La spiritualité créatrice est capturée dans une peinture représentant un groupe de personnes marchant à travers une galaxie.

La spiritualité créatrice (Texte no. 19)

La spiritualité créatrice, la science et l’art forment un ensemble qui favorise le développement intégral de l’être humain.

Les visions de l’Univers selon lesquelles il y aurait « du quelque chose » clôturé par rien ou « du quelque chose » sans fin, sont toutes deux inconcevables. Contrairement au concept d’immensité (caractère de ce qui est extrêmement grand), l’idée d’infini peut en plus désigner un au-delà de tout nombre et de toute mesure, incompatible avec la méthode scientifique. Le fait que le mot « infini » puisse être employé comme synonyme d’immense (l’immensité suggérant un Univers observable quoiqu’extrêmement grand) a souvent entraîné ambiguïtés et confusions. Nicolas de Cues (1401-1464) évite la difficulté : il nie la finitude du Monde mais, plutôt que de le qualifier d’infini, il utilise le mot « indéterminé ». Étant indéterminé, explique-t-il, l’Univers ne peut être l’objet d’une science totale et précise, mais seulement d’une connaissance partielle et conjecturale. Le Cusain a qualifié de « docte ignorance » la conscience que la Vérité, dans son caractère absolu, sera toujours au-delà du savoir. La docte ignorance est une disposition d’esprit qui permet de transcender les limites d’une pensée prisonnière du principe de non contradiction. Selon le penseur allemand, l’Univers est l’expression forcément imparfaite et inadéquate de Dieu qui déploie dans la multiplicité et la séparation, ce qui, en Lui, est présent dans une indissoluble et étroite unité, une unité qui embrasse les qualités et les déterminations différentes et même opposées de l’être. À son tour, tout être concret et singulier « contracte » de sa manière particulière et unique la richesse et la plénitude de l’Univers. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la notion cusaine de « coïncidence des opposés » qui, dans l’absolu, absorbe et dépasse les oppositions. Encore aujourd’hui, on en trouve l’écho dans le paradigme des paradoxes mathématiques où une valeur à l’infini conduit à un objet fini, où 0 à l’infini est égal à 1. On le trouve encore en géométrie où le cercle à une grandeur infinie coïncide avec la tangente, où le cercle infiniment petit coïncide avec le diamètre, où le centre dans l’infiniment petit et l’infiniment grand coïncide avec la circonférence et se trouve ainsi partout et nulle part, où, enfin, deux parallèles se rejoignent à l’infini.

Selon la vision du monde du Cusain, près de 500 ans avant Einstein, les concepts de « grand » et de « petit » n’ont qu’une valeur relative, car rien n’est grand ou petit en soi, seulement des objets « plus grands » ou « plus petits », l’un par rapport à l’autre. Dans l’infini, il n’y a rien qui ne soit plus grand ou plus petit, plus lent ou plus rapide que n’importe quoi d’autre, car le « maximum absolu et infini » et « le minimum absolu et infini » coïncident. Chez lui, en opposition avec le géocentrisme de Ptolémée, le centre du monde n’est pas un lieu physique puisque, à l’infini, le centre du monde est la même chose que sa circonférence. En effet, si le Monde avait un centre matériel, explique-t-il, « il aurait aussi une circonférence, et ainsi il aurait en lui-même son commencement et sa fin, et le monde serait limité par rapport à quelque chose d’autre ; choses qui toutes manquent de vérité. Comme donc il n’est pas possible d’enclore le monde entre un centre corporel et une circonférence, on ne peut pas comprendre le monde dont le centre et la circonférence sont Dieu. » Nicolas de Cues a bousculé les fondements métaphysiques de la conception traditionnelle de l’Univers et a eu l’audace de présenter un monde indéterminé, mais il faudra attendre l’astronomie de Copernic (1473-1543) pour ébranler la conviction générale d’une Terre comme centre du monde, au profit de l’héliocentrisme. La révolution copernicienne est certes un événement scientifique majeur ; toutefois, elle n’assume pas complètement la vision du monde du Cusain. En effet, même si elle rejette la vieille structure hiérarchique opposant « le domaine céleste de l’être immuable » aux « régions sublunaires du changement et de la dissolution » d’Aristote et de Ptolémée, elle introduit encore deux pôles de perfection, à savoir le Soleil immobile et une soi-disant sphère d’étoiles fixes. Ce faisant, Copernic remplace la Terre comme centre du monde par le Soleil et les planètes tournant autour, le système solaire devenant ainsi le nouveau centre du monde entouré d’étoiles fixes. De plus, même s’il lui semblait étrange que quelque chose puisse être contenu dans rien, l’astronome polonais proposa un monde ordonné et fini, mais immense. Mais bientôt, certains chercheurs déclarèrent que la sphère céleste d’étoiles fixes n’existe pas et que les astres sont plutôt situés à différentes distances de la Terre dans des cieux qui s’étendent à l’infini.

Les esprits se préparaient à passer d’un monde clos à un monde ouvert, mais en maintenant une confusion entre les discours scientifique, théologique et métaphysique, sans parler de l’ambiguïté dans l’usage du mot « infini ». Alexandre Koyré (1892-1964) signale que, même si la disparition dans l’imaginaire d’un Cosmos ordonné et d’une Terre privilégiée située au centre du monde a pu contribuer à la conception d’un monde muet et terrifiant qui a favorisé le nihilisme et la désespérance, il n’en était pas ainsi au début. En effet, un Giordano Bruno (1548-1600) annonce au contraire avec enthousiasme l’éclatement des sphères qui nous séparaient des vastes espaces ouverts et des trésors inépuisables de l’Univers infini et toujours changeant. Il déclare qu’un Univers immuable aurait été un Univers mort, qu’un Univers vivant doit pouvoir se mouvoir et changer. Dans l’espace infini qu’il conçoit, il y a des soleils innombrables semblables au nôtre avec des planètes qui tournent autour. Pour répondre à l’objection selon laquelle le concept d’infinité ne peut être appliqué qu’à Dieu, Bruno admet l’extrême différence entre l’infinité intensive (intense) et parfaitement simple de Dieu (accessible à l’intelligence transcendantale mais se situant au-delà de tout nombre et de toute mesure) et l’infinité multiple et extensive du Monde, assimilable au concept d’immensité. Sa doctrine prendra toute son importance après l’invention du télescope et les grandes découvertes astronomiques de Galilée.

Robert Clavet, PhD    LaMetropole.Com

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* Photo : L’humain intégral.

Las OlasLe Pois Penché

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.