Auteur à l’écriture nuancée, virtuose du fragment, Christian Bobin vit dans sa maison dans Le Creusot, retiré du monde, loin des bavardages inutiles. Il s’intéresse aux petites choses, à tout ce que l’humain ne voit pas.
En 1991, Une petite robe de fête devient son premier grand succès. Il sera suivi d’un chef–d’œuvre, Le très bas, une biographie romancée sur François d’Assise. L’homme vit en dehors du temps, sans Internet. Il écrit dans l’amour du silence ou dans des jardins. Un peu comme Rilke à son époque. Je l’ai découvert en 2000 avec Autoportrait au radiateur. J’ai lu et relu ce livre une trentaine de fois. C’est son journal intime plein de lumière. C’est aussi le seul auteur que j’amène avec moi en voyage,à Magog, à l’abbaye Saint-Benoît-du-Lac, à Québec ou à Rimouski. Bobinn’est pas un poète chrétien. Un mystique ? Peut-être. C’est un poète, un grand. « Je n’écris pas un journal, mais un roman. Les personnages principaux en sont la lumière, la douceur, un brin d’herbe, la joie et quelques paquets de cigarettes brunes. »(1). Dans son dernier livre,La nuit du cœur, l’écrivain habite dans une chambre de l’hôtel Sainte-Foy à Conques. On est dans son monde à lui : « le vent dans la forêt »(p. 37),« les oiseaux qui l’empêchent de penser »(p. 64). Il est fou, comme un enfant qui parle à l’invisible. Il dit des choses absurdes comme « Je laisse le soleil écrire ce chapitre » (p. 65). Il n’ya pas de théorie, de manière de penser, «d’endormissements théoriques. J’essaie de faire des petites maisons de livres » (2) Moi, je lis ça comme si c’était une partition d’Harmonium : simplicité des accords, des mots ou douces harmonies entre les deux.
Mystique ?
J’ai souvent pensé que Bobin était chrétien. Dans La nuit du cœur, au début il y a une citation de l’Apocalypse de Jean. Il n’y a pas d’illumination, mais je dirais une bienveillance à déchiffrer le quotidien. « Je n’ai pas prié dans l’Abbatiale. La lumière des vitraux le faisait pour moi. J’en suis sorti reposé comme après un long sommeil. C’est un des paradoxes de l’éveil : il fait descendre en nous la plus profonde nuit »(p. 84). Je pense qu’il a traversé certaines épreuves pour se rapprocher d’une porte paradisiaque. Bobin a beaucoup lu Kierkegaard. Le savoir importe peu. Tout a été fait, cuit, mâché et remâché. Les religions sont devenues lourdes. J’aime l’idée que saint Augustin a été converti par les prières de sa maman. J’aime l’idée que les livres que nous lisons ne sont pas là juste pour nous divertir. Il dit des choses tellement douces, tellement loin de notre simple compréhension : « Prier est une des plus belles choses au monde parce qu’on ne sait pas ce que c’est, oùça va, dans quelle nuit ça s’enfonce »(p. 83). Bobin ne s’adapte pas au monde d’aujourd’hui. Il a construit son royaume dès l’enfance. On avance avec lui. C’est mon professeur de poésie et donne des raisons de vivre, d’aimer la vie : « la manière inventée par chacun pour tenir devant l’ombre qui monte en lui, depuis le petit jour de sa naissance ». (3) La poésie, c’est aussi écrire pour soi. Poésie spirituelle : entrer en Dieu comme on glisse dans l’eau. Se tenir loin, regarder mille fois par la fenêtre. Être et vivre dans sa propreLumière. C’est peut-être le message subliminal de toute son œuvre.Notes
Christian Bobin a reçu le prix de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre en 2016.
La nuit du cœur, paru chez Gallimard en 2018, Édition Folio en 2020, 209 pages.