Mille Soleils de Ricardo Langlois. Par Daniel Guénette
Ricardo Langlois se dépense corps et âme afin de mettre en valeur la poésie québécoise. Son engagement profond à l’endroit de nos poètes n’est un secret pour personne. Nul ne peut mettre en doute la sincérité qui anime ce chroniqueur ; sa passion est contagieuse. Il est un fervent lecteur, un infatigable commentateur de nos ouvrages de poésie. Son apport au rayonnement de nos poètes mérite amplement d’être souligné. Nous savons que les visées de Langlois ne s’arrêtent pas à la poésie, du moins celle des autres. La sienne rassemble ses préoccupations en une gerbe de thèmes dont les principaux sont, et je les nomme sans-souci de hiérarchie : la musique rock, l’amour et l’amitié, la spiritualité ainsi que la foi. Ce cocktail pourrait sembler étrange ; on croirait à tort qu’il consiste en un curieux mélange de désuétude et de modernité, de conformisme et d’originalité.
S’étonner de cet apparent éclectisme, c’est à mon sens faire montre d’une relative étroitesse d’esprit. De quelle désuétude et de quel conformisme pourrait-il s’agir ? Pour la plupart des esprits soi-disant éclairés, la croyance en Dieu relève aujourd’hui d’un très discutable atavisme. J’en veux pour preuve le délaissement dont sont victimes, si l’on peut dire, les œuvres d’une Rina Lasnier, d’un Fernand Ouellette ainsi que celles du regretté Jean-Marc Fréchette. On retrouve dans la poésie de chacun des anges ainsi que la figure du Christ. Cela est suffisant pour discréditer les œuvres de ces auteurs. Certes, il ne viendrait à personne l’idée d’avancer que Rina Lasnier est une poète négligeable, mais en vertu du contenu de ses poèmes, de leur thématique, de la foi dont est porteuse cette poésie, l’on s’en détourne. Ces poètes auraient commis la faute de se conformer à un dogme qui n’a plus cours. Or voici qu’à sa façon Ricardo Langlois leur emboîte le pas. Je dis bien : à sa façon.
La manière de Langlois ne peut en rien se comparer à celles des poètes mentionnés ci-haut. Sa matière même en diffère. Nous sommes loin de la majesté verbale d’une Rina Lasnier, loin des considérations mystiques et métaphysiques d’un Ouellette, loin des crèches et paysages ruraux de Fréchette — la terminologie dans les poèmes de Partition de l’ange nous replonge dans des temps anciens, elle situe le propos de l’auteur au milieu d’une campagne aux airs vieillots où l’on recourt à des bougies pour s’éclairer, où les bêtes sont logées dans l’étable, où les femmes font des travaux d’aiguille. Il n’y a pas lieu, selon moi, de se plaindre de cette poésie proche des santons et dont l’élévation cependant ne fait aucun doute.
Chez Langlois, la parole est tout à fait actuelle. Le poète est notre contemporain dans sa manière de dire des choses d’aujourd’hui, qui appartiennent à notre monde et à notre culture comme en témoignent ses nombreuses références à la musique rock, à ses amis Dédé Fortin et Jimmy Bourgoing (à qui le recueil est, par ailleurs, dédié). La matière, le contenu, les anges et le Dieu vivant chez Langlois n’ont rien de passéiste. La Lumière peut s’autoriser de sa majuscule, car dans ces Mille soleils, il serait par trop limitatif de ne s’en tenir qu’à une cosmologie réaliste, celle des astronomes. Langlois a beau parler notre langue poétique moderne, il ne restreint pas son poème à une rationalisation restreinte du discours qui voudrait qu’au-delà du perceptible et du saisissable immédiat, de ce qu’empiriquement nous connaissons de notre univers, nul ne puisse s’aventurer dans le vaste domaine de Dieu et de l’infini, bref, de la Lumière.
Tout cela peut sembler compliqué, pourtant, il n’y rien d’obscur chez Langlois, pas d’ésotérisme alambiqué, aucune sophistication intellectuelle. Notre poète ne tient nul propos de théologien savant, sa poésie est simple ; son cœur est semblable à celui d’un enfant, du moins Langlois tente-t-il de se rapprocher de l’esprit d’enfance, de sa pureté, de son aérienne légèreté. La tendresse est le principe premier de la démarche de Langlois. Sa vie et sa poésie ne font qu’un. L’amour les alimente toutes deux. Ainsi le mot « cœur » traverse-t-il l’entièreté du recueil. Il apparaît dès le second poème : « Seul le cœur traverse la rivière ». Dans le troisième, il est écrit que « Le cœur est une plaie ». C’est que la vie est faite de joies et de souffrances. Langlois n’occulte ni les unes ni les autres. Parmi les grandes douleurs, il y a bien entendu celles des chagrins d’amour, des ruptures, des départs, dont l’ultime, celui qui emporte les êtres chers dans la mort. Un très beau poème du recueil est une lettre adressée à Dédé Fortin : « Je pense à toi souvent/ Ton ombre s’enfonce/ En moi/ Tu es dans l’autre monde//Un oiseau est venu/ Dans la mémoire au bois dormant//L’illimité de ton cœur/M’enveloppe/ Me déchire//Comme jeune dieu oublié/ Tu es dans les larmes/ Tu es l’ange rêveur//Ô Ravissement/ La poésie à la langue/ De feu ».
Langlois est un amoureux, amoureux jusque dans l’amitié, amoureux de la vie, des anges et de Dieu. Son extrême sensibilité l’a conduit à la musique et à la poésie. Je dis musique. Il faut spécifier que la musique chez Langlois est affaire de guitares, de guitares électriques. Son panthéon musical réunit de grands musiciens, pour la plupart décédés, tels Jimmy Hendrix et Jim Morrison. Ce sont les musiciens rencontrés au sortir de l’enfance. Mais parler d’une enfance dont serait sorti notre poète, cela est loin d’être juste. S’il a un jour quitté l’enfance, ce fut pour y mieux revenir. En effet, l’enfance apparaît chez lui comme un bienfait grâce auquel le cœur se trouve préservé. Le cœur est le plus précieux des trésors. Parole d’évangile : « Là où est ton cœur, là est ton trésor. » « En quête de l’éternel diamant », « La parole sacrée/Du cœur » permet à Langlois de s’approcher de la Lumière.
Daniel Guénette
Daniel Guénette est originaire de Montréal. Né le 21 mai 1952, il passe une grande partie de sa vie à Saint-Laurent. Après son diplôme de Maîtrise en création littéraire, il commence à enseigner la littérature au Cégep — Collège d’enseignement général et professionnel consacré aux études préuniversitaires — de Granby, au Québec. Depuis sa retraite en 2011, après une trentaine d’années dans l’enseignement, Daniel Guénette s’est de plus en plus consacré à l’écriture. Il est à présent auteur d’une quinzaine de livres publiés entre 1985 et 2021, et le roman Vierge folle est sa dernière parution.
Poème 6
Le vent énerve encore le chat Pearl Jam chante :
Je sais un jour
tu auras une belle vie
Le ciel gronde
Le chien sous la galerie
Le chaos et l’harmonie
L’été c’est l’occasion
D’une vision
J’interroge l’arbre
Derrière la maison
Je m’abandonne
Comme la fleur au soleil
Je suis bouleversé
Par l’instant présent
Le trésor est dans
Le miracle de cette Lumière
Dans les yeux, les mains
Dans mon dernier rêve.
Poème 26
L’oiseau qui chante
Dans ma tête
Il m’aime et je l’aime
Comme la vie aime
La vie
Comme les souvenirs
Merveilleux
De l’enfance
Aimer vivre
Comme l’oiseau
Dans ton paysage
Le paradis perdu
Dans la chambre
De ton cœur.
Collaboration spéciale : Daniel Guénette