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La spiritualité créatrice (Texte no. 35)

La main d'une personne avec un arc-en-ciel aux couleurs vives qui s'y reflète, respirant la spiritualité et la créativité. La main d'une personne avec un arc-en-ciel aux couleurs vives qui s'y reflète, respirant la spiritualité et la créativité.

Le silence de Dieu rend divines la parole et l’activité créatrice humaines ; mais la Vérité, Voie et Vie, se rapporte à l’esprit et non à la lettre.

Platon explique qu’il n’y a de connaissance que grâce à la différence, indissociable d’une ressemblance. La réalité est perçue par un jeu de différences, mais la connaissance implique une coprésence. Plotin précise que s’il n’y avait pas un principe lumineux dans l’œil, celui-ci ne pourrait voir (c’est-à-dire qu’il doit y avoir une ressemblance principielle entre ce qui est vu et ce qui voit). La science est la production d’une forme (elle « informe ») : elle établie des rapports réels entre les choses, mais dans la mesure et sous le point de vue où celles-ci sont objectivement connaissables. À l’origine de l’idée de nature, il y a l’intuition d’un état d’équilibre, corrélatif aux idées de mouvement et de repos. Nous connaissons l’Univers par rapport à une communauté de mouvements, à une unité aperçue. C’est dans une sorte d’énergie vibratoire que se lient le repos et le mouvement constituant les formes solides, liquides, gazeuses et plasmatiques que nous appelons la matière. Matière et énergie « vibrent » dans un système global où « rien ne se créé et rien ne se perd ». En examinant selon différents points de vue cet immense système global qu’est la réalité manifestée, celle-ci est changeante et peut se présenter sous différents états. Il suffit qu’un peu d’énergie soit échangée pour qu’une interaction matière/énergie se produise, comme la mise en mouvement d’un corps, une décharge électrique ou une désintégration nucléaire. Tout semble se ramener à des relations mobiles dont la seule permanence est paradoxalement un processus de destructions et de constructions à l’infini. La science contemporaine a ouvert des horizons nouveaux qui nous placent devant l’impossibilité d’avoir désormais une image certaine de l’Univers. La physique quantique nous apprend que l’observateur peut déranger ce qui est observé, que les choses, bien qu’ayant des propriétés spécifiques, sont le résultat d’un processus unificateur de nature relationnelle qui les rend provisoirement identiques à elles-mêmes dans l’espace-temps. Il est possible de configurer des « ordres quantifiés » déterminant des ensembles, mais les lois ainsi découvertes en viennent à s’inscrire dans des ensembles plus grands et selon des rapports différents, suivant l’évolution de la science, dans un horizon sans fin. Sans pouvoir le résoudre, nous nous heurtons au problème des apparences et de l’absolu, de la pluralité et de la totalité, de l’immensité et de l’infinité.

Au plan spirituel, le sujet et l’objet ne font qu’un. Comme ces deux mots se situent à l’opposé l’un l’autre, il est préférable, selon Blake (1757-1827), de laisser tomber ces deux termes et de parler d’expérience existentielle. Ce philosophe anglais disait que nous sommes des suites d’états, que nous franchissons telle demeure puis telle autre dans ce qu’il nomme la divine éternité. Il nous invite à laisser de côté les définitions du bien et du mal et à nous engager sur la voie de la connaissance et de la réalisation de soi, à nous baigner dans les eaux de la vie et de faire en sorte de nous débarrasser de ce qui est non humain. Au plan existentiel, l’être humain est plongé dans une totalité ; mais il pense, soupire et regarde l’heure… En assumant l’énigme de l’existence, des artistes et des penseurs tentent d’harmoniser les opposés, mais leurs œuvres sont en partie autre chose qu’une représentation. En celles-ci se trouvent en effet le contingent et l’universel, l’apparent et l’idéal (le beau, le vrai, le bien, la justice, etc.). La spiritualité suppose une disponibilité d’esprit, un état d’ouverture « à l’autre que nous, qui n’est pas tellement différent de nous » (Novalis (1772-1801)). La conscience spirituelle suppose de vivre avec intensité les deux intuitions de la distance et de la présence. L’existence apparaît d’abord à la conscience par la résistance des choses, mais, exister, c’est à la fois se détacher et s’unir, impossible sans une participation à un plan unifié de la réalité, à une totalité. Dans l’expérience spirituelle, nous transcendons l’opposition entre l’activité et la passivité, entre l’externe et l’interne. Claudel (1868-1955) envisage l’univers comme une universelle présence au milieu de laquelle nous sommes, et nous ne sommes que parce qu’il y a cette présence.

Alors que l’extériorité a rapport au mental (qui recherche des idées claires et distinctes), l’intériorité engage les élans passionnels du sujet concret, en tension vers ce qui est devant la pensée. Dans « l’instant » de Kierkegaard, l’idée d’infini est vécue comme angoisse. Alors que l’instant cartésien est une saisie des choses dans une unité intellectuelle grâce à une sorte d’intuition froide des natures simples dans l’instant, l’instant kierkegaardien désigne plutôt la rencontre intense du temps et de l’éternité. Les concepts ne sont jamais suffisants pour saisir « l’expérientiel » dans son intégralité. L’intériorité et l’extériorité ne sont que des signes le long du sentier qui pointent vers autre chose que la pensée et dont dépend la possibilité même de penser. C’est dans ce contexte, associé au thème de « l’intelligence du cœur », que je comprends ces propos énigmatiques de Victor Hugo : « C’est parce que l’intuition est surhumaine qu’il faut la croire ; c’est parce qu’elle est mystérieuse qu’il faut l’écouter ; c’est parce qu’elle semble obscure qu’elle est lumineuse. »

Intellectuellement, chaque chose se révèle par son absence possible ; c’est la puissance évocatrice de la différence. L’Univers se traduit dans la quantité, mais il suppose autre chose pour le rendre perceptible dans sa différence. L’existence nous place devant des antinomies que la conscience surmonte par l’intuition que, « à travers » le monde apparent, mystérieusement, la lumière du Logos illumine les Ténèbres. Nous ne pouvons concevoir les choses qu’à partir du moment où nous les faisons sortir de l’indifférencié, autrement dit quand nous les nommons. La « Mémoire » accueille « les choses éclairées » en leur donnant un nom, jetant ainsi un pont entre la matière et l’esprit. À la fois phénomènes et créations, en lien avec le Logos, le nom discrimine et le verbe fait sortir les choses du chaos. L’âme humaine est la demeure du Logos. Le silence de Dieu rend divines la parole et l’activité créatrice humaines, mais la Vérité, Voie et Vie, se rapporte à l’esprit et non à la lettre.

Robert Clavet, PhD    LaMetropole.Com

Je vous donne rendez-vous une fois la semaine pour la suite de notre chronique sur la spiritualité créatrice.

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.

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