Daniel Dargis, Géographie des heures. Par Ricardo Langlois
Écrire sur le temps qui passe. Faire un inventaire minutieux. Nous sommes prisonniers de l’espace-temps. C’est l’impatience de vivre, c’est la nostalgie d’un lieu. Chaque jour a son épreuve. Nous survivons. Nous écoutons le désert. « La voix de mon sang » (disait Christian Bobin). Le feu intérieur à chaque heure.
Les oiseaux dans les larmes
Le poète s’impose la ritualisation d’un monde qui se meurt. L’explosion de paroles. Un rituel funèbre a une vie qui se disloque. C’est humain trop humain (Nietzsche ), c’est l’homme qui survie.
« Derrière la fenêtre
Au crayon rouge
Cet érable
La forêt trop étroite
Ouvre la pluie
Entre les lignes
Cette mathématique
De la fêlure dans la poussière
Et la suie
La finale
Étranglée. » (p. 28 )
Hors du soleil
« La géographie des heures », c’est l’hiver intérieur. C’est vivre hors du soleil, c’est un vieux poème de Fernand Ouellette qui me revient en ce jour frisquet d’avril.
« À s’éveiller dans la minceur
De l’arc–en–ciel
Le matin se retirait des branches
Se figeait le feuillage
Puis fixait le désastre (…)
Les vivants se mettent en
Marche arrachant les os des
Paysages. » (1 )
Les motifs des derniers jours dans les paysages d’un monde qui se meurt. Dieu n’existe pas. Le poète crée son monde comme une énigme du visible. L’homme et son imaginaire. L’homme dans sa grande fragilité. Ce sont des vestiges.
« À voix basse
Les cerfs-volants
Sans leurs verbes
Des versions orphelines. » (p. 43 )
Un autoportrait
Ma lecture est une aiguille sans boussole. Un terrain vague. Peut-être le récit des origines quelque part dans l’inconscient. « Nietzsche aimait l’innocence du devenir » (2). Le temps léger appartient au passé. La poésie de Dargis suscite le nihilisme et l’épuisement radical. Parce que « la vie brûle en silence » (p. 51) et aussi parce que « le vent noir piaffe à travers les veines. » (p. 59)
Les saisons passent. Les nuages noirs, les miroirs comme l’Amérique qui s’émiettent. Le poète observe et pleure devant la fenêtreaveugle. Le spleen est immense comme un « feu fugitif » (p. 87).
Trop d’obscurité? Pas assez de lumière? Chercher l’étoile filante. C’est la minute de vérité du poète. Le ciel est noir d’étoiles. Le poète nous laisse une porte ouverte (malgré tout ) avec « la voix de mon enfance » (p. 109). La beauté sortira du gouffre. L’auteur a choisi son propre chemin qui est sien. L’instinct ludique, la vie, le pathos poétique. C’est le regard d’un homme, une manière de voir le monde.
Notes
Daniel Dargis, « Géographie des heures », Écrits de forges 2023.
Daniel Dargis habite Trois-Rivières. Il a été professeur de littérature et de chanson contemporaine. Depuis, 1975, il a publié plus d’une dizaine de recueils parus aux Écrits des Forges, entre autres « Les noces de l’abandon, Hiver noir, Lumière artésienne, Déchirures, Continents neufs, Astrales jachères, L’anecdote, Scénario grammatical et Perce-neige ».