REVIVISCENCE (Écrits de jeunesse revisités.) (Texte no. 2)

L’image d’un homme avec une lumière revigorant dans la tête. L’image d’un homme avec une lumière revigorant dans la tête.

REVIVISCENCE (Écrits de jeunesse revisités.) (Texte no. 2).  Par Robert Clavet

PAYSAGES INTÉRIEURS

Les romans réalistes de la fin du 19e siècle soulèvent l’admiration. Mais je ne peux m’en inspirer, car mes paysages intérieurs s’accommodent mal du temps et de l’espace.

L’AUTOCONSCIENCE

À partir de jugements de valeur comme prémisses, on peut tout prouver et son contraire à condition de le faire rationnellement, c’est-à-dire d’utiliser des jugements pertinents et acceptables qui appuient fortement des conclusions. Ainsi, l’affirmation de l’être (en tant qu’être) peut être défendue par une déduction, mais les prémisses sur lesquelles celle-ci s’appuie sont inévitablement sujettes à discussion. En réalité, l’intuition de l’être est un acte a priori d’autoconscience, une évidence première qui ne nécessite pas le détour d’un raisonnement.

LE SOI

Il y a une sorte de totalité mystérieuse, que Jung a appelé le Soi, qui préside à l’ensemble de notre psyché et qui transcende le Moi, ce centre conscient à l’origine des représentations dont la continuité confère un sentiment d’identité. Des profondeurs du Soi peut émerger un puissant désir d’infini qui n’attente pas à la liberté, mais qui libère. Par exemple, si, sans l’avoir demandé, nous entendons une magnifique musique qui nous fait du bien, nous ne vivons pas cette expérience comme une atteinte à la liberté. Le désir d’infini est comme un souffle, une énergie qui pousse à vivre intensément et qui peut conduire à un élargissement de la conscience. Les tribulations inhérentes à la condition humaine sont inévitables ; cependant, bien que temporaires, il y a des états intérieurs où l’énergie et la paix intérieure s’associent.

TRIBULATIONS

(1973)

Depuis quelque temps, j’ai l’impression d’avoir trahi mes rêves de jeunesse. Le miroir où je me regardais est brisé. Mais, après tout, mon désarroi est peut-être le signal d’une renaissance. Chose certaine, je n’oublie pas. Malgré mes incertitudes, une lumière persiste. Tout comme l’existence suppose un éloignement de la Divinité, notre source intérieure peut s’amoindrir sans nécessairement se tarir.

LA POLOGNE OCCUPÉE

(1976)

De retour d’un passionnant voyage de 31 jours dans une Pologne malheureusement écrasée sous la botte du régime communiste, je suis plus que jamais persuadé du danger que représente ce système pour l’humanité. Je me demande si les démocraties occidentales en sont suffisamment conscientes. Il m’est apparu clairement, à force de conversations furtives à l’abri des micros disséminés un peu partout dans les hôtels et autres endroits publics, que la grande majorité des Polonais voudraient voir leur pays se tourner vers l’Ouest.

À UN AMI

Cher XXX,

En ce moment où j’ai le sentiment de ne pas être à la hauteur de mes rêves, ta façon d’être me donne de l’espoir. En plus d’être sensible à la vie de l’esprit, il y a chez toi un art de vivre qui confère de la beauté aux tâches quotidiennes. À ton contact, j’arriverai peut-être à surmonter cette déchirante opposition que j’éprouve entre le quotidien et la vie créatrice. J’aimerais trouver la manière d’être et la parole qui révèle l’esprit par la matière.

À UNE AMIE

(1980)

Chère XXX,

Les sources vives de la Tradition sont taries et les grimaces du « non être » affligent la philosophie. Pourtant, comme « amour de la sagesse », celle-ci devrait se présenter comme une quête de sens. Qu’est-il advenu de la culture spirituelle ? De cette dernière dépend pourtant l’avenir de l’humanité.

L’ITINÉRANCE INTÉRIEURE

Après les révélations théologiques de la Loi puis de l’Amour, le temps est venu de la révélation de l’Esprit qui passe par une démarche libre et créatrice. La vie de l’esprit a quelque chose de révolutionnaire. Accueillante aux énergies créatrices et ouverte aux intuitions en tension vers une mystérieuse Totalité, elle rompt avec le quotidien. Il faut se heurter aux murs de sa prison pour espérer un véritable cheminement intérieur. Le signe qu’une personne avance vraiment sur le sentier est que celle-ci a appris à pleurer, à demander et à accueillir.

LE DÉCRET INTÉRIEUR

La vie de l’esprit est irréductible aux seuls facteurs extérieurs et semble s’imposer comme une sorte de décret qui n’attente pas à la liberté. Pour moi, écrire, c’est mettre de l’ordre et de la beauté dans mes idées, c’est tenter de placer les simplifications abusives et les sources de confusion sous la lumière du Logos. Malgré les coups du sort, ma volonté demeure de faire valoir l’idée patristique de l’équilibre du divin et de l’humain. Le mal est insondable, mais sa mesure se révèle par l’horreur de ses conséquences. Au comble de l’égarement, toute analyse qui prétend rationnellement expliquer le mal pousse aisément celui qui s’y adonne à légitimer l’illégitime.

LIBERTÉ ET AMOUR

Chez un être passionné, la réalisation spirituelle ne consiste pas à éteindre son feu intérieur, mais à le canaliser d’une façon créatrice. Durant ma prime jeunesse, dans des écoles catholiques, j’ai été marqué par un enseignement religieux qui magnifiait une sorte de moralisme héroïque à partir de récits de la vie de certains martyrs. Je me souviens avoir voulu vivre au-dessus de mes moyens spirituels et du désastre qui s’en est suivi. Plus tard, grâce à Alexis Klimov, j’ai découvert Nicolas Berdiaeff, les Pères orientaux et le mouvement néo-patristique, qui m’ont amené à voir la liberté comme l’oxygène de l’amour et comme pouvoir positif de création.

LE NÉANT, LA LIBERTÉ ET L’AMOUR

Pour autant qu’on lui prête attention et qu’on la considère pour elle-même (et non comme un épiphénomène), l’expérience existentielle vaut sur le plan spirituel ce que l’expérimentation vaut sur le plan scientifique. Face cachée de Dieu, la Liberté incréée est enracinée en le Néant, et sa face visible est l’Amour et la Sagesse (la Sophia). De la Totalité divine (Père, Fils, Sophia et Esprit) vient la puissance et la gloire. En Dieu, l’amour est le contenu de la liberté.

L’ESPRIT EST UN

Relié à l’Unitotalité, notre esprit est un. S’il était multiple et tout aussi changeant que la matière, nous ne pourrions pas prendre conscience de celle-ci. Sans l’intuition des catégories transcendant l’espace-temps qui permettent de désigner la quantité, la qualité, les relations et les modalités, toute objectivation, toute conceptualisation et tout jugement de fait seraient impossibles. Sans l’intuition de valeurs universelles (unes) comme le Bien, le Vrai, le Beau ou le Juste, tout jugement de valeur serait impossible et, par conséquent, l’exercice libre de la pensée.

Robert Clavet

Mains LibresLe Pois Penché

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.