2009.

Arthur Rimbaud, « Le dormeur du Val », écrit à l’âge de 16 ans.
Robert Lalonde, On est de son enfance, Boréal, 2024.

Robert Lalonde est né à Oka en 1947. Après avoir obtenu un
baccalauréat ès arts au Séminaire de Sainte-Thérèse, il a poursuivi
des études en interprétation théâtrale au Conservatoire d’art
dramatique de Montréal. En 1970, il a obtenu le premier prix d’interprétation du Conservatoire et une bourse d’un an qui lui a permis de voyager en Europe et aux États-Unis.
De 2011 à 2015, il a enseigné la création littéraire au baccalauréat à
l’université McGill ainsi qu’à la maîtrise et au baccalauréat à
l’Université du Québec à Rimouski et à Trois-Rivières. Il a aussi été
professeur d’art dramatique au cégep Lionel-Groulx et au
Conservatoire d’art dramatique de Montréal. Il donne des ateliers
d’écriture et de nombreuses conférences chaque année.
Homme de théâtre reconnu,  Robert Lalonde se produit
régulièrement sur scène et joue dans de nombreux films et téléfilms,
dont tout dernièrement la populaire série télévisée « Au secours de
Béatrice », diffusée à TVA.
Il se consacre également à l’adaptation de textes pour le théâtre et à
l’écriture romanesque. Il a traduit, entre autres, le livre d’Anne
Michaels « Fugitive Pièces » (La Mémoire en fuite, Boréal, 1998).
Ses notes sur l’art de voir, de lire et d’écrire, parues dans « Le Devoir » il y a quelques années, ont été très appréciées du public et
se retrouvent, complétées de textes inédits, dans « Le Monde sur le
flanc de la truite et Le Vacarmeur », tous deux publiés au Boréal.

Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com

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