Comment chevaucher notre monde en péril ? À l’ère de la COVID-19, un temps de réflexion s’impose. Devant l’immense néant de la vie, Mireille Gagné vient de mettre le compteur du cœur à zéro.
Voilà une méditation sur le sens de nos vies. Tout en finesse, Le lièvre d’Amérique est exacerbé. Il triomphe. Il cherche la perfection absolue. Pascal avait une image saisissante :« des hommes enchaînés les uns aux autres ». Diane subit une opération miracle. Elle se fait implanter un gène de lièvre pour travailler plus et dormirmoins. Pourtant cette transformation est une mince consolation.« Et encore une fois, le vide s’agrandit dans son ventre. Le vent tourmenté se lève. Il s’infiltre à son insu dans toutes les craques possibles. Dans tous les retranchements.Elle se sent comme un arbre encore plein de feuilles à l’automne, avant les grands vents. »(p. 58) C’est poétique. C’est la pure passion. Elle repense à l’adolescente qu’elle fut. Ainsi, on est sensibilisé à son adolescence et son été à L’Isle-aux-Grues. Une fable animalière se glisse entre les pages (j’y reviendrai). Entre–temps, elle parle de son petit ami, Eugène, qu’elle admire secrètement.
Tu contemplais le fleuve depuis
Je ne sais pas combien de temps
Tu semblais absorbé par la nuit et les glaces
La lune était cachée derrière les nuages (p. 83)
Nous sommes témoins d’un incendie. C’est le chaos. Inspiré d’une histoire vraie survenue à L’Isle-aux-Grues. Il y a cette dérive intérieure, « le manque d’estime de soi plein de culpabilité de la procrastination au sentiment d’échec permanent, une perte d’idéaux. »(p. 89) S’opposer à l’humble vie . On cherche désespérément la lumière dans l’inconscience des nuits. L’absence de profondeur . Sortir du jeu social .
La symbolique du lièvre d’Amérique
« Été comme hiver, il entretient ses coulées avec soin, prenant la peine d’enlever les branches et les feuilles qui les entravent afin d’échapper plus facilement aux prédateurs. »(p. 95) J’ai pensé à la femme et à son combat féministe. Diane cherche à se protéger. Le roman bifurque. Nous sommes avec elle sur son île. « Assise par terre, toute seule, je me suis mise à pleurer, doucement. Je savais déjà. »(p. 109) Elle se rappelle Eugène qui a disparu. La métaphore du lièvre d’Amérique revient constamment hanter son histoire. J’ai beaucoup pensé à Joséphine Bacon.
Dis–moi que je suis ton au-delà
Dis-moi que tu es mon au-delà
Toi, l’animal blessé (1)
Il y a une forme de rédemption qui n’appartient qu’à elle seule.
Pendant un instant, je me sens entière ;
J’appartiens à l’île, en phase avec ses marées…
Une renaissance (p. 130)
La force du roman se retrouve dans l’épilogue. À lirecette légende de gens qui habitent dans la Lune. L’histoire d’une femme en particulier. Un roman qui m’a ébloui. Une leçon de sagesse à travers le temps fou. Les peines de cœur. Les sentiers balisés. L’envie et l’impuissance. Un roman très fort.Notes