Marisol au MBAM

Rétrospective de l’œuvre de Marisol au Musée des Beaux-Arts de Montréal. Par Roger Huet Maria Sol Escobar connue dans le monde de l’art comme Marisol, est née à Paris le 22 mai 1930. Ses parents Gustavo Escobar et Josefina Hernandez étaient des bourgeois bohèmes vénézuéliens, autrement dit des «bobos» avant la lettre. Ils voyageaient beaucoup en Europe, en Amérique latine, aux États-Unis et en Asie, ce qui apporta à la jeune Marisol une grande ouverture d’esprit envers des cultures très différentes et la maîtrise parfaite du français, de l’anglais et de l’espagnol.
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Marisol au MBAM

Rétrospective de l’œuvre de Marisol au Musée des Beaux-Arts de Montréal. Par Roger Huet

Maria Sol Escobar connue dans le monde de l’art comme Marisol, est née à Paris le 22 mai 1930. Ses parents Gustavo Escobar et Josefina Hernandez étaient des bourgeois bohèmes vénézuéliens, autrement dit des «bobos» avant la lettre. Ils voyageaient beaucoup en Europe, en Amérique latine, aux États-Unis et en Asie, ce qui apporta à la jeune Marisol une grande ouverture d’esprit envers des cultures très différentes et la maîtrise parfaite du français, de l’anglais et de l’espagnol. 

En 1941 la mère de Marisol s’est suicidée, ce qui a provoqué un traumatisme chez la jeune fille qui n’avait que 11 ans. Marisol s’enferme dans un mutisme pendant  presque huit ans. Son père dépassé l’envoie en pension dans un internat de religieuses à Long Island (New York) pour un an. Lorsqu’elle revient auprès de lui, ils reprennent leur vie de voyages. Marisol visite les musées partout où elle va et s’intéresse vivement au dessin et à la broderie, ce qui ravit son père qui est un esthète.  

En 1946 Gustavo Escobar décide de se fixer à Los Angeles. Marisol fréquente alors de prestigieuses écoles pour jeunes filles. Son père insiste pour qu’elle suive en même temps des cours de peinture et de sculpture à l’Institut d’Art Jepson et  à l’Otis Art Institute, et qu’elle ait des cours privés avec Howard Warshaw et Rico Lebrun qui était professeur d’art au Chouinart  Institute. Marisol semblait heureuse, malgré son presque mutisme. 

En 1949, Marisol a 19 ans et décide de s’installer pour quelque temps à Paris pour voir comment s’épanouit l’art dans la Ville Lumière. Elle s’inscrit à l’École des Beaux-Arts de Paris. 

Marisol s’installe définitivement à New York en 1950, parce qu’elle juge que la Pomme est devenue la Capitale mondiale de l’art et qu’elle veut devenir artiste. Pour commencer, elle fréquente l’Art Students League of New York où elle étudie avec Hans Hofmann qui l’initie l’expressionnisme abstrait et lui apprend comment introduire la troisième dimension dans ses tableaux en les transformant en champs de forces dynamiques. Elle suit aussi des cours à la New School for Social Research.

À ses débuts d’artiste, Marisol expérimente avec le bois, le plâtre, la pierre, et le bronze. Le bois et plus tard le bronze seront ses matières préférées. Au début, elle se passionne pour l’art précolombien et par la science d’Auguste Rodin. Les statues totémiques ou grandeur nature en bois deviennent sa marque d’artiste.

Sa première exposition se tient en 1957 à la Leo Castelli Gallery de New York.  Elle connaît un succès populaire immédiat, mais Marisol qui est une femme sincèrement libre garde la tête froide. Elle décide que pour parvenir à la maitrise de son art elle doit faire un voyage d’études à Rome et s’y exile pendant un an. Elle revient à New York en grande forme. 

Dans les années 1960, les Beaux-arts connaissent à New York une forte période de bouillonnement créatif. Des centaines d’artistes explorent de nouvelles formes d’expression et se regroupent autour de la Pop culture, remettant en question les conventions de l’art traditionnel.  Marisol baigne alors dans la culture Pop’art, ce qui lui vaut reconnaissance et popularité. Elle abandonne son nom de famille Escobar et choisit de s’appeler simplement « Marisol ». 

D’après certains critiques,  la prédisposition au Pop’art de Marisol trouve son origine, dans sa première formation artistique, avec Howard Warshaw au Jepson Art Institute et avec Yasuo Kaiyoshi. Elle subit une forte influence de l’École Ashcan et de la bande dessinée. Les artistes du Pop’art étaient par ailleurs tous influencés par les «comic books», et les bandes dessinées étaient étroitement liées à l’école Ashcan. Presque tous les artistes du Pop’art ont d’ailleurs  commencé leur carrière comme caricaturistes. 

À cause de ses nombreux voyages, Marisol avait une vision globale de l’univers et un regard parfois critique sur les relations internationales des États-Unis, son pays d’adoption. Son Baby boy (1962-1963) incarne justement pour elle les États-Unis. C’est une sculpture surdimensionnée de près de 11 pieds de haut; d’un gros bébé qui avance gauchement, inconscient de ses actions.  Dans son inexpérience il peut tout se permettre et tout écraser.  

Marisol se concentre d’abord sur des œuvres tridimensionnelles s’inspirant des photographies trouvées dans l’atelier d’un photographe avec qui elle partage le loyer. Très vite elle se lance dans des sculptures en bois grandeur nature, avec des éléments de dessin, des moulages, des objets trouvés, avec un sens de l’humour, parfois satirique et toujours  ludique qui sont très originales et qui deviendront sa marque personnelle. 

En 1963 Marisol fait une sculpture-portrait d’Andy Warhol avec les vraies chaussures de son modèle.  Le succès est incroyable. 

La même année elle produit un tableau sur elle-même intitulé Marisol invite Marisol où elle imite la construction imaginaire de ce que signifie être une femme, et aussi le rôle de « l’artiste ». Elle y combine l’expression du geste spontané de l’action painting avec les intentions artistiques d’accumulation du Pop’art.

La pratique mimétique de Marisol comprend la reproduction de célébrités comme Andy Warhol, le Général De Gaulle, le Président L. B. Johnson, John Wayne et Marisol elle-même, à travers une série de portraits à partir d’images trouvées. Les sculptures sont construites à partir de photographies existantes, réinterprétées par l’artiste et plus tard transformées dans un autre format et un nouveau matériau. 

En imitant une image originale, l’histoire du sujet est conservée au sein de l’œuvre. L’utilisation de l’information préfabriquée, permet au produit de conserver son sens comme artefact culturel. Cette façon de créer ajoute un décalage qui caractérise le Pop’art entre l’artiste et le sujet, car la ressemblance est faite seulement avec la photo et non avec le sujet. Manipuler ses traits de caractère, ses manières et ses attributs essentiels permet de subvertir efficacement sa position de pouvoir et de montrer sa vulnérabilité. Les traits de ses personnages sont soulignés pour créer une caricature, en exagérant leur mâchoire, en augmentant la distance entre leurs yeux, en rétrécissant leur bouche ou et en mettant leur cravate de travers. Leur uniforme, leur main et leur port statique rendent les sculptures asymétriques pour suggérer la préoccupation du public pour un monde juste. Le public remarque les défauts du sujet, ce qui suggère à la fois une similitude et une tension entre le sujet, le public et l’artiste.

La sculpture John Wayne avait été commandée à Marisol par le magazine Life en 1962, pour la couverture d’une édition spéciale pour célébrer Wayne et ses films. 

John Wayne est posé sur un cheval de bois découpé qui est peint en rouge avec des taches vertes. Un poteau noir qui part de dessous ses pieds montre qu’il chevauche un carrousel. Wayne est vêtu d’un jean et de bottes de cow-boy, ses jambes sont de part et d’autre du cheval et ses pieds reposent sur le sol. Il ne s’assoit pas sur la selle. Le haut de son corps est un bloc de bois et son visage est peint sur les quatre côtés. Sa main droite, en céramique, est attachée à un étui contenant un pistolet. Son bras droit est levé, tenant une arme à feu comme s’il visait et tirait. Sa main gauche, également en céramique, saisit fermement le pommeau de la selle. Wayne porte un chapeau de cow-boy jaune. La représentation de John Wayne super-macho est à la fois comique et satirique.

Quelques années plus tard,  Marisol crée une sculpture de l’éditeur du magazine Playboy, Hugh Hefner. 

Elle le représente avec deux pipes, l’une peinte dans la main, et l’autre, vraie, dans la bouche qui se projette agressivement vers l’avant. Cette sculpture a aussi fait la couverture du Time Magazine le 3 mars 1967. Ici encore Marisol utilise l’humour dans le but de frapper le spectateur. Lorsque les journalistes lui demandent pourquoi Hefner a deux pipes, Marisol leur répond : «Hugh Hefner à tout en trop».

Les sculptures de Marisol mettent en doute l’authenticité du soi construit, ce qui suggère que des parties de représentation ont été conçues. L’art est utilisé non pas comme une plate-forme d’expression personnelle, mais comme une opportunité de s’exposer soi-même dans une création imaginaire. En incorporant l’empreinte de ses propres mains et des marques caractéristiques dans ses œuvres, Marisol ajoute les symboles de l’identité de l’artiste et démontre que la valeur d’un artiste est une construction imaginaire qui doit être promulguée par la répétition des parties représentatives.

Sa conception très personnelle de l’art, a fait que Marisol se soit imposée très vite comme une figure importante de l’avant-garde new-yorkaise, où ses amis Robert Morris,  Andy Warhol, Roy Lichtenstein, Robert Rauschenberg, Jasper Johns, Claes Oldenburg, Keith Haring, James Rosenquist, Tom Wesselmann, George Segal, Wayne Thiebaud, Allan D’Arcangelo, Mel Ramos, Corita Kent, Robert Indiana et Larry Rivers faisaient la pluie et le beau temps. 

Andy Warhol la fera tourner dans deux de ses films : The Kiss en 1963 et Most Beautiful Girls en 1964.  Elle devient la reine des fêtes de Manhattan.  En 1965 Marisol est proclamée «femme artiste de sa génération». Des foules de 2000 à 3000 visiteurs par jour se massent pour admirer ses remarquables sculptures grandeur nature influencées par la culture Pop et s’extasient sur son travail. On la surnomme la Garbo Latine pour sa beauté, son exotisme et son fameux mutisme qui lui donnent une auréole de «Belle ténébreuse». 

À cette époque, elle fascine la presse qui publie de nombreux articles sur  son sujet, la montrant en photo dans son atelier.  Tout en restant libre, Marisol se servait de sa beauté comme d’un objet qu’elle intégrait dans ses sculptures en assemblant les photos de son visage, en sculptant ses mains et ses pieds, ce qui est très rare dans le monde de l’art. Lorsque les journalistes ou les critiques lui demandaient pourquoi elle était son propre modèle, elle répondait qu’elle créait, tard le soir dans son atelier new yorkais et qu’à cette heure tardive,  il était difficile de trouver des modèles vivants.

Dans le groupe de tailles intitulé Women and Dog, qu’elle a produit entre 1963 et 1964, Marisol donne une réponse critique et satirique aux normes de la féminité construite en essayant  délibérément de changer le rôle oppressif de la « féminité ».

Trois femmes, une petite fille et un chien dont la tête est empaillée, sont présentés comme des objets exposés, savourant leur statut social sous le regard du public. Les femmes ont des attitudes maniérées et civilisées, elles se surveillent entre elles. Deux des femmes ont plusieurs visages. Elles examinent la scène et suivent la trajectoire du spectateur.  À travers elles Marisol prétend qu’en dépit des courants patriarcaux et de l’influence des médias, les femmes sont capables de surprendre par leur capacité à jouer des rôles très différents en même temps. La pratique artistique de Marisol est une combinaison dynamique d’art populaire, de surréalisme et de dadaïsme. Ses œuvres démontrent qu’elle fait une analyse psychologique fine, de la vie contemporaine. 

Parmi les œuvres phares de cette période, son chef-d’œuvre  est La fête ou Le party (1965-1966),  qui est un assemblage de 15 personnages grandeur nature qui portent tous le visage de Marisol. 

Toutes les figures sont des femmes qui représentent diverses formes de l’élite sociale. Elles sont toutes très imbues d’elles-mêmes et montrent la plus grande indifférence envers les autres. Ce groupe de tailles, était destinée au Musée d’art de Toledo de l’état d’Ohio.   

Comme beaucoup d’artistes du Pop’art, Marisol a recadré, agrandi, réduit et reproduit son sujet inspiré de la vie contemporaine afin de mettre l’accent sur les contradictions. En concentrant la lumière sur des aspects spécifiques d’une image ou des idées en dehors de leur contexte d’origine, elle réussit à rendre le message clair et met au jour le sens profond de ces messages. Grâce à son approche mimétique, la notion de « femme » est divisée en signifiants individuels puis réassemblée pour représenter visuellement les différences. En produisant ces symboles à travers des matériaux contradictoires, elle dissocie la « femme » en tant qu’entité évidente et sa représentation d’une construction faite d’une série de parties symboliques.

Ce groupe présente un grand nombre de figures ornées d’objets trouvés et à la dernière mode. Bien que les robes, les chaussures, les gants et les bijoux semblent authentiques de prime abord, ce ne sont que des imitations peu coûteuses de biens de consommation prétendument précieux. Les costumes des personnages sont ornés d’objets divers, de peintures et de photographies publicitaires qui suggèrent un sentiment de vérité fabriquée. Cela dissocie l’idée que la féminité est authentique, de l’idée que la féminité est un concept résultant d’une accumulation d’idées fictives.

Grâce à l’imitation théâtrale et satirique de Marisol, les signifiants communs de «féminité» sont expliqués comme une logique patriarcale établie par la répétition de la représentation dans les médias. En s’incorporant elle-même dans l’œuvre comme la face «féminine» sous observation, Marisol propose un sujet «féminin» capable de prendre le contrôle de sa propre représentation. À travers l’utilisation de matériaux bruts et d’un  assemblage de plâtres, de bois, de dessins, de photographies, de peintures et de vêtements contemporains, Marisol réclame le droit de rejeter de l’idée d’une essence féminine uniforme. 

Pendant toute la décennie des années 60, Marisol s’interroge sur le rôle de la femme dans la société. Dans le monde de l’art il n’y a qu’une poignée de femmes qui réussissent. Dans la société des années 60 et 70, en dépit de courants de libération des mouvements Hippy, et Beat ’Nick elles sont pratiquement cantonnées à un canon de beauté et de séduction qui aboutit à la maternité.  L’année que Marisol avait passée en pension dans un internat de religieuses, lui prouvait  pourtant clairement que les religieuses n’étaient nullement concernées ni par la beauté, ni par la séduction, ni par la maternité, et qu’elles jouaient néanmoins un rôle social important dans le monde d’alors, dans les domaines de l’enseignement et de la médecine. 

Marisol était assez timide et trouvait « la vie moderne de plus en plus dérangeante ». Sa popularité était pourtant énorme; elle était la coqueluche de New York ; Andy Warhol l’a qualifiait de « première artiste féminine glamour ». Malgré tout, elle confiait à ses amis qu’elle n’avait jamais voulu faire partie de la société.  Qu’elle avait toujours eu horreur du schéma, des comportements conventionnels. Que toute sa vie, elle avait voulu être distincte, pour ne pas être comme les autres. Qu’elle ne se sentait pas à l’aise avec les codes de conduite établis.

Le silence était une partie intégrante du travail et de la vie de Marisol. Elle disait qu’elle ne parlait pas plus qu’elle n’en avait besoin. Dans son travail, elle a été décrite comme ayant dû accorder le silence avec «la forme et le poids». Elle a parlé peu de sa carrière et a déclaré : « J’ai toujours été très chanceuse. Les gens aiment ce que je fais». Marisol était d’ailleurs trop inquiète et trop créative pour rester attachée à un seul mouvement.  Elle l’avait même déclaré: « Je ne suis pas Pop, pas Op, je suis Marisol ! » Et c’est le titre de l’article publié par Grace Glueck dans le New York Times en 1965. 

Marisol représente le Venezuela à la Biennale de Venise de 1968. La  même année elle est invitée à exposer à la documenta de Kassel, dans le land de Hesse, en Allemagne, qui tous les cinq ans présente un panorama de la création contemporaine pendant 100 jours. Marisol était une des quatre femmes parmi les 189 artistes choisis.  Ses œuvres totémiques  et satiriques ont fait grande impression. 

Une des œuvres qui a eu une grande importance pour Marisol et qui a pesé lourd sur son avenir d’artiste est celle du Père Damian. 

Lorsque l’Ile d’Hawaï est devenue un État Associé en 1965, elle a été éligible pour placer deux statues représentant des Hawaïens importants dans le Statuary Hall du Capitole des États-Unis. La Commission du Statuary Hall d’Hawaï a choisi le Roi Karmehameha Ier qui a régné sur l’Île de 1752 à 1819 et a envoyé une réplique de la magnifique statue coulée en bronze et or par Thomas Gould. Pour la deuxième  personnalité notable pour représenter le nouvel État, la Commission a choisi  le Padre Damian, prêtre catholique qui a consacré sa vie en faveur des malades de la lèpre sur l’Ile et qui est mort de cette maladie en 1889. Un concours  a été lancé, 70 artistes ont présenté des modèles, et la proposition de Marisol a reçu la commande.

Dans ses recherches sur le Padre Damien, Marisol a découvert qu’il pratiquait la menuiserie. Elle a donc soumis un modèle en bois sculpté mais la statue a été coulée en bronze, comme exigence du Capitole des États-Unis et a été dévoilée le 15 avril 1969. Un deuxième exemplaire a été placé à l’entrée de la législature de l’État d’Hawaï à Honolulu. Pour le visage du « Père Damien » Marisol a utilisé une photographie du prêtre âgé montrant les cicatrices de la lèpre. Le Père Damian a été canonisé par le pape Benoît XVI le 11 octobre 2009.  

L’immense succès de Marisol avec ses créations, l’étouffe. Une atmosphère lourde pèse sur les États-Unis, avec la contestation grandissante de la guerre du Vietnam dans les années 70. L’artiste essaie de donner un peu de paix à son âme et se réfugie à Tahiti. Elle y découvre avec émerveillement la plongée sous-marine, prend des photos et réalise des films à partir de ses plongées. 

La méditation, la plongée sous-marine et l’apprentissage de la photographie sous-marine lui permettent de décompresser et de réfléchir. Dans une interview qu’elle accorde en 1975, elle déclare : «Quand je suis revenue (d’Extrême-Orient), j’ai eu envie de faire quelque chose de très pur, juste pour le plaisir… Je voulais faire quelque chose de beau.»   Elle enrichit son art avec sa nouvelle passion de la vie marine: elle sculpte des poissons en leur donnant son visage. 

En 1973 elle sculpte son célèbre homme poisson, accompagné d’un dindon dont le visage est à sa propre image.

Entre 1970 et 2000, Marisol va créer des monuments publics dans des villes un peu partout dans le monde, mais surtout au Venezuela où ses créations honorent des figures politiques ou religieuses du pays. Un de ses monuments remarquables est celui en hommage à la Marine Marchande, qui se trouve à Battery Park, à New York.

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, de nombreux marins de la marine marchande américaine ont péri en mer. Le 22 mars 1942, le pétrolier S.S. Muskogee qui naviguait sans escorte, entre le Venezuela et Halifax (Canada), a été torpillé par le sous-marin allemand U-123. Le navire a explosé et coulé en moins de 15 minutes. Le capitaine du sous-marin Allemand, Reinhard Hardegen, a pris une photo des 10 malheureux naufragés qui ont réussi à s’accrocher à un radeau de fortune, espérant un sauvetage qui n’est jamais arrivé. Ils ont tous péri. La photo a servi de base à la sculpture que Marisol a créée.

Cette sculpture est émouvante à plus d’un titre, car deux fois par jour, à chaque marée haute, le marin qui est en train de se noyer disparaît sous les eaux, laissant seul le bout de ses doigts hors de portée de son compagnon. 

Marisol a été élue membre de l’Académie américaine des Arts et des Lettres en 1978. Depuis le milieu des années 70, Marisol prend du recul du monde futile du grand public et des critiques d’art.  Elle voulait faire un art qui touche aux enjeux sociaux : la condition des femmes, les immigrants, les pauvres, et la protection de l’environnement. 

Dans les années 80, la diversité et les caractéristiques de ses œuvres la distinguent de toutes les écoles de pensée. 

Dans « Autoportrait regardant la Cène » que Marisol produit entre 1982 et 1984,  elle modernise la célèbre « Cène » de Léonard de Vinci avec une Cène des pauvres en trois dimensions.  La figure du Christ est sculptée sur un morceau de grès brun récupéré. Les treize apôtres sont placés dans la position exacte qu’ils occupent sur le tableau de De Vinci. L’arche au-dessus de la tête du Christ rappelle l’œil de bœuf utilisé par Léonardo pour créer l’auréole du Christ.

Dans l’œuvre de Marisol comme dans celle de De Vinci, Le Christ assis,  annonce aux apôtres que l’un d’eux le trahira, ce qui est un détail inhabituel, car les peintures de la « Cène » avaient l’habitude de représenter l’offrande de pain et de vin dans ce qui allait devenir la cérémonie de l’Eucharistie.   Marisol ajoute une figure supplémentaire au tableau, qui est la sienne assise à quelques pas devant la table du banquet. Elle y joue le rôle de Marie Madeleine, laquelle manque au tableau de De Vinci. Par ce geste, elle a voulu rendre justice au rôle des femmes que l’Église a parfois injustement oubliées. 

En 1983, Marisol reçoit le Prix national d’arts plastiques du Venezuela. L’Organisation des États américains lui octroie le prix Gabriela Mistral en 1997, pour sa contribution à la culture interaméricaine.  Dans les années 2000, à côté de ses sculptures, Marisol se lance dans la création de décors et de costumes pour des troupes de danse célèbres, dont celles de Louis Falco et Martha Graham. La danse est pour elle l’occasion de valider un de ses postulats : « une œuvre d’art est comme un rêve dans lequel tous les personnages, quel que soit leur déguisement, font partie du rêveur« .

En 2004, le travail de Marisol est présenté dans une exposition d’artistes latino-américains au Museum of Modern Art de New York. En 2010, ses œuvres sont présentes dans deux expositions : Seductive Subversion: Women Pop Artists, 1958-1968, au Brooklyn Museum, et Power Up: Female Pop Art, au Kunsthalle à Vienne, Autriche.  En 2014, une rétrospective majeure s’est tenue au Memphis Brooks Museum of Art, dans le Tennessee. À la même époque s’est tenue son exposition personnelle, au Museo del Barrio, dans la ville de New York. 

 « Je veux toujours être libre dans ma vie et dans mon art. C’est aussi important pour moi que la vérité. » Répétera-t-elle jusqu’à la fin. 

Marisol ne s’est jamais mariée, elle n’a pas eu d’enfants et n’a jamais voulu rentrer dans aucune case. Elle s’est éteinte en 2016, à New York, à l’âge de 85 ans, ayant toujours défendu son droit à sa liberté et à son individualité comme créatrice. 

Le legs de Marisol 

Certains chroniqueurs d’art considèrent aujourd’hui Marisol comme une artiste inclassable, ce qui n’est ni vrai ni faux, car elle est assurément une artiste complexe.

Marisol est une femme moderne et essentiellement libre, qui crée selon son intuition. Elle a reçu une solide formation artistique. Est-elle vraiment une artiste du Pop’art? En quelque sorte oui, mais il ne faut pas oublier qu’elle a été formée par Hans Hofmann qui l’a initiée à l’expressionnisme abstrait et que le Pop’art a été créé contre l’expressionnisme abstrait. Dans son œuvre il y a souvent un fond d’expressionnisme abstrait, d’une inspiration puisée dans le Pop’art, par l’utilisation des morceaux utilitaires qui intègrent ses œuvres, et d’une combinaison revisitée de dadaïsme, de surréalisme et pour certaines pièces, d’une évocation de l’œuvre de Jérôme Bosch. Son expérience de vie, ses voyages fréquents au Venezuela où la misère des pauvres est tellement choquante, ne pouvaient que déteindre dans son art. Son grand mérite réside dans le fait d’avoir eu l’intuition de ces enjeux et de les avoir énoncés dans ses œuvres, bien avant que la société n’en prenne pleine conscience.

La Rétrospective de Marisol, du Musée des Beaux-Arts de Montréal qui s’est tenue du 7 octobre 2023 au 21 janvier 2024 est la plus grande exposition jamais consacrée à cette grande artiste. L’exposition présentait plus de 250 œuvres et documents qui couvrent sa longue carrière. Elle a eu le mérite de ramener Marisol au-devant de la scène, dans toute sa magnificence.  

Poésie Trois-RivièreMains Libres

Ce Québécois d’origine sud-américaine, apporte au monde du vin, sa grande curiosité, et son esprit de fête. Ancien avocat, diplômé en sciences politiques et en sociologie, amoureux d’histoire, auteur de nombreux ouvrages, diplomate, éditeur. Dans ses chroniques Roger Huet parle du vin comme un ami, comme un poète, et vous fait vivre l’esprit de fête.