Paul Bélanger, Traverses. Par Ricardo Langlois
Paul Bélanger est un grand poète. Avoir ce poète comme professeur a été important dans mon cheminement de poète. Dans mes travaux, il soulignait mon érudition pour la poésie québécoise. N’est-ce pas normal ? « Traverses » est une grande œuvre sur le pays du Québec. Il raconte le pays en remontant à ses origines (la Pointe-Lévy). Le poète est nostalgique… Écoutez son chant.
Esthétique et pensée
Être habité par sa poésie comme Miron. Un « anthropoète » (1). Il s’agit d’une œuvre d’un homme singulier et universel. L’empreinte. La leçon de vie. Il creuse la Parole (un acte sanctifié).
« Tu navigues à l’aveugle au milieu
Des noms et des géographies
Dans l’imaginaire limpide
Tu deviens un faisceau
De lieux et de héros
Péripéties visions même la bible
Et les almanachs trace ton roman
Sans parole commence avec le destin. » (p. 29)
Ce livre est un monument sur plusieurs aspects. Il cite plusieurs poètes au passage : Alain Grandbois, Bob Dylan, Louis Fréchette, René Char, Marie Uguay, Émile Nelligan, Rimbaud. Il suggère ses anciens livres également. C’est aussi, du moins je le crois, l’échec du poète qui n’a pas été au bout de son œuvre ultime. Être professeur et éditeur, ça prend presque toute une vie. Il revient sur l’enfance, s’abandonne dans l’unique voyage de la vie et de la survie. Je lis ce passage :
« Dans la plaine la résonnance
Des cloches deviennent souvenir
Anémié des époques révolues
Des cloches comme une enfance
Peu à peu effacée de neurones
Des hommes s’abandonnent
À leur sommeil de plomb
Des phrases prématurées
S’essoufflent
Nous glissons lentement
Sur la pente neigeuse
Les pieds engourdis
Apaisés par la douceur
Des feuilles mortes
Sur la joue témoins
L’ironie de l’absence de marques
Depuis un âge de fer. » (p. 79)
L’enfance fabuleuse et angoissée
Dans son autobiographie (essai), « Le plus qu’incertain. » (2), il fait référence à son enfance fabuleuse et angoissée. Une jeunesse usant du corps comme d’un outil. Et adulte, il devient adepte de l’herbe (drogue?) pour traverser ce grand désert de la vie. Le plaisir que j’ai eu à lire ce livre est inexprimable. La solitude du poète. La fragilité. Le cœur insondable. Des vers qui nous rappellent parfois l’anthropologie dans l’histoire par rapport au monde. Son destin personnel est lié aux grands poètes du passé. Effacer le passé serait la meilleure chose selon le mouvement woke. Une tendance lourde qui se répand comme le pire virus de l’humanité. « L’oubli des mots, l’oubli des gestes. Oubli de tout ce temps qui reste. Prisonnier de ce funeste oubli .» (3)
Un autre destin
Sans vouloir tout vous révéler, je pense que le narrateur a fait un travail admirable. C’est un enchantement. L’exploration sur plusieurs angles (insertion de lettres, paroles de poètes, rapport historique, etc). Poésie du mea culpa. Écrire le nœud de la vie. « Je retrouve l’instant précis où j’ai désiré qu’advienne. Un monde renouvelé, un monde avec lequel je retrouverais cette résonance que je sentais perdue ». (4)
L’avant–dernier poème est écrit sans armures. Un appel au secours. Le poème comme objet de pureté. Ce chemin dans l’intimité du poète malgré le néant commun de nos vies.
« Une fois le monde évanoui
Dans le souvenir
Une fois le souvenir. » (p. 131)
.
Notes
Paul Bélanger a publié plusieurs recueils de poésie et de la prose. Plusieurs fois finalistes du Prix du Gouverneur général. Il a donné des ateliers de création littéraire à l’UQAM de 1991 à 2016. Paul Bélanger a été directeur littéraire des Éditions du Noroit pendant plusieurs années.
Paul Bélanger, « Traverses » Noroit 2022