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La spiritualité créatrice (Texte no. 15)

La spiritualité créatrice éclairant les ténèbres avec des torches. La spiritualité créatrice éclairant les ténèbres avec des torches.

Les idéologies imposées d’autorité, même entretenues par un endoctrinement que l’habitude rend invisible, prescrivent toujours des remèdes bien pires que les maux qu’elles visent à guérir, puisqu’elles méconnaissent la liberté.

En considérant l’identité de notre moi à travers les différents moments de nos vies, nous ne pouvons en trouver aucune qui soit définitive, mais seulement une identité sentie, une sensation de continuité : nous avons l’impression d’être le même, mais force est de reconnaître que nous avons été tantôt comme ceci et tantôt comme cela. Nous avons aussi l’impression de savoir ce qu’est la réalité. Par exemple, si nous disons « cette table est verte », nous suggérons par une abstraction forcément fausse qu’il y a d’un côté de la table sans couleur et de l’autre du vert sans table, alors que ce qui nous est donné réellement est une sorte d’agglomérat où tout est donné en même temps. Nous sommes devant une réalité dont nous ne pouvons rendre compte que par des amalgames de mots, mais nous éprouvons le besoin d’en distinguer les termes en produisant des abstractions. Les vérités découlant d’une approche scientifique sont objectivement transmissibles, mais la réalité considérée dans ses rapports avec le sens de l’existence et les valeurs, est irréductible à ce genre de discours. Ceux qui sont animés par une soif de sens et d’éternité peuvent communiquer leur rapport au réel, mais sous forme de témoignages et d’une symbolique de l’expérience intérieure. Ce discours est issu d’une activité créatrice libre et s’adresse à d’autres libertés pouvant y découvrir une communauté d’expérience. C’est seulement en passant par les tours et retours du moi, dans cet abîme en mouvement, qu’elle peut être éprouvée. De Platon à Kierkegaard se dresse un aspect dominant de la philosophie occidentale : le mythe de l’instant comme actualisation de l’éternité. Le temps considéré en lui-même (et pas seulement dans ses rapports à la vitesse et à la distance) ne peut être pensé que comme la mobilité d’un « non-temps », c’est-à-dire de l’éternité. À propos des questions fondamentales, l’idée d’inspiration aristotélicienne de la vérité comme rapport adéquat entre l’idée du sujet et l’objet représenté, ne tient pas la route. En cette matière, la Vérité aurait plutôt rapport à l’intensité de l’expérience. Par-delà les phrases, il y a quelque chose qui les dépasse, une vérité sentie et sensée dont nous n’apercevons que la frange.

Dans la diversité des choses, il y a une identité, une continuité infinie. Nous sommes pour ainsi dire un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre le néant et l’infini. La science contemporaine a accidentellement fait ressortir une nouvelle analogie illustrant le rapport mystérieux de la multiplicité et de l’unité. En effet, en considérant le phénomène physique élémentaire comme étant à la fois onde (c’est-à-dire quelque chose de continu) et particule (c’est-à-dire quelque chose de discontinu, de temporaire), le monde scientifique s’est trouvé placée devant 2 principes contradictoires qui cherchent pourtant à rendre compte d’une seule et même réalité. C’est en portant attention à nos vies intérieures, habitées par une mystérieuse relation, que l’être humain peut intuitionner une énigmatique unité du réel. Pour s’ouvrir à une vérité unitive, il faut aller plus loin et plus haut que le vrai considéré comme une accumulation de savoirs objectifs. De nos jours, la philosophie scolaire est souvent définie comme un discours dont l’objet est les questions fondamentales, la méthode la rationalité et le projet une certaine orientation de l’agir. Mais ce n’est pourtant que secondairement que la philosophie est un « discours », car elle est d’abord une quête passionnée, celle d’une signification à cette vie « dont chacun porte en soi la responsabilité et le mystère » (Lavelle (1883-1951)). Elle n’est pas qu’un ensemble de propositions pouvant être transmises froidement et qui fait appel à une mémorisation de mots, à l’opposé de la réminiscence de Platon. Considérée isolément, la rationalité reste enfermée dans un jeu de miroirs. Plotin disait que c’est le désir qui engendre la pensée. La spiritualité créatrice découle de l’amour de quelque chose qui ne peut être contenu dans la finitude du monde. Elle revêt un aspect eschatologique, dans le sens d’une incursion de l’éternité dans le temps. Elle résulte d’un désir d’infini, éprouvé comme un manque.

Sur un fond de docte ignorance, la philosophie spirituelle est inséparable des intentions profondes d’une personne en chair et en os. Elle est indissociable d’un acte d’amour électif, d’un choix par amour, et qui dit amour dit liberté, car tout peut se commander sauf l’amour. Dans l’amoureuse initiation, à propos de ces amours qui ne sont au fond que la révélation d’une puissance tendue vers l’infini, Milosz (1877-1939) conclut : « L’objet d’un amour, et singulièrement d’un amour très profond, n’en peut jamais être la fin. Dans la grande adoration, la créature n’est point autre chose qu’un médium. L’amour véritable a faim de réalité, or, il n’y a de réalité qu’en Dieu. » Dans l’expérience spirituelle, le dualisme esprit/matière est surmonté. Une transfiguration de la matière restauratrice de son caractère cosmique est possible. Pensons, par exemple, à la beauté et à la puissance d’évocation du regard de la personne aimée, dont les yeux ne sont tout à coup plus que de simples globes oculaires comme ceux que l’on trouve en laboratoire dans des pots de formol. La beauté de l’être aimé transcende ce qui est observable objectivement : la beauté matérielle ouvre sur l’immatériel. Mais comment dépasser l’ordre des phénomènes et la sphère de la connaissance objective qui demande à exclure le sujet concret ? La réponse s’inscrit à la fois dans les traditions socratique et kierkegaardienne : en choisissant l’existence authentique liée à la connaissance de ce que nous sommes vraiment. En d’autres termes, en devenant des aventuriers de l’esprit, ouverts à tout ce qui se trouve en nous. L’énergie divine agit dans le monde d’une façon chiffrée par la transparence indicible de la beauté, mais elle agit surtout dans l’âme où l’image est en tension vers son origine. La spiritualité est vécue dans la multiplicité, tout en étant paradoxalement tendue vers l’unité. La condition séparée et la tension vers l’unité sont deux dimensions antinomiques inhérentes à l’existence humaine, d’où son caractère tragique.

Robert Clavet, Ph D, LaMetropole.Com

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Livre en progression, voir le texte no. 1.

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.

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